Ouagadougou- Autrefois, à la mi-journée, les fonctionnaires s’empressaient de regagner leur domicile pour prendre leur déjeuner et faire la sieste, avant de reprendre la tâche à 15 heures. Mais, cette habitude est devenue presqu’un privilège, pour de nombreux agents de l’Etat de la capitale Ouagadougou. La distance, la cherté de la vie, le faible niveau du pouvoir d’achat expliqueraient-ils cet état de fait ? L’instauration de la journée continue peut-elle être une solution ? Décryptage d’un phénomène qui s’est imposé aux fonctionnaires.
Les agents publics de l’Etat dans les grandes villes du Burkina Faso pratiquent la journée continue de fait. La faiblesse du pouvoir d’achat leur impose, en partie, une gestion rigoureuse de leur porte-monnaie. Ils ne rentrent pas à midi ; ils prennent leur repas hors de leur domicile, en vue d’économiser l’argent du carburant. Après la descente du travail, ils restent au service, même s’ils doivent endurer d’autres réalités liées à la qualité de la nourriture qui leur est servie dans certains restaurants. Les femmes qui regagnaient leur demeure les midis, profitaient de leur temps de repos pour faire la cuisine et s’occuper des enfants. Mais de nos jours, la réalité est tout autre. Il arrive souvent que madame et monsieur quittent la maison le matin pour n’y revenir que le soir, parfois tard la nuit. Dans un cas comme dans l’autre, les raisons sont multiples. A Ouagadougou, la majeure partie des travailleurs se retrouvent dans les quartiers périphériques, souvent à plus d’une dizaine de kilomètres de leur lieu de travail. Avec l’augmentation continue du prix du carburant, ceux qui peuvent se permettre de rentrer à midi et revenir au bureau le soir sont de moins en moins nombreux. ‘’Je suis à 10 km de mon service et 1 000 F CFA de carburant ne me suffirait pas pour rentrer chaque jour à midi. Je préfère rester manger, travailler si j’ai des urgences et rentrer une bonne fois le soir’’, affirme Paul Ouédraogo, un agent du Ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation (MENA). Tout comme lui, Mme Nacro du Ministère des Enseignements secondaire et supérieur (MESS) précise qu’elle est à 17km de son lieu de service et la distance l’oblige à ne rentrer chez elle que le soir. ‘’C’est une contrainte pour moi de rester au service et je trouve que je dépense plus que je n’économise. Etant donné que mon mari aussi reste tous les midis, à chaque fois, je suis obligée de communiquer avec mes enfants au téléphone pour m’assurer qu’ils sont revenus de l’école, qu’ils ont mangé et enfin s’ils sont repartis aux cours’’, ajoute-t- elle.
Cependant, il n’y a pas que la distance qui oblige les employés de l’Etat à rester au service. Les embouteillages ainsi que les risques d’accidents de la circulation dissuadent certains d’entre eux de s’aventurer sur les routes aux heures de pointe. Une dame qui a requis l’anonymat et travaillant dans une institution de la place révèle qu’il lui serait difficile de rentrer chez elle les midis, sauf en cas d’urgence. Elle avoue qu’un jour, a quitté son bureau à 12h45mn et n’a pu regagner son domicile qu’à 14h. Olivier Kabré du Ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD) s’interroge : ‘’Tu as quel temps qui te permet de rentrer manger, te reposer et revenir le soir, avec tous ces risques d’accidents de la route que nous vivons au quotidien’’ ? Voici la réalité que vivent nombre de fonctionnaires burkinabè, obligés de se séparer de leurs familles pendant toute la journée pour gagner leur pitance quotidienne. Ceci occasionne des charges supplémentaires liées notamment à la restauration. A ce propos, les avis sur le coût et la qualité des prestations divergent d’un interlocuteur à un autre. Aux ministères en charge de l’éducation nationale et des enseignements, trois mini-restaurants se côtoient. Le menu est composé de « riz sauce », de pâtes alimentaires, de riz gras au « soumbala », de soupe de viande, de poisson et d’attiéké. Les prix varient entre 250 et 500 F CFA le plat au MENA tandis qu’au MESS, ils sont compris entre 400 et 500 F CFA. Des prix que Paul Ouédraogo juge acceptables, même s’il estime qu’un effort peut être fait pour varier le menu. ‘’J’aime manger le « tô » (pâte de mil) mais la plupart des restauratrices ne nous proposent pas ce plat », déplore-t-il. La restauratrice du MESS, Adjara Zongo, dont les coûts de prestations sont nettement élevés par rapport à ceux de ses voisins, explique cette situation par la qualité de ses mets. Une exigence qu’elle se donne au regard de la diversité de ses clients, constitués de toutes les catégories socio-professionnelles.
Manger sain grâce aux cantines publiques
Si les prix sont jugés globalement abordables dans les restaurants jouxtant l’immeuble de l’Education nationale, les uns et les autres savent que dans certains endroits de la capitale burkinabè, il faut débourser au minimum 1 200 ou 1 500 F CFA pour obtenir un plat de riz. ‘’Ceux qui achètent le plat de riz à ces prix sont ceux qui ont un salaire élevé ou le plus souvent, c’est lorsqu’ils ont des opportunités. Mon salaire me permet de manger ce riz-là’’, lance Ibrahim Ouédraogo du MENA, en montrant du doigt son plat de riz de 250 F CFA. Et son collègue Paul Ouédraogo de renchérir : « Il est bien vrai que nos salaires sont dérisoires, et en plus, les charges familiales s’imposent, sinon nous pouvions nous faire plaisir au moins une fois en mangeant dans des restaurants chics ». Avec à son actif une année de service dans l’administration publique, Moussa Ouédraogo a choisi de manger dans ces « restaurants chics » les premiers jours suivant sa paie du mois.
Cyrille Coulibaly de la direction générale du contrôle des marchés publics et des engagements financiers, habitant à côté de son service, dit éviter de manger autant que possible dans les restaurants publics. Il estime que les huiles utilisées par les restauratrices sont couramment frelatées. « Au Burkina Faso, les huiles ne sont pas du tout contrôlées et cela est très dangereux pour la santé », s’indigne t-il. La majorité de ceux qui restent habituellement au service ne savent généralement pas quoi et où manger. La qualité de la nourriture laisse très souvent à désirer, à son sens. Mais selon Viviane Sanou, serveuse dans un restaurant au MENA, certaines plaintes relèvent simplement des caprices de clients difficiles. Pourtant, de mauvaises expériences des restaurants publics existent. Un agent d’un autre ministère s’en souvient : « Une fois, un de nos collègues, après avoir fini de manger, a vomi, tout simplement parce que la restauratrice a panaché le peu de sauce qui restait avec une grande quantité d’eau, sans prendre le soin de la réchauffer’’. Une situation jugée inévitable selon Mme Nacro, si le repas n’est pas préparé chez soi. Nous avons nous-mêmes été témoins d’un cas de manque d’hygiène dans un restaurant au sein d’un ministère, où une dame, ayant aperçu d’abord un insecte dans son plat, a renoncé à consommer son mets. Elle a aussitôt relancé la commande avant de jeter l’éponge après avoir vu une mouche "nager", cette fois-ci dans la sauce. Face à une telle situation, que faut-il faire ? Apporter avec soi les repas cuisinés en famille ou changer de lieu de restauration ? Parce que même à des endroits où l’hygiène semble être de mise, il n’est pas évident que toutes les règles minimales soient observées. Rasmata Compaoré, standardiste, confie qu’il y a des moments où elle apporte à manger au service pour être à l’abri des problèmes sanitaires. Aux préoccupations d’hygiène et de qualité des repas, Sayouba Sigué en service au ministère de l’Environnement propose que l’Etat subventionne la restauration de ses travailleurs dans les ministères, comme le font certains privés au Burkina Faso. ‘’Cela nous permettra de manger sain et d’éviter au moins les ballonnements dont nous sommes parfois victimes’’, soutient-il.
Instaurer la journée continue
Certains agents publics comme Olivier Kabré du ministère de l’Environnement proposent d’instaurer la journée continue afin de permettre aux fonctionnaires d’économiser et de réduire les déplacements. Albertine Wandaogo, également agent de l’administration publique, épouse cette idée de journée continue. Elle dit dépenser au minimum 700 F CFA par jour pour ses repas de midi. Elle affirme que la journée continue aidera les femmes à mieux planifier leur travail et à rentrer une bonne fois pour assurer leur cuisine laissée aux mains des domestiques. La directrice des ressources humaines de la Fonction publique, Salimata Maïga, qui ne rejoint son domicile que le soir, explique, que l’Etat avait, en son temps, mené des études pour instaurer le système de la journée continue. Selon elle, le dossier suit toujours son cours. Un adepte de ce système se dit convaincu que son application pourrait diminuer l’absentéisme des agents, les retards chroniques et l’abandon des services avant les heures indiquées. Paul Ouédraogo du MENA, pour sa part, ne pense pas que la journée continue puisse être la meilleure solution. Il se justifie : « Au Burkina Faso, les fonctionnaires ne sont pas habitués à cette pratique et l’instaurer sera une perte pour l’Etat, car beaucoup vont profiter des quelques minutes de pause qui leur seront accordées et continuer chez eux à la maison. Surtout qu’il n’y a pas de contrôle au sein des services pour savoir qui arrive à l’heure et qui arrive en retard ». Sur la même question, Valentin Kientéga, cadre du MEDD, pense que la solution n’est pas forcément la journée continue. A l’entendre, il s’agit plutôt d’un problème d’organisation. Certains fonctionnaires, selon lui, sont souvent très sollicités au bureau après les heures de descente. Aussi, travailler sous pression est devenu comme une règle au Burkina Faso. ‘’ Dans les annonces, les ministères où les sociétés qui recrutent, instaurent ce volet : « Aimer travailler sous pression »’’, confie t-il. L’idéal serait de son point de vue, que chaque agent ait un volume de travail bien planifié et qu’il soit capable de l’exécuter convenablement par rapport au nombre d’heures de travail qui lui est imparti. Ce qui n’est malheureusement pas le cas. « Si un individu doit faire quotidiennement le travail de deux personnes sans repos, il finira un jour par craquer », affirme M. Kientéga.
Les enfants privés d’affection parentale
En attendant qu’une solution soit trouvée, de nombreux parents passent l’essentiel de leur temps, loin de leurs mômes. Quel genre d’affection parentale et d’éducation les enfants reçoivent-ils dans cet absentéisme parental ? Sayouba Sigué du ministère de l’Environnement est bien conscient des difficultés. ‘’Effectivement, les parents manquent à leurs enfants qui, le plus souvent, sont laissés entre les mains des aides-ménagères’’, regrette-t-il. Autres inquiétudes soulevées par des agents de la Fonction publique, ce sont les cambriolages dont sont victimes certains d’entre eux. Profitant de l’absence du couple, les malfrats peuvent s’introduire dans les cours familiales à leur guise. Nombreux, sont les fonctionnaires, qui ont avoué qu’au Burkina Faso, les responsables travaillent 7 jours sur 7 et ne peuvent pas satisfaire les relations sociales, aussi bien dans leurs quartiers que dans leurs familles.
Il existe certainement d’autres difficultés. Mais quelle solution envisagée ? L’Etat va-t-il instaurer la journée continue comme l’ont proposée les agents rencontrés ? Si cette option était faite, le gouvernement gagnerait à prendre des mesures de contrôle de présence effective des fonctionnaires sur leur lieu de travail et mesurer l’efficacité de leur rendement journalier.