Dimanche soir, une nouvelle Constitution a été adoptée en Tunisie par l’Assemblée nationale constituante, moment historique pour le berceau du Printemps arabe. Dans le même temps, un nouveau gouvernement a été formé dans le but de sortir le pays d’une profonde crise politique et d’organiser des élections dans l’année.
Trois ans après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, la Tunisie a enfin une nouvelle Constitution. Dimanche 26 janvier, l’Assemblée nationale a adopté la loi fondamentale avec une majorité écrasante de 200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions, dépassant largement la majorité nécessaire de 145 votes.
Les élus ont célébré l’évènement en chantant l’hymne national, brandissant des drapeaux tunisiens et les doigts en signe de victoire. Ils ont ensuite scandé "fidèles, fidèles au sang des martyrs de la révolution" de janvier 2011, qui chassa Zine el-Abidine Ben Ali du pouvoir. "Nous sacrifions notre âme et notre sang pour toi, Tunisie", ont-ils également crié dans un moment d’unité rare dans cet hémicycle, marqué pendant plus de deux ans par les disputes, les échanges d’invectives et les controverses.
"Dans cette Constitution, tous les Tunisiens et Tunisiennes se retrouvent, [elle] préserve nos acquis et jette les fondements d’un État démocratique", a déclaré Mustapha Ben Jaafar, le président de l’Assemblée, qui avait annoncé juste avant le vote que "l’Histoire [retiendrait] avec beaucoup de fierté cette journée".
L’adoption de ce texte a été saluée par le secrétaire-général des Nations unies, Ban Ki-moon, pour qui la Tunisie vient de vivre une "étape historique", offrant un "modèle pour les autres peuples aspirant à des réformes".
Un exécutif bicéphale et une place réduite à l’Islam
La nouvelle Constitution consacre un exécutif bicéphale et accorde une place réduite à l’islam. Elle introduit aussi pour la première fois dans le monde arabe un objectif de parité homme-femme dans les assemblées élues. Ce compromis vise à éviter toute dérive autoritaire, mais aussi à rassurer ceux qui craignaient que les islamistes n’imposent leurs positions dans un pays à forte tradition séculière.
Élue en octobre 2011, l’Assemblée devait achever la loi fondamentale en un an mais les crises à répétition, opposant notamment les islamistes d’Ennahdha majoritaires et leurs détracteurs, ont été la cause d’un retard considérable. "Je me sens pour la première fois réconciliée avec cette Assemblée", a déclaré Nadia Chaabane, députée du parti Massar, opposée aux islamistes, en référence aux multiples controverses qui ont marqué les travaux de l’Assemblée constituante (ANC).
Ce lundi, deux cérémonies sont prévues, l’une ce matin à l’Assemblée où la Constitution sera paraphée par les dirigeants tunisiens, et une seconde, dans l’après-midi, à la présidence. L’adoption de ce texte intervient quelques heures après l’annonce de la composition d’un gouvernement d’indépendants devant conduire la Tunisie vers des élections législatives et présidentielle en 2014. Les islamistes d’Ennahdha ont en effet accepté de quitter le pouvoir pour laisser un cabinet politique sortir la Tunisie de la profonde crise déclenchée par l’assassinat du député d’opposition Mohamed Brahmi, attribuée à la mouvance jihadiste, en juillet dernier.
La compétence, l’indépendance et l’intégrité
Le nouveau gouvernement, qui doit recevoir, cette semaine, la confiance de la Constituante, a été composé par le ministre de l’Industrie sortant, Mehdi Jomaâ. Six semaines auront donc été nécessaires à la classe politique pour accepter de lui laisser les rênes. "J’ai formé ma liste sur la base de trois critères : la compétence, l’indépendance et l’intégrité", a-t-il annoncé, après avoir remis la liste des ministres au président Moncef Marzouki. Ce cabinet est "une équipe extraordinaire qui a conscience des défis", a-t-il ajouté, "la mission n’est pas facile", la Tunisie étant sans cesse déstabilisée par l’essor de jihadistes, les batailles politiques et les conflits sociaux, déjà moteur du soulèvement de 2011.
Le gouvernement regroupe aussi bien des hauts fonctionnaires, des magistrats que des personnalités venues du privé. Le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a par ailleurs été maintenu, bien que ses détracteurs aient lutté jusqu’au bout pour qu’il quitte ses fonctions. Mehdi Jomaâ a souligné enfin que "les élections représentent la priorité des priorités".
À ce titre, les travaux de l’ANC ne sont d’ailleurs pas finis puisqu’une législation électorale doit encore être adoptée. Par ailleurs, le gouvernement devra faire face à une situation économique très difficile, la croissance restant en berne et le chômage très élevé, notamment en raison de l’incertitude et de l’instabilité dans le pays depuis 2011. Des vagues de violences, nourries par la misère, éclatent régulièrement. La Tunisie, berceau du Printemps arabe, a cependant réussi, jusqu’à présent, à ne pas basculer dans le chaos.