Décédé dans la nuit du 26 au 27 octobre 2012, Touré Adama, bâtisseur devant l’Eternel, a drainé une foule immense dans sa résidence et alentours le jeudi 1er novembre dernier à l’occasion de la cérémonie de doua du 7e jours. Représentants de partis politiques, autorités administratives, coutumières et religieuses, membres du gouvernement, anciens élèves, collègues, collaborateurs, enseignants, parents et connaissances, tous étaient là pour la circonstance. Lors de l’inhumation le 28 octobre dernier, qui fut à l’évidence très émouvante, des témoignages furent livrés. Nous en publions quelques-uns.
* Témoignage sur la vie du professeur Touré Adama, ancien secrétaire général du PAI, par Philippe Ouédraogo
Hier samedi, au petit matin, nous étions nombreux les camarades du Professeur Touré Adama, qui avons été brutalement réveillés, qui par un messager, qui par un sms le tirant de son sommeil, pour apprendre l’affreuse nouvelle : Touré Adama, notre camarade de lutte, avait quitté ce monde dans la nuit, sans même nous donner la moindre alerte sérieuse. Certes, beaucoup d’entre nous savaient que depuis le début de l’année 2012, il avait eu des soucis de santé, qui l’avaient conduit par deux fois en Tunisie pour recevoir des soins appropriés. Mais nous l’avions connu robuste, rarement alité, et il ne venait à l’esprit d’aucun d’entre nous, qu’il ne vaincrait pas, encore une fois, la maladie. Hélas, trois fois hélas, aux premières heures de ce samedi 27 octobre 2012, au lendemain de la commémoration du sacrifice d’Abraham, Touré Adama, notre camarade, notre frère, notre ami, notre conseiller, notre sage s’en est allé dans le lourd silence de la nuit, répondre à l’ultime appel de Dieu, son créateur. En s’effaçant de ce monde, il laisse une épouse et des enfants, qui malgré la profonde douleur qui les afflige aujourd’hui, ne mesurent peut-être pas encore, toute l’immensité de la perte qui les frappe. Il laisse aussi de nombreux parents et amis dans le désarroi, lui qui était pour beaucoup d’entre eux un conseiller avisé, une référence et un médiateur écouté et respecté. Car Touré Adama était, sans aucun doute possible, un grand homme, pas seulement par sa taille, mais par toutes ses qualités et son comportement social. Comme professeur d’Histoire, il a marqué profondément les générations d’élèves qui ont pu apprécier l’efficacité de sa pédagogie, sa connaissance et sa passion des périodes décisives dans la vie des peuples et des sociétés. Sa connaissance intime des faits, des séquences et des victoires de la Révolution d’octobre 1917, qu’il faisait partager à ses grands élèves des classes terminales, à l’Ecole normale, actuel lycée Bogodogo, et au Prytanée militaire du Kadiogo notamment, ont conduit ces derniers à lui donner le surnom admiratif et affectueux de « Lénine ». Professeur consciencieux, il était aussi un militant syndical actif au SNEAHV puis au SUVESS, clairvoyant et adversaire résolu des compromissions dévalorisantes auxquelles s’abandonnent trop facilement certains leaders syndicaux recevant leurs mots d’ordres d’hommes politiques opportunistes. Ces leaders étaient assurés de trouver en Touré Adama un militant qui traquerait et débusquerait leurs combines, pour la défense ferme et résolue des intérêts matériels et moraux des travailleurs. C’est ainsi qu’on le trouvera, cosignant au début des années 1970, avec son camarade Ali Pascal Zoungrana, un mémorandum constituant une analyse critique sans concession de l’état du syndicalisme voltaïque, ce qui leur vaudra à tous les deux l’un des premiers procès en diffamation du syndicalisme dans notre pays. Ses camarades du Parti africain de l’indépendance (PAl) dont il fut, à côté de Amirou Adiouma Thiombiano, l’un des fondateurs, sont conscients de la grande perte que représente pour eux la disparition soudaine de Touré Adama. Ceux qui furent ses premiers compagnons de lutte dans le PAl et qui sont encore présents, ceux dont il a orienté et guidé les premiers pas comme militants ou comme cadres, ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés, ceux qui l’ont plus connu par sa réputation que par sa proximité physique, tous savent ce qu’il a été pour son parti : un dirigeant dont l’intelligence, la culture politique, la fermeté des convictions, les capacités d’analyse, la faculté de motiver et d’entraîner, forçaient le respect et donnaient envie d’imiter. Lorsqu’il fut désigné comme Secrétaire général du PAl, après le décès de Amirou Adiouma Thiombiano, responsabilité qu’il a exercée de 1975 à 1990, il donna à l’activité et à la présence du parti dans le paysage politique national une force et un dynamisme nouveaux. Il demandait beaucoup à ses collaborateurs, mais prenait toujours aussi toute sa part de travail. Ainsi furent prises les mesures qui assureront le développement, la structuration et l’unité idéologique du parti. Durant cette période, furent aussi écrites les pages parmi les plus belles du mouvement populaire burkinabè, dans le cadre de concertations à l’initiative du PAl, et d’actions initiées soit par la société civile, soit par les syndicats, soit par les formations politiques. Touré Adama, c’était aussi la mémoire de son époque. Il avait un souvenir précis de toutes les situations qu’il avait vécues, de tous les récits qu’il avait entendus des anciens, de toutes les lectures qu’il avait faites. Il connaissait nombre des acteurs des évènements contemporains qui ont marqué l’histoire de notre pays, et n’hésitait jamais à les approcher et à échanger avec eux, même quand leurs points de vue différaient des siens. Connaître, échanger, analyser les évènements internationaux ou nationaux, réfléchir sur leur signification ou leurs conséquences, tels étaient les points qui constituaient la trame des conversations qu’il avait avec ses visiteurs. Comme dirigeant du PAl, il a beaucoup écrit, même s’il n’a publié qu’un seul ouvrage intitulé « Une vie de militant ». Beaucoup des nombreux amis et connaissances qui sont aujourd’hui présents pour l’accompagner à sa dernière demeure pourraient en témoigner, Touré Adama gardait précieusement et entretenait les amitiés qui ont jalonné sa vie, de son enfance à Kampti, de son adolescence à Bobo et à Ouagadougou, de sa vie étudiante à Dakar et de sa vie professionnelle. Car, malgré des apparences contraires. Il était très loin d’être un homme sectaire. S’il accordait beaucoup d’importance à la préséance des aînés, il discutait volontiers avec tous, quel que soit l’âge de l’interlocuteur. Sa grande capacité d’écoute, l’habitude de la réflexion et de l’analyse, l’appel à l’expérience et à sa connaissance des hommes, la facilité qu’il avait de rire des situations, lui donnaient les moyens de prodiguer des conseils avisés aux plus jeunes, des avis pertinents aux plus anciens et de conduire de manière sage sa famille et son entourage. Sa disparition est vraiment une grande perte pour sa famille, pour ses parents, pour ses amis et pour tous ceux qui le sollicitaient dans les diverses situations de la vie. C’est pour le pays, pour notre temps et pour tous ceux qui l’ont approché, un grand homme. Qu’il repose donc en paix car, il a fait, plus que largement ,sa part de travail dans sa vie sur terre. Que le Seigneur le reçoive dans son paradis et que la terre libre du Burkina qu’il a tant aimée, lui soit légère.
* Oraison funèbre prononcée par le représentant des élèves
Je prends la parole, au nom de tous mes camarades du Lycée de la Jeunesse, pour témoigner de ce que fut Papi pour nous. Aujourd’hui, nous devenons, par la force des choses, cette génération qui vous voit partir. Toutefois, nous savons bien Papi que des générations nous ont précédés et d’autres nous suivront. Alors nous comprenons qu’il nous revient la lourde tâche, le devoir de dire à la génération future ce que vous avez été. Nous leur dirons, cher Papi, que c’est en 1990 que vous avez porté sur les fonts baptismaux cette école. Que vous étiez animé, sans doute, par la volonté de magnifier la jeunesse africaine et de lui offrir un cadre d’expression, de formation et d’éducation. Que cette école est l’expression de votre âme, de votre vision, de votre foi en la jeunesse, de la grandeur de votre esprit, de votre force de caractère. Ainsi, grâce à elle, vous nous avez ouvert non seulement la porte du savoir, de la connaissance du monde, mais aussi vous nous avez ouvert votre cœur. Et dans ce cœur, nous y avons découvert de la sagesse, de la noblesse, de la grandeur, de la bonté, de la générosité, de la tendresse, de la rigueur. En somme, nous avons découvert que vous étiez la richesse. La richesse en ce sens que 30 mn à 1 heure après le début des cours, le bruit de votre véhicule nous annonçait votre arrivée. Comme une procession, vous passiez entre le bâtiment Hien Ancar à votre gauche les bâtiments Amadou Hampaté BA, Aké Assie et Abdou Moumouni à votre droite. Vous vous dirigiez ensuite vers l’ESUP et passant entre les bâtiments Askia Mohamed et Larlé Naaba Abga. Enfin, vous contourniez le bâtiment Amirou Thiombiano pour rejoindre votre bureau non sans regarder le bâtiment Joseph Ki-Zerbo et le terrain de sport. Ce parcours, nous le savions, était sacré pour vous. Il était la preuve de l’attachement, de l’amour, de l’affection que vous éprouviez à notre égard. Malgré la maladie, vous nous avez prouvé que nous étions la prunelle de vos yeux, l’essence de votre combat. Jamais vous n’êtes rentré au bureau sans vous soumettre à ce rituel. A l’heure de la recréation, vous refusiez de vous emmurer dans votre bureau pour être des nôtres. C’était pour nous des moments de communion, de partage. Si vous veniez vous baigner dans cette chaleur juvénile et innocente que nous dégagions, nous, nous venions trouver réconfort et nous abreuver à la source intarissable de vos expériences, de vos conseils guidés, de la sagesse que vous incarniez. Combien de fois avez-vous trouvé solution à nos problèmes de familles, de classes, de règlement de scolarité ? Contrairement à certaines idées, le lycée de la jeunesse n’était pas le creuset d’une classe de privilégiés. Comme tant d’autres, j’ai personnellement bénéficié d’un soutien matériel pendant mes moments difficiles. Le soir venu, et ce, malgré votre jubilé d’Alban, vous ne manquiez pas de nous rappeler que le sport était essentiel dans la vie. C’est ainsi que vêtu d’une tenue de sport et la serviette au cou, vous faisiez le tour des bâtiments et du terrain de football. Assis devant l’administration, vous nous regardiez regagner nos domiciles. Nous savions alors, Papi, que c’était votre façon de nous dire au revoir. Nous rentrions alors avec la certitude que votre esprit nous accompagnait et nous protégeait. Nous n’oublierons pas ces rassemblements devant le mât pour la célébration des indépendances des pays africains. Comme hier, nous entendrons résonner à jamais vos paroles édifiantes qui nous rappelaient l’histoire du continent. Même parti, nous vous entendons dire ces belles paroles du genre « En effet, c’est le 22 septembre 1960, sous l’instigation du panafricaniste Modibo Keita que le Soudan, actuel Mali, prit son indépendance » Aujourd’hui, Papi, vous rejoignez le panthéon des héros africains dont vous perpétuez les mémoires. Comme Kwame N’Krumah, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Augustino Neto, Amadou Hampaté Ba, Cheick Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo et la liste longue, vous devenez ce baobab africain que le cruel vent de la mort a fait incliner sans pouvoir déraciner. Malgré les soubresauts, sachez Papi que le rêve panafricaniste que vous avez nourri brûlera en nous. Car, comme le dit Biraogo Diop, les morts ne sont pas morts. Votre esprit vivra à jamais dans nos cœurs, dans ces bâtiments, dans ces arbres, dans cette sirène, dans ces lumières et brasseurs des classes, dans ces hymnes et montées des couleurs, dans ces photos de familles que vous nous laissez. Cher Papi, la jeunesse que nous sommes est fière de vous car, à travers nous, vous avez refusé d’être cette bibliothèque africaine qui brûle. Votre dernière demeure sera pour nous un lieu de recueillement, d’inspiration. Nous acceptons aujourd’hui d’être orphelins. Vous avez répondu à l’appel implacable d’Allah. Recevez par ma voix ce vibrant hommage de tous les élèves. Qu’Allah le Tout- Puissant vous accorde le repos éternel. Au revoir Papi Adama Touré, que la terre du Burkina et du Lycée de la Jeunesse vous soit légère. Amen ! Ont participé à la rédaction de l’oraison sous la direction de Monsieur Siaka Sanogo Professeur de Français au lycée de la Jeunesse Dieuguere Marius Tle A Diaré Sonassa Djénéba Tle A Sanou Leila Zeinab Sourwema Passaté Pierrette Tle A Sanfo Lorna Tle A Kaboré Fabiola Tle A Sawadogo Jessica Tle A Drabo Bassirou 1re A Ouoba Donald 1re A
* Oraison funèbre prononcée par le représentant des employés
J’ai commencé à travailler avec feu Adama Touré que j’ai toujours appelé le vieux, en octobre 1990. Le vieux était un homme qui avait de très grandes qualités : sérieux, respectueux et toujours à l’écoute de ses employés. Il était celui qui nous demandait constamment de faire notre travail avec beaucoup de sérieux et de professionnalisme ; c’est du reste, ce professionnalisme, qui lui a permis de bâtir l’un des plus grands établissements du Burkina Faso ; j’ai nommé le lycée de la jeunesse et l’ESUP jeunesse. Tu as été un père pour nous, tu nous as enseignés des valeurs et montrés la voie de la réussite. Nous allons nous battre pour pérenniser ces valeurs et ces enseignements. De ton vivant, tu as toujours œuvré à une entente entre Direction et employés, nous œuvrerons pour que cette entente puisse demeurer. Le vieux, que la terre bénie du Burkina Faso te soit légère ! Que le seigneur accorde à toi et à tes devanciers sa miséricorde et t’accueille dans son paradis ! Amen !
* Quelques réformes entreprises au passage d’Adama Touré au ministère de l’Information (1983 – 1984)
Honorables personnalités, Mesdames et Messieurs,
Je voudrais brièvement saluer la mémoire d’un homme qui fut mon Directeur à l’Ecole normale de Ouagadougou en 1969, et qui, en raison de sa foi dans la capacité des jeunes à s’assumer, a fait de moi le Secrétaire général du département lorsqu’il fut nommé ministre de l’Information dans le premier gouvernement de la Révolution d’août 1983. Je n’avais alors que 7 ans de service et à mes hésitations en réponse à son offre, il avait dit qu’il appartient justement aux jeunes de se préparer à faire leur part dans la construction du Burkina Faso. En un an de travail collégial, que de travail abattu avec le concours d’un personnel administratif et technique rompu à la tâche ! Les archives en font foi ! Outre l’acquisition de nombreux édifices au profit de nos services, permettez que je m’attarde sur la création de quelques structures sous le défunt :
un Conseil national de presse, sorte d’Ordre des journalistes et donc ancêtre de l’actuel Conseil supérieur de la communication ;
une Conférence nationale de l’information, une forme de CES de l’information qui devait aider à bâtir une politique de l’information et de la communication ; (Ces deux structures étaient encore en chantier au départ d’Adama Touré)
une Maison de la presse devant encourager les professionnels des médias à se solidariser davantage, et les jeunes à venir dans les métiers de la communication ;
une Direction de la publicité pour booster notre économie en faisant la promotion des produits de nos opérateurs économiques et soutenir les organes de presse toujours dans le besoin ; Enfin : la création du quotidien national Sidwaya, vingt quatre ans après l’indépendance de ce pays. Je terminerai en faisant remarquer que le nom Sidwaya a été proposé par le défunt ministre lui-même. C’était le nom d’un journal école du temps où il était élève au cours normal. Ce nom, en mooré, langue parlée par la majorité des habitants du Burkina Faso, a été retenu lors d’une séance de travail à trois : Le ministre Adama Touré, le Directeur de cabinet Houonne Théodule Dah, et moi-même, le Secrétaire général. Cela, après un constat d’insatisfaction : les propositions retenues par nos collaborateurs, suite au dépouillement des offres collectées auprès des professionnels et du public ne nous avaient pas paru pertinentes. Sidwaya signifiant « La vérité est venue » en mooré, nous avions pour argument que « la vérité est aussi révolutionnaire ». Les circonstances m’obligent aujourd’hui, à faire découvrir cet autre pan de l’histoire de notre pays, et à déplorer la perte d’un Grand Homme qui, en dépit des circonvolutions politiques du Faso, aura, somme toute, été un visionnaire, un homme qui avait foi en son pays et à sa jeunesse. Puisse les acteurs politiques de ce pays, chercher à composer avec les valeurs intrinsèques, les qualités des uns et des autres, plutôt que de s’attarder à se dénigrer et à se rejeter !
Ahmed Mamadou KONE, Journaliste, Secrétaire général du ministère de l’Information sous Adama Touré de 1983 à 1984
CURRICULUM VITAE DE L’ILLUSTRE DISPARU
I./ ETAT CIVIL
Nom : Touré Prénom (s) : Abdoulaye Adama Date de naissance : en 1936 Lieu : Kampti (Poni) Situation matrimoniale : marié père de sept (07) enfants Nationalite : burkinabè Adresse : Tél. : (D) 50 36 14 33/ (S) 50 36 40 32
II./ FORMATION 1959 : Baccalauréat philosophie 1964 : Licence Histoire et Géographie à l’Université de Dakar (Sénégal) 1966 : Diplôme d’études supérieures (DES) à l’Université de Dakar (Sénégal)
III./ EXPERIENCES PROFESSIONNELLES
1966-1967 : Professeur d’Histoire Géographie à l’Ecole normale de Jeunes filles (Thiès-Sénégal) 1967-1969 : Professeur d’Histoire Géographie à l’Ecole militaire préparatoire de la Haute Volta (Ouagadougou) 1969-1971 : Directeur de l’Ecole normale des instituteurs et institutrices de Ouagadougou 1971-1981 : Directeur des Etudes du Prytanée militaire de Kadiogo- Burkina Faso 1981-1983 : Directeur de l’Enseignement général et technique du second degré au ministère de l’Education nationale 1983-1984 : ministre de l’Information du gouvernement du CNR 1987-1989 : Membre de la cellule d’Histoire et de Géographie de l’Institut pédagogique du Burkina (IPB) Depuis 1990 : Directeur général des Ecoles internationales de la Jeunesse (Lycée de la Jeunesse et Ecole supérieure polytechnique de la Jeunesse ESUP-Jeunesse).