Le mercure a tâté la température de la liberté de presse au Faso. Elle a baissé d’un cran, cette semaine. L’agent causal, une décision du tribunal correctionnel de Ouagadougou qui enferme pour un an un journaliste et suspend pour six mois, son journal. On reconnaît que le délit a pu être constitué par le « journaleux », comme dirait JJ, mais le mettre en prison, c’est prendre un camion dix tonnes pour écraser une fourmi !
Faut-il emprisonner un journaliste pour ses écrits ?
Une année de prison correspond en droit à la peine que recevrait quelqu’un qui a été reconnu coupable d’homicide. L’article de l’Ouragan, sans occulter son caractère qui peut se révéler insultant ou déshonorant pour la cible, a-t-il tué le Procureur Placide Nikiéma ? Apparemment, non. Alors, pourquoi le DP de L’Ouragan a-t-il le même sort qu’un assassin ?
Certains magistrats défendent mieux leur cause que celle de la Justice
Ensuite, cette décision donne l’impression que les magistrats, du moins certains d’entre eux, sont plus prompts à se défendre eux-mêmes qu’à défendre ce pour quoi ils sont payés par le contribuable : la justice. On se rappelle de l’affaire Youmoré au Yatenga qui a été jugée avec une célérité époustouflante. On se souvient aussi de cette histoire de mécano présumé fait bastonné par un magistrat, qui est aujourd’hui reconduit à un plus haut poste sans qu’on ne sache au juste qui avait tort ou qui avait raison.
C’est de bonne guerre, la charité bien ordonnée commençant par soi-même. Mais ce serait plus équilibré si la moitié de cette promptitude était déployée pour les citoyens. Des dossiers où des citoyens sont brimés dans leurs droits (et pour cela, aucun magistrat ne pourra attraire quelqu’un pour diffamation) croupissent, auréolés de toiles d’araignées et de poussière, dans les tiroirs des tribunaux depuis des décennies et qui sont encore loin de connaître de suite. Notre défunt confrère Norbert Zongo attend toujours justice. D’autres ont connu des traitements si incongrus qu’on en est découragé.
La poutre dans l’œil
On se rappelle tout juste à « côté » de l’affaire des magistrats (curieuse coïncidence) qui veulent se présenter aux élections couplées et qui ont produit des documents dont la crédibilité fait l’objet de gorges chaudes ces derniers temps, mais qui ont pourtant été adoubés par le Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat est attendu sur cette affaire qui met en jeu l’honneur de tout le corps des magistrats et l’on verra combien de temps il prendra pour la connaître et quelle sera la couleur de sa décision.
Une fâcheuse jurisprudence
Mais en attendant, cette décision du tribunal correctionnel est un précédent fâcheux, tant pour la presse que pour l’Etat burkinabè. C’est une tâche sur la liberté d’expression tant vantée par les premières autorités et une porte ouverte où seront tentés de s’engouffrer tous ceux qui ont peur que cette liberté d’expression ne lève le voile sur leurs sombres sacoches. La dépénalisation des délits de presse n’arrangera pas que la presse. Elle sauvera le Burkina du gouffre de la pensée unique, y compris les magistrats.
Dans tous les cas, la Justice burkinabè a mal à son image et elle le sait. Ce n’est pas en mettant des journalistes en prison tout en fermant les yeux sur les vrais brigands de la démocratie, des finances publiques et de la sécurité des Burkinabè qu’elle l’améliorera. Loin s’en faut.