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Sidwaya N° 7589 du 27/1/2014

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Histoire et liberté chez Kant : l’Abbé Pascal Kolesnoré propose une pensée philosophique « sans aspirine »
Publié le mardi 28 janvier 2014   |  Sidwaya




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Le jeudi 18 janvier 2014, Abbé Pascal Kolesnoré, docteur en philosophie morale et politique de l’Université Marc Bloch de Strasbourg a présenté l’ouvrage inspiré de sa thèse doctorale (soutenu en 2009) « Histoire et liberté : éclairages kantiens ». A l’Institut français, il a proposé avec beaucoup de pédagogie, une réflexion suivie en sept points que son mentor et président de jury, Mahamadé Savadogo, a qualifiée de très digeste et actuelle.

Le penseur que le Pr Savadogo Mahamadé a présenté comme son dauphin philosophique avait en face de lui dans la salle de conférence de l’Institut français de Ouagadougou, un grand public composé d’amis, de philosophes confirmés et en herbe. Et pourtant, personne n’a semblé être oublié à la fin de la présentation et du jeu des questions-réponses. L’ouvrage, malgré la hardiesse intellectuelle que requière l’expression de Kant a révélé l’actualité de sa pensée et la place plus qu’utile des philosophes dans la gestion de la cité. En des mots et phrases accessibles au commun de l’auditoire, l’auteur de « Histoire et liberté : éclairages kantiens » a présenté son livre et ne s’est pas dérobé à la soif du public d’avoir une contextualisation de sa pensée sur la situation sociopolitique du Burkina Faso.

La liberté, clef de voûte du système kantien

Tout le système kantien se déploie, selon Pascal Kolesnoré, à partir de l’idée de liberté. La liberté « sous-tend sa philosophie de la connaissance, son éthique, sa doctrine du droit, sa philosophie de l’histoire, son anthropologie et même sa philosophie de la religion », et offre de ce fait, une clef de lecture de l’ensemble de la philosophie de Kant. Mais, d’ « une clé de voûte, on est logiquement en droit d’attendre une clef de compréhension » s’est inquiété le penseur ; « or, la pierre de touche que représente la liberté constitue une véritable pierre d’achoppement » a-t-il poursuivi.
Pour l’abbé Kolesnoré, Kant lit le cours de l’histoire humaine comme un processus de réalisation de la liberté dans le monde. « L’histoire pour Kant est phénoménalisation de la liberté » a-t-il cité Alain Renaut. La réalisation historique de la liberté kantienne se révèle toutefois problématique car elle-même constitue un obstacle à sa propre réalisation.

L’obstacle même de la liberté

« De prime abord, rien ne prédispose la liberté kantienne à une incarnation historique. Et cette impossibilité tient d’abord à sa nature : elle est une idée transcendantale à laquelle recourt la raison humaine » a soutenu le spécialiste de Kant. Mais il constate que l’entendement humain cherche à expliquer tous les événements du monde. Alors, le philosophe allemand a eu recours au principe de causalité : tout effet dans la nature a une cause. Cependant, cette explication restait toujours relative et partielle car on ne peut remonter la série des causes à l’infini ; la raison étant soucieuse d’une appréhension complète des phénomènes. Il y aurait donc pour Kant « un commencement absolument premier, d’une causalité originaire qui serait cause d’effets sans être lui-même causée par quelque chose d’autre. C’est l’idée de liberté transcendantale » qui dépasse les limites de l’expérience et se situe dans le monde des noumènes, a expliqué l’abbé.

L’incarnation humaine de la liberté transcendantale

Kant opère un transfert de la liberté transcendantale dans le monde des phénomènes. En son autonomie morale de l’homme, il voit l’incarnation phénoménale de l’idée transcendantale de la liberté. C’est la liberté pratique, la réalisation de l’idée de liberté dans le monde, le Souverain Bien. L’homme doit façonner le monde pour en faire un monde d’êtres raisonnables. Il s’agit de parvenir à une « humanisation de la nature ». En un mot, l’homme doit assurer le triomphe universel de la liberté. « Le souverain Bien kantien a deux versants : un versant éthique et un versant politique. La réalisation du Souverain Bien politique suppose la mise en place d’institutions politiques où s’épanouit la liberté extérieure de tous, c’est-à-dire la liberté politique. Quant à la réalisation du Souverain Bien éthique, elle suppose la mise en place d’institutions où s’épanouit la liberté intérieure de chacun, c’est-à-dire la liberté éthique » a philosophé Pascal Kolesnoré. Un défi à relever.

La réalisation du souverain bien éthique sous la menace du mal radical

Pour Kant, l’homme est doté d’un libre arbitre. Celui du choix entre : réaliser la liberté par le respect de la loi morale ou opter pour le mal par le choix de la désobéissance. En l’homme kantien existe « une disposition originaire au bien mais un simple penchant au mal ». Et quand l’homme se décide à choisir délibérément le mal, il exerce sa liberté. Le mal dérive donc de la liberté, d’un libre choix. « C’est le paradoxe d’une liberté qui se renie, s’anéantit au lieu de se réaliser » selon Kant. Il ne lui reste plus comme recourt que la Providence divine : l’espérance.

La réalisation problématique de la liberté politique

Au plan politique, l’impératif ordre est confronté à soif de la liberté. Kant, d’entrée de jeu donne la priorité à l’ordre. L’homme exerce sauvagement la liberté naturelle, ce qui induit des relations humaines conflictuelles. Kant prône alors une domestication de cette liberté par la soumission de tous à un maître : l’autorité étatique. Mais, que l’on ne se méprenne pas car, pour lui, Il faut mêmement préserver la liberté des individus, par une constitution républicaine de l’Etat et avec pour principe fondamental la liberté : « consentement libre des citoyens à l’autorité politique » a-t-il précisé. Et, on le sait, les Etats bien que républicains se rapportent les uns les autres tout comme les individus entre eux à l’état de nature. Il s’ensuit antagonismes et conflits interétatiques. Comme solution, Kant propose une instance interétatique : la Société des nations (SDN). Face au risque de monarchisation de l’Etat universel, despotique et liberticide, le philosophe jette son dévolu sur une Fédération mondiale des Etats mais attribue la citoyenneté mondiale à tout homme. Ainsi, du fait de son appartenance à l’humanité, tout homme a le droit de circuler partout sur la terre, d’être accueilli sans hostilité en dehors de son Etat. L’homme kantien n’est pas seulement un animal politique. Il est aussi un animal cosmopolitique, sans frontière.

La question de l’actualité de la pensée de Kant

L’actualité du cosmopolitisme kantien ne fait pas de doute. La fondation de la SDN est bien d’inspiration intellectuelle kantienne dans sa visée, et même jusqu’à son appellation de “Société des Nations“ qui sont des termes proprement kantiens. Après elle, l’Organisation des Nations Unies (ONU) s’efforce d’instaurer un droit international dont les grandes lignes avaient été tracées par Kant.
En outre, l’émergence de formes multiples de mondialité politique peut être constatée : fin de l’apartheid, chute du mur de Berlin, naissance d’un espace public à l’échelle du globe, esquisse d’une opinion publique internationale, droits de l’homme et dignité de la personne humaine … « toutes choses qui sonnent comme un réveil du cosmopolitisme de Kant » actualisent selon l’abbé Kolesnoré, la pensée de Kant. Malheureusement, tout ceci rime avec les plus grands dénis de la liberté. Les deux guerres mondiales et leur cortège d’horreurs, la terreur des attentats terroristes, l’atrocité des génocides et des guerres civiles… font montre du caractère meurtrier du XXe siècle. Kant croyait possible de réaliser la paix mondiale par le droit, il n’en est rien.

Les éclairages de Kant sur les ambiguïtés éthico-politiques de notre temps

L’histoire humaine est alors paradoxale dans la vision de Kant. Il l’avait décelé dans l’événement de la Révolution française qu’il a qualifié de “signe historique“ car chargée de toutes les promesses de liberté, de démocratie, de consécration de des droits de l’homme. Et pourtant ! Cette révolution a versé dans la terreur. « Telle est au fond, la marque de l’histoire humaine, à la fois triomphe éclatant de la liberté et abîmes de la liberté » a commenté Pascal Kolosnoré. Mais fort heureusement, le constat ne s’arrête pas là : Kant s’est inspiré de l’expérience des drames du XXe siècle pour « penser et agir de telle sorte que cela ne se répète plus jamais », d’où le cloche-pied du philosophe ecclésiastique burkinabè sur l’actualité sociopolitique de son pays. La photo d’illustration en couverture de son ouvrage présente le monument aux martyrs de Tampouy, dans le but de « tirer un sens de la folie humaine cause des évènements dramatiques ». Il pense qu’il faut apprendre du passé des leçons et aptitudes à conjurer l’Extrême, le mal radical. Les remous dont les médias font leurs choux gras ces derniers temps au Burkina peuvent être interprétés comme des indices d’une remise en cause du contrat sociale, une aspiration à plus de liberté, à plus de démocratie. Le mal est plus profond que l’incivisme ambiant, a soutenu le philosophe.
L’auteur, abbé Pascal Kolesnoré est également titulaire d’une Maîtrise en Sciences politiques et sociales de la même université Marc Bloch de Strasbourg. Il enseigne la philosophie au Grand séminaire de Kossoghin (Ouagadougou) et les sciences politiques à l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest/ Unité universitaire de Bobo-Dioulasso. L’ouvrage de 306 pages est publié en 2013 et est disponible aux librairies Jeunesse d’Afrique et Diacfa au prix unitaire de 17 000 F CFA.

Thomas Dakin POUYA
pouyemtiim@yahoo.fr

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