Rompant ainsi avec la tradition sous nos cieux qui veut qu’une corporation soutienne de façon indéfectible un des siens même dans ses errements inadmissibles, l’ordre des avocats vient de faire tomber l’épée de Damoclès sur la tête de certains de ses membres, les obligeant ainsi à ranger leurs robes dans les placards. Déontologie et éthique obligent, le conseil de discipline du Barreau, le 12 février dernier, a procédé à un nettoyage systématique au sein de la corporation.
Nettoyage ayant frappé les Mes Mamadou Keïta, radié de la profession pour avoir été indélicat dans la gestion de l’argent de ses clients et pour avoir manqué aux règles de la profession d’avocat et Issa Hamadou Diallo et Kirsi Idrissa Traoré, suspendus respectivement de 12 et de 6 mois à cause de leurs manquements aux règles du corps. Il n’en fallait donc pas plus pour qu’une telle décision fasse jaser l’opinion nationale peu habituée à de telles sanctions qu’une corporation inflige à ses membres. Si pour certains il faut craindre en cette décision un règlement de compte, pour d’autres, il n’y a pas meilleur moyen d’assainir le milieu que par cette fatwa qui vient donner une cure de jouvence à un corps dont le comportement et le fonctionnement ont souvent fait l’objet de plaintes de la part des usagers. Eh bien, c’était peut-être sans compter avec monsieur bonne mœurs, Me Mamadou Traoré qui, sans doute, cherchait la potion magique pour extraire le ver qui rongeait le fruit.
Une opération accompagnée d’une campagne médiatique par un point de presse tenu le 19 février dernier. A l’occasion donc, il n’est pas allé du dos de la cuillère pour fustiger les indélicatesses de certains avocats qui, à la limite, mettent la honte à tout un corps dont la probité et la moralité doivent être de mise. « Oui, il y a des brebis galeuses dans notre Barreau ; il y a quelques coupeurs de route, et si nous les rencontrons sur notre chemin, nous allons les chasser en appliquant les textes ». De ce ton ferme, le bâtonnier de l’ordre des avocats prévient ses confrères avant de les rappeler : « L’avocat prête serment et il est géré par la règle de droit qui régit le Barreau ». Tant pis donc pour ceux qui oublieront, car ils iront vivre leur anarchie et leur goujaterie ailleurs. Pas en tout cas dans la corporation gérée par le père fouettard. Fini donc les sarcasmes ! Place aux peines à la hauteur du forfait. C’est parti enfin pour un nouveau contrat social devant imposer et maintenir la conformité des avocats aux normes de leur profession. Elégance professionnelle visant à extirper des rangs les brebis galeuses. Il y va, du reste, de l’image de la corporation, décriée du fait notamment des comportements peu orthodoxes auxquels aiment s’adonner certains avocats. Une œuvre de salubrité publique qui ne doit pas faiblir face aux ingéniosités dont ne manqueront certainement pas les auteurs de telles œuvres insolites. Pourtant, ce serait peine perdue, car ces sanctions suivies de près par les clients rappellent à ces derniers les obligations des avocats. Toute tentative contraire serait dénoncée avec véhémence avant d’être sévèrement sanctionnée. Avant tout, l’avocat a prêté serment au cours duquel les valeurs comme la dignité, la conscience, la probité et l’humanité, indispensables voire sacrées dans l’exercice de leur métier, ont les maîtres-mots. Des valeurs nécessaires dans ce corps, car la place qu’occupent les hommes en robe dans un Etat de droit est si importante que leurs manœuvres dolosives risquent de compromettre dangereusement la cohésion sociale et la bonne marche de la démocratie, du nom de ce système politique qui doit son essence à une justice équitable et indépendante pour laquelle l’avocat se doit d’être un défenseur farouche et infatigable. Que dire donc si ce dernier est un anarchiste hors pair, sabordant honteusement les règles de la profession pour ses intérêts bassement égoïstes et nuisibles. Vu sous cet angle, et toute objectivité gardée, on ne peut que reconnaître positivement l’œuvre abattue par l’ordre des avocats.
En prenant une telle décision contre trois des siens, ce corps rappelle du même coup que le corporatisme n’est pas seulement la défense des intérêts matériels et moraux des adhérents, mais, c’est aussi veiller et sanctionner les manquements graves de ses membres.
En définitive, cette question des agents ripoux étant transversale, c’est-à-dire existant dans tous les rouages du système, il y a lieu, pour une société saine, que les autres secteurs ou corporations fassent un nettoyage en leur sein. A commencer par la cousine du Barreau : la magistrature, aujourd’hui pointée du doigt par le justiciable comme étant un lieu de règne des manœuvres dolosives. Et c’est pourquoi dans ce corps également, il y a lieu d’envisager des sanctions disciplinaires vis-à-vis des actes ternissant son image. Et au-delà, dans tous les secteurs d’activités, publics comme privés. C’est seulement à ce prix que nous pourrons nous doter d’une société policée où règnent la raison et la conscience individuelle et collective .