Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Burkina Faso    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Politique
Article




  Sondage



 Nous suivre

Nos réseaux sociaux



 Autres articles


Comment

Politique

Situation nationale : oui, tous les référendums ne sont pas démocratiques !
Publié le samedi 1 fevrier 2014   |  CEDEV


Evariste
© Autre presse par DR
Evariste Faustin Konsimbo, président de l`Association de culture civique et de défense des droits humains et sociaux (CEDEV)


 Vos outils




Ceci est un point de vue du président de l`Association de culture civique et de défense des droits humains et sociaux (CEDEV) sur les débats sur le référendum sur l'article 37 de la Constitution.


Pour en venir à des solutions exceptionnelles, il faut être confronté à des situations exceptionnelles, et si celles-ci n'existent pas, il faut les créer. Tout bon militaire sait que la victoire est d'autant plus facile que l'on peut se battre sur le terrain que l'on a choisi. Eh bien, toute cette mascarade que le pouvoir est en train de jouer devant nous depuis quelques semaines ne vise qu'à créer les conditions d'une crise qui permettra à Blaise Compaoré et au clan dont il est le héros de fortune de rester au pouvoir. Tout le monde ou presque le sait aujourd'hui, il faudra se battre, sur tous les fronts et dans tous les sens du terme, qui pour rester au pouvoir, qui pour y arriver !
Voilà quelques années que le président laisse à son entourage immédiat, structuré autour de son frère et de ses coquins en business, de gérer avec appétit les affaires intérieures pendant que lui se démène à l'international pour éteindre (souvent après les avoir allumés ou attisés) tous les incendies sous-régionaux, d'autant que les succès de médiation ont incité les interlocuteurs internationaux à fermer les yeux sur toutes les petites misères infligées au Peuple burkinabé, et par ricochet à l'opposition démocratique. Mais voilà soudain que l'incendie est intérieur, qu'il se propage à une vitesse si grande que les flammes lèchent les murs du palais. Tant qu'il s'agissait de feux de paille, on pouvait s'en remettre à quelques pompiers volontaires, mais avec un incendie, un vrai, il faut faire appel à un pompier professionnel. La première certitude donc, c'est que c'est Blaise Compaoré lui-même qui est seul à la manœuvre et que c'est sa patte qu'il faut voir dans la stratégie (très efficace, intelligente) qui se met en place. Signe que la situation est grave et que les enjeux ont atteint un point culminant.

Des experts de la casse électorale

Sur le plan électoral, jamais le CDP n'avait été autant chahuté au point de perdre des mairies et de voir se constituer à l'Assemblée nationale un groupe d'opposition aussi actif. Pourquoi cette suprématie aujourd'hui perdue ? Parce que jusqu'ici, le parti pouvait compter sur des experts en casse électorale, des barbouzes formés à mouliner l'opposition par tous les moyens, souvent les plus inavouables (même si dans le troupeau de notre opposition passée, il y avait tant de moutons, verts, rouges, jaunes... prêts à tourner leur fourrure contre un peu d'argent, de notoriété, d'honneur, voire même de tranquillité). Et ces barbouzes de l'époque, nous en connaissons tous les noms, Roch, Salif, Simon et les autres..., les terreurs de l'opposition, au sens propre comme au sens figuré !
Mais voilà que ces terreurs ont commencé par être mis en retrait de la vie réelle du CDP au profit de marionnettes enthousiasmées par la découverte des manettes du pouvoir, avant de quitter le navire à grand fracas de démissions assurant aux médias des Unes à faire exploser les ventes. Sans eux donc, au lieu d'être étouffée dans l'œuf comme auparavant, l'opposition a pris du poil de la bête, a relevé la tête pour s'inviter dans les mairies, à l'Assemblée nationale et même dans la rue où elle cristallise la colère du Peuple. Le péril est partout dans la demeure, pour l'essentiel à cause de la stupidité cupide des affairistes du pouvoir (qu'il faudrait féliciter, car au fond ce sont les alliés objectifs de l'opposition démocratique...), qui, en privé, se félicitent d'avoir foutu un tel bazar, puisque c'était objectivement le meilleur moyen pour vaincre les réticences de conscience du président et le forcer à leur servir sur un plateau la continuation de ce régime de bombance... Eh oui, quand les rats sont habitués à faire festin jour et nuit, ils sont aussi prêts à tous les coups tordus pour qu'on ne les prive pas de leur portion de fromage… Le président vient de l'apprendre à ses dépens !
Pour résumer, voilà que dieu pourrait ne plus être dieu parce que quelques manants de l'opposition le décideraient ? Pire encore, tous ces apôtres de mauvaise augure lui contesteraient le droit (divin) de désigner librement son successeur en voulant lui imposer une élection dont il ne connaîtrait pas à l'avance l'issue ? Soit, il se succèdera donc à lui-même et le fera savoir au monde entier en annonçant un référendum qui le fera dieu 3 ou 6 mois avant l'échéance. Voilà le coup de maître qu'il a décidé de porter sur la tête de ses proches comme de l'opposition démocratique. Pour atteindre ce dessein divin, il est donc grand temps d'agir sur tous les fronts et surtout d'en revenir aux fondamentaux du régime, c'est-à-dire à Blaise Compaoré lui-même. Il est habile, et derrière son silence légendaire, il a appris à connaître son monde où il a dicté la carrière et la vie de presque tous les acteurs, qu'ils soient aujourd'hui dans l'opposition ou qu'ils soient encore dans la mouvance présidentielle. Avant tout, c'est une question d'homme, mais pour que cet homme retrouve sa mesure devant le Peuple burkinabé, il doit commencer par chambouler complètement le paysage politique du pays, majorité et opposition démocratique confondues. C'est en homme que l'on va en référendum devant le Peuple, il a retenu la leçon de de Gaulle !

CDP, MPP, du clonage politique

On a donc usé de toutes les méthodes pour que l'opposition ne rafle pas trop de mairies ou de conseils municipaux, ici à coup de petits millions, là de menaces à peine voilées, ou encore en bloquant les délibérations jusqu'à provoquer de nouvelles élections. Ensuite, on a tenté de tenir tête à l'opposition démocratique dans la rue avec des contre-manifestations qui non seulement n'ont pas fait franchement recette, mais surtout se sont révélées risquées au regard de l'agacement d'une partie de plus en plus grande de la population, parfois à la limite de la crise de nerf devant tant d'arrogance. La tactique la plus efficace, c'est de taper en permanence sur l'opposition démocratique, de lui donner le tournis, comme dans une cyber-attaque, pour l'épuiser et la détourner de la mise en œuvre de sa propre stratégie. Les coups fusent de tous les côtés, tout le monde est bon pour occuper son temps, la distraire, surtout qu'elle a envie de bien faire, de prendre le temps de comprendre ce qui lui arrive, qu'elle ne veut pas être injuste, mais aussi qu'elle est crispée en permanence à cause des rivalités intestines que ses succès ne font qu'attiser (plus l'échéance avance et plus les candidats au grand soir se persuadent de leur vocation nationale), bref l'opposition est émotive comme un adolescent devant son premier flirt alors qu'elle devrait avoir la sérénité d'un divorcé en train de recomposer méthodiquement sa famille. Eh oui, le président le sait, l'opposition démocratique a plus de cœur que de raison, et pour lui c'est du pain béni...
Mais il fallait aussi faire le vide au CDP et désamorcer la crise qui couvait depuis trop longtemps. On a donc fait descendre du navire amiral les têtes brûlées qui espéraient encore figurer parmi les successeurs désignés et qui se cassaient les dents contre les ambitions similaires de la fratrie présidentielle. Comme maintenant le président se succède à lui-même, il fallait au plus vite les recycler et les mettre au service de cette auto-succession (voir notre article du...) en leur confiant une mission de type Juda ou cheval de Troie. Peu importe les apparences, qu'ils défilent ou pas le 18 janvier, qu'ils pestent contre le CDP version Assimi, qu'ils enterrent le sénat, qu'ils refusent le référendum, qu'ils s'accrochent à l'article 37 comme à leur dernière bouée politique, pourvu qu'ils créent la confusion et qu'ils foutent un bazar tel que plus personne ne puisse y reconnaître ses petits. Les médecins vous le diront, pour pouvoir arrêter une hémorragie, il faut commencer par la canaliser. Et là, c'est à de la grande chirurgie que l'on assiste, avec le président lui-même au bistouri. Tous les déçus du CDP version Assimi qui ne sont pas contre le président (c'est la définition que donnent d'eux-mêmes Roch, Salif, Simon et les autres...) doivent trouver une maison où se réfugier pour qu'ils ne soient pas tentés d'aller frapper à la porte d'authentiques partis d'opposition. Pour faire vite, il faut créer un machin qui ait le même ADN que le CDP historique, mais qui ait une personnalité "morale" différente de celle du CDP version Assimi. Et en médecine, cela s'appelle un clonage. Donc depuis samedi dernier, nous nous retrouvons avec un CDP version Assimi, et un CDP version Roch, le même ADN sous un nom différent. Toute l'apparence d'un divorce négocié où chacun des anciens concubins va devenir le cauchemar de l'opposition, laquelle hésite à accueillir le nouveau divorcé sur son épaule ou à lui claquer la porte au nez. A défaut de savoir, tout le monde fait donc semblant.

Le Front Républicain, l'arche de Noé des traitres

A partir de ce noyau central de contamination, la confusion doit se répandre comme la peste avec une armée de rats guidés par une multitude de joueurs de pipeau. On assiste donc tous azimuts à la création ou à la réactivation de structures, de discours, d'initiatives pour que tout le monde y perde son latin. La plus transparente, mais aussi la moins intéressante politiquement, c'est la FEDAP-BC, qui en gros prône une tropicalisation radicale de la démocratie burkinabè, avec entre autres comme chantre le ministre-sophiste Alain-Édouard Traoré. En trois mots, ceux qui contestent la légitimité de Blaise Compaoré, ce sont les gens de Ouagadougou, les campagnes elles sont convaincues corps et âme que notre président est l'homme providentiel dont le Burkina ne peut plus se passer. Ensuite, ce n'est pas à l'étranger, la France, les États-Unis ou certains de nos proches voisins, de nous donner des leçons de démocratie, de nous dire comment modifier ou pas une constitution, comment utiliser un référendum, car chez nous la démocratie n'est pas une affaire d'intellectuels, mais de gens simples qui pour n'avoir pas fait l'école n'en savent pas moins qui leur donne à manger. Enfin, s'y ajoute un chantage à la paix sociale censé tétaniser toutes les velléités de contestation puisque se passer de Blaise Compaoré revient à convoquer au Burkina Faso toutes les horreurs des guerres et des conflits qui défilent sur nos écrans de télévision. Le discours est simple : dire non aux gens de Ouagadougou, dire non à la démocratie des intellectuels, dire oui à la paix sociale de Blaise Compaoré.
Mais la FEDAP-BC est tellement partisane et monophasée que son efficacité politique est trop faible dans le contexte actuel, même si elle fait des dégâts partout dans le pays où l'opposition démocratique est trop timide, voire absente. Pour ratisser large et commencer à dessiner une nouvelle mouvance présidentielle qui pourrait accueillir tout et son contraire, pourvu que l'on s'entende sur un point, le maintien au pouvoir de Blaise Compaoré comme condition sine qua non à la paix sociale. Le Front Républicain est né. Sous l'égide du CDP version Assimi, voilà un ramassis de partis désuets, de figures politiques en fin de carrière ou de refondateurs professionnels qui se prononcent becs et ongles contre l'alternance. Même les enfants voient qu'ils se marchent sur les pieds, car précisément la République, c'est l'alternance avec pour seul juge de fond le peuple souverain. Peu importe le sens des mots, car pour ces frontistes, la République peut avoir des allures de monarchie, où la transmission du pouvoir se fait par succession, tant qu'il s'agit de servir les intérêts de celui qui leur fait la bonté de les maintenir en vie politiquement. Quand on est moribond, que l'on ne parvient même pas à aligner 10 noms là où on en annonce plus de 40, qu'on s'en prend aux journalistes plutôt que de répondre à leurs questions, que l'on menace d'aller devant le juge pour changer sa fourrure contre un vrai costume d'"opposant historique" alors que ces costumes-là c'est normalement le Peuple qui les taille, et surtout que c'est votre dernière chance de sauver les intérêts de votre maison, alors on ne chicane pas sur les mots. Blaise y est, Blaise y reste, un point trait.
Le véritable enjeu du Front Républicain, ce n'est pas ce qu'il dit, mais ce qu'il va permettre de faire, d'ici à la prochaine échéance électorale. En gros, lorsque le CDP version Roch aura fini de miner de l'intérieur l'opposition démocratique, que le pays sera en train de bouillir et de se déchirer autour de la question du référendum et de l'article 37, que nous serons au bord d'une crise de nerf tellement profonde que l'opposition elle-même en sera déroutée, alors tous ceux qui auront organisé cela en coulisse, tous ceux qui prendront peur, tous ceux qui sont en service de casse commandé et qui doivent rentrer au bercail pour toucher la rente politico-financière de leurs basses besognes, tous ceux-là pourront comme un seul traitre trouver asile au Front Républicain et servir, in fine, la succession de Blaise Compaoré à Blaise Compaoré. Le Front Républicain, c'est l'arche de Noé que le président propose à tous ceux qui ne veulent pas devenir cadavre dans le grand déluge que lui-même est en train d'organiser pour laver le pays de cette Sodome et Gomorrhe qu'est, à ses yeux, l'opposition démocratique…

Vivre avec Blaise, ou mourir sans Blaise…

Voilà pour le versant strictement politique. Mais le président sait aussi qu'il faut rapidement contaminer la société civile, qui est l'une des terres d'élection de l'opposition démocratique. On commence en sourdine, en suggérant à quelque grande sœur qui porte à la boutonnière tous les signes de reconnaissance du régime, de se lancer dans une brève dissertation de droit constitutionnel pour nous dire que ce n'est pas du côté du droit (entendez du maintien du droit actuel) qu'il faut chercher la solution, mais du côté de la politique. De la haute volée pour nous placer devant ce dilemme : voulons-nous une "succession apaisée", ou voulons-nous une "succession mal préparée" ? Oui, vous avez bien lu, pour notre diplomate émérite, la question politique du jour, c'est celle "d'une succession", ou encore "d'une circulation des élites au sein de la majorité présidentielle", et nullement d'une alternance. Et pourquoi le pays a-t-il besoin d'une succession (monarchiste) et pas d'une alternance (républicaine) ? Parce que la succession, c'est la paix sociale, et que l'alternance, c'est la guerre civile ! En gros la question devient : voulez-vous mourir, ou voulez-vous vivre ? De la FEDAP-BC au Front Républicain en passant par Juliette Bonkoungou, on se mord la queue dans le camp présidentiel, ce qui est au moins la preuve d'une cohérence de discours.
Le deal est on ne peut plus clair, voilà 30 ans que le régime Compaoré garantit la paix sociale (sauf pour les opposants ou les journalistes trop imprudents, qui finissent sur un bûcher, mais cela c'est de leur faute) à condition que l'on permette à sa famille de piller le pays, que le Peuple fasse donc en sorte que ce régime prédateur reste au pouvoir et il pourra continuer de jouir de cette formidable richesse qui consiste à être plus pauvre que pauvre mais dans la paix sociale. En réalité, tous ces appels à la maturité politique qui s'exprimerait dans la volonté de préserver coûte que coûte la paix sociale sont un marché de dupes, la peau de banane glissée par le président sous la semelle de l'opposition démocratique pour que celle-ci prenne peur devant ses responsabilités historiques et qu'elle finisse pas alléger son fardeau moral en acceptant ce coup de force qu'est le référendum. Un bras de fer, contre lequel l'opposition démocratique, nous l'avons déjà dit, n'est absolument pas préparée et contre lequel il va falloir qu'elle se vaccine au plus vite. Car en l'occurrence, c'est pour elle et pour les espoirs de tout un Peuple, une question de vie ou de mort, et l'histoire nous a montré, y compris récemment, que lorsque la mort atteint les espoirs d'un peuple, elle finit par remplir les rues de cadavres innocents...

Touche pas à ma constitution si tu veux la paix !

Oui, le référendum est un coup de force et y avoir recours n'a pas nécessairement un sens démocratique. A preuve, la dernière sortie de Hollande en Turquie, qui pour ne pas dire directement à son homologue turc qu'il ne souhaitait pas l'adhésion de son pays à l'Union européenne (tout en voulant garder le bénéfice de gros contrats pour les sociétés françaises dans cette économie émergente) a sorti de son chapeau politique le référendum et le recours direct au peuple, dont on sait que celui-ci y est opposé à une écrasante majorité. Bien sûr, pour nos partis de l'opposition démocratique, qui ne cessent d'ériger le peuple souverain au rang de juge suprême et qui ne veulent en aucun cas priver ce juge suprême de la moindre de ses prérogatives, c'est une position troublante et très difficile à exprimer devant toutes les composantes du Peuple. A l'exception des référendums d'initiative populaire, qui sont toujours très strictement encadrés (et donc avec des effets très limités) constitutionnellement dans les démocraties matures, le référendum est toujours un instrument au service du pouvoir, en particulier parce que c'est généralement lui qui y a recours quand les autres voies constitutionnelles ne lui sont pas favorables. Et aujourd'hui, le référendum que le président annonce est un joker maléfique, sa dernière chance de rester au pouvoir sans être obligé de dégainer des solutions plus radicales. De là, la référence itérative à la sacro-sainte paix sociale, qui parle à tout le monde, parce que personne n'a envie que le sang coule au Faso, mais qui revient à murmurer en sourdine à l'opposition démocratique cette rengaine sinistre : ou vous acceptez que je reste au pouvoir en perdant démocratiquement devant le Peuple, ou je reste au pouvoir au bénéfice d'une crise majeure que vous aurez provoquée et dont le champ de bataille ne sera pas les urnes, mais la rue. En gros, ou la voie des urnes, ou la voie de la grande muette, mais dans les deux cas, la défaite pour l'opposition démocratique. Voilà donc ce contre quoi l'opposition doit s'immuniser en arrêtant un discours démocratique, clair et simple, contre le référendum et la révision de la constitution. Touche pas à ma constitution si tu veux la paix, voilà le mot d'ordre, car celui qui y touche menace la paix sociale dans chaque village et dans chaque ville du Burkina Faso. Il tombe sous le sens que le Faso n'aura pas besoin de pompier constitutionnel, s'il n'y pas de pyromane constitutionnel, et ce n'est pas du côté de l'opposition que l'on trouve ce genre d'individu, mais bien derrière les murs du bunker de Kosyam...

Le président comme faire-valoir publicitaire

La messe de la paix sociale que garantirait le recours au coup de force référendaire doit être servie au plus profond de la société civile par de jeunes requins dont la mission est de casser le monopole de l'opposition démocratique, en particulier dans la tête des classes moyennes. Dans ce rôle messianique, à l'instar de Roch, Salif, Simon et les autres sur le terrain strictement politique, voici Monsieur Hugues Arsène Kouraogo, jeune entrepreneur de son état, chevalier de l'Ordre du Mérite du Commerce et président de La Voix de l'Avenir, une toute nouvelle association qui "affirme la nécessité de privilégier la voix du peuple et de la jeunesse à celle de la violence" et qui se prononce en faveur du référendum sur l'article 37 dans une double page publiée dans de nombreux quotidiens de la place, et prolongée par un site internet, une page Facebook et un compte Twitter, sans oublier un appel aux dons. Voilà de la communication politique de haut vol qui semble assise sur un paquet de francs CFA.
Pour le grand public, c'est un inconnu, mais dans les coulisses du pouvoir, qui n'a pas manqué de garnir sa boutonnière et à l'occasion d'entourer le financement de ses multiples activités de la plus grande bienveillance, notamment lorsqu'elles tournaient de l'œil ou qu'elles mettaient à mal la réputation de tel ou tel, c'est un classique, qui a été suffisamment proches comme il l'avoue lui-même de membres éminents du pouvoir, y compris parmi les démissionnaires, qui a ses entrées auprès de la fratrie présidentielle et qui est prêt à prendre du service public pourvu que ces propres intérêts y trouvent matière à prospérer. Bref un opportuniste suffisamment docile pour pouvoir s'adresser à "ses frères et à ses sœurs" en âge et en fortune en pleurnichant que le changement ce n'est pas bon pour les affaires et que l'on sait ce que l'on a, mais qu'on ne sait jamais ce que l'on aura. L'important ici, ce n'est pas le discours qu'il tient au nom d'une association dont il est sans doute le géniteur par procuration, d'autant que d'entrée de jeu, il se trompe d'interlocuteur. Si, Monsieur Hugues Arsène Kouraogo, en dehors de Blaise Comparoé la paix sociale au Burkina Faso n'a pas d'autre planche de salut, alors ce n'est pas à vos semblables du Peuple qu'il fallait adresser votre missive, mais à Dieu lui-même, car que nous sachions personne sur cette terre n'a la faculté d'accorder l'immortalité à Monsieur Blaise Comparoé, au point de faire de la survie politique de ce Monsieur la condition de notre paix sociale à tous ad vitam aeternam...
Le plus surprenant, c'est d'avantage la manière qu'à ce Monsieur Kouraogo d'afficher sans vergogne, y compris dans cette mission éminemment politique, sa nature d'affairiste. Eh oui, encore une fois, une histoire d'ADN, qui s'affirme avec d'autant plus de franchise que pour les membres de ce clan la politique est juste une manière plus efficace de faire du business et le président lui-même, un formidable levier de richesses. Pour preuve, voilà un Monsieur qui se "paie" une double page au nom de son association pour défendre tout ce qui tient à cœur aujourd'hui au président, le sénat, le référendum, la modification de l'article 37, son maintien au pouvoir, la réussite incontestable de sa politique économique au service d'un Burkina émergent (au 173e rang mondial sur 175), et qui se sert de ce long bavardage militant pour se faire une publicité gratuite en glissant dans cette double page le logo de son groupe ainsi que la photo et le logo de son débit de boisson — il n'y manque qu'un coupon de réduction pour que les lecteurs aillent en masse jeter leur argent dans cet établissement de divertissement nocturne. Autant de naturel à faire des affaires de tout a de quoi déconcerter. On est même gêné pour le président de le voir ainsi ramené au rang de faire-valoir publicitaire d'un jeune homme qui pourrait être son fils et qui le tutoie dans les dîners en ville comme s'il s'agissait d'un associé... On se demande même quelle importance ce Monsieur peut avoir pour que le président lui permette d'associer son nom et la cause politique qui l'occupe actuellement à son fonds de commerce au point de devenir son meilleur agent de communication. Quelle plus-value, financière ou autre, le président peut-il donc attendre d'une compromission qui jusque-là était surtout le fait de sa fratrie ?
Mais ce n'est sans doute pas un hasard si ce Monsieur Kouraogo ose étaler aujourd'hui son civisme avec un sens aussi poussé des affaires. Il ne risque rien, car il est là pour faire passer un autre message, subliminal celui-là, mais toujours frappé au coin de la même équation, vivre ou mourir. Ce Monsieur a pour mission secrète de rassurer tous ceux qui, comme lui, draguent depuis si longtemps dans les eaux du pouvoir, sans doute dans le sillage de la fratrie présidentielle, et qui ont besoin d'être rassurés sur le sort qui leur sera réservé autour de la future mangeoire. C'est à peu près le même deal que l'on propose au reste du Peuple que ce Monsieur est censé relayer auprès des entrepreneurs de son espèce : aidez-nous à rester au pouvoir et nous vous aiderons à manger dans nos mains. Au Peuple, le chantage à la paix sociale, aux forces économiques, le chantage au 4X4 ! C'est un peu terre à terre, mais quand on a 37 ans, on a passé l'âge de rêver autrement qu'en comptant ses liasses de billets, ses parcelles à Ouaga 2000 ou ses smartphones que l'on aligne sur une table de restaurant (en compagnie d'une jolie femme si possible).

Les musulmans, la réserve du pouvoir

Le dispositif général est donc clair, la stratégie et la tactique aussi. Et l'opposition doit s'attacher à répondre de manière univoque à cette offensive qui va se déployer sur tous les fronts pour provoquer une crise tellement grave qu'il faudra envisager de mettre en œuvre des solutions exceptionnelles. Là aussi, on se prépare en coulisse à cette éventualité. C'est même la raison de la militarisation progressive du camp présidentiel, dont le palais se bunkérise peu à peu, à l'extérieur avec ces chicanes et cet arsenal d'observation et d'interception, et à l'intérieur avec la mise en place de véritables cellules de crise appuyées par des ressources exogènes. Va dans le même sens, la généralisation de certains ministres qu'il fallait promouvoir pour leur donner un grade suffisant le jour où il faudra s'affirmer devant d'autres généraux moins dociles à tordre les règles militaires au détriment du Peuple. L'offensive concerne aussi les grandes puissances étrangères engagées à partir de notre sol contre tous les djihadismes de la sous-région et qu'il faut convaincre que la seule option pour garantir leur liberté d'action opérationnelle, c'est le maintien au pouvoir de Blaise Compaoré, même s'il faut pour cela aménager la constitution et passer en force dans les urnes. L'option sécuritaire rampante depuis des années avec l'équipement des forces de police et de gendarmerie, le reformatage de l'armée, le déploiement de moyens de surveillance et d'écoute des citoyens... gagne aujourd'hui la rue, avec des dispositifs de surveillance vidéo chargés d'encadrer les manifestations publiques et d'identifier les participants. Autant de signes envoyés à l'opposition démocratique pour l'intimider et lui faire prendre conscience des risques énormes que son entêtement fait courir au pays tout entier, et subsidiairement à ceux qui la composent. Le message est très direct et s'embarrasse à peine de précautions oratoires.
Il ne faut pas oublier non plus la réserve musulmane, une communauté que l'on travaille pour l'instant en coulisse et qui affirme haut et fort qu'elle revendique sa part du gâteau politique au détriment de tous ces chrétiens sortis tout droit des grands séminaire de l'Indépendance, pendant qu'elle suait eau et sang dans le petit commerce. Pour elle, avec une prévalence de 70 %, première religion du Burkina Faso, et sans doute la plus riche, le partage doit se faire, comme il a eu lieu dans les pays voisins, y compris dans les terres chrétiennes de feu Houphouet, peu importe qu'il se fasse par succession ou par alternance. Le clan présidentiel devine parfaitement qu'il y a là une mine d'or politique, mais ne sait pas encore comment mettre en œuvre cet appétit de pouvoir pour consolider les bases du régime et assurer la succession de Blaise Comparoé. Quand à l'opposition démocratique, c'est motus bouche cousue, tant les relations entre démocratie et religion sont un tabou...

Mettre en place un système de dissuasion civique

L'opposition démocratique ne peut oublier qu'elle est à la croisée des chemins et qu'elle va irrémédiablement vers un bras de fer où elle devra gonfler les muscles ou s'effacer. Oui, irrémédiablement, l'opposition démocratique va vers son Munich, où il lui faudra soit céder au chantage à la paix sociale, soit résister au coup de force qui se prépare. Si tu veux la paix (sociale) prépare la guerre (civique)... Voilà le dilemme qui doit hanter les jours et les nuits de tous ses dirigeants, car c'est eux qui devront bientôt le trancher, au nom du Peuple et de ses espoirs les plus intimes.
Et dans ce bras de fer qui s'annonce, la seule option est de mettre en place un système démocratique et civique de dissuasion. Voilà la vraie réponse, car dans la théorie de la dissuasion, ce que les militaires savent sur le bout des doigts, les armes dont on dispose sont justement là pour que l'on ne s'en serve pas, pour que personne de part et d'autre de la ligne de front n'ose le premier coup de feu. Devant le dispositif qui se met en place depuis quelques mois dans le camp présidentiel, l'opposition démocratique doit développer en urgence sa capacité de dissuasion civique pour que personne sur l'échiquier politique ne soit tenté d'aller au-delà de la constitution et ne se risque à un coup d'état, fût-il référendaire. Et s'il y a des lignes rouges à fixer, fixons-les, que tout le monde le sache. Nous plaidons pour que l'opposition démocratique n'attende pas d'être à nouveau devant le fait accompli, comme pour le sénat ou l'annonce d'un probable référendum. Il faut anticiper et couper l'herbe sous le pied du président, c'est une question de salut désormais.
Pour développer cette capacité de dissuasion civique, il faut rattraper un retard considérable, en finalisant un concept global, une stratégie, des tactiques opérationnelles, en réunissant des moyens et des ressources, et en occupant le terrain tout de suite. Mais c'est possible si la volonté commune y est. Nous l'avons déjà dit dans un article précédent, le nerf de la guerre, civique ou pas, c'est l'argent, il faut donc que les dirigeants de l'opposition démocratique commencent sérieusement à remplir les caisses pour que l'espoir reste possible.
Il faut aussi que l'on mette immédiatement les puissances étrangères devant leur responsabilité pour que cesse le chantage à la paix sociale et que le débat se déroule dans les règles qui existent et non pas dans celles que le clan Compaoré veut rédiger à sa guise. Aujourd'hui il faut être clair, si les choses dérapent comme elles ont dérapé en RCI, au Mali ou en Centrafrique, car la société burkinabè n'est pas exempte des mêmes maux et des mêmes tensions ethnico-religieuses, personne ne sait jusqu'où cela pourrait aller, mais en revanche tout le monde sait que le gendarme le plus prompt à s'interposer, parce que personne ne montre trop de précipitation en ce moment à venir faire le coup de feu en Afrique, c'est la France de François Hollande.
Prévenir plutôt que guérir, c'est encore possible à l'intérieur comme à l'extérieur, et il est certain que si des signes forts viennent de l'extérieur, cela disposera les forces en présence à l'intérieur à modérer leurs ardeurs et à préférer les urnes à la rue. Monsieur Hollande, grand ami en internationale socialiste de Monsieur Comparoé, doit pouvoir faire entendre ce discours de compromis dont il est le chantre dans le monde d'aujourd'hui, car lui plus que tout autre sait qu'un Munich burkinabè ne ferait que reculer une échéance, dont chacun finira par payer le prix fort. Il y aura un moment où, même si la Françafrique est morte, on ne pourra pas dire, ne serait-ce qu'en observateur obligé de la vie africaine : je ne savais pas, en voyant du sang sur des mains là où il y aurait dû y avoir un bulletin de vote...


Ouagadougou, le 30 Janvier 2014


Le Président du Comité Exécutif


Evariste. Faustin. KONSIMBO

 Commentaires