Le cœur pétillant, soulagé, et avec l’envie de témoigner… C’est dans cet état que nous avons regagné Ouagadougou, récemment, de retour de la polyclinique Errahma, dans la ville de Mahdia au Sud-Est de Tunis. L’aubaine dont nous avons bénéficiée et qui a permis de nous mettre d’aplomb suite à une intervention chirurgicale du cœur, nous pousse à briser l’habituel silence observé dans de pareil cas. Récit d’un patient de retour au bercail.
La dernière partie d’une cohorte de malades évacués sur la Tunisie en mi-septembre 2013, est rentrée le 28 novembre dernier. Ce que nous avons vécu n’est peut-être qu’une infime partie de l’iceberg connue par de milliers de nos concitoyens.
Par le passé et aujourd’hui encore, les évacuations sanitaires à l’étranger constituent une source récurrente de suspicion au sein de l’opinion publique nationale. Pour les uns, c’est une affaire de copains bien placés qui traficotent pour s’octroyer des faveurs, permettant d’aller se soigner à l’étranger, parfois pour de petits « bobos ». D’autres en ont « fait leur miel », arguant que les évacuations n’interviennent que si les malades sont agonisants.
Ils ont parfois des raisons de le croire, puisque les exigences de confidentialité relative à la santé de tout citoyen font que l’on communique très peu en la matière. Et pourtant, on peut mieux comprendre la politique des évacuations si l’on quitte la posture des auteurs de polémiques et de prises de position passionnelle. On s’aperçoit alors des efforts fournis par le gouvernement. Un coup d’œil sur les délibérations du Conseil des ministres du 26 juin 2013.
En cette séance, le gouvernement a, en effet, adopté un rapport relatif à la situation des évacuations sanitaires à l’extérieur du Burkina Faso. Il ressort de ce rapport que le Burkina Faso a fait 106 évacuations en 2011 et 167 en 2012, soit une augmentation de 57,5%. La prise en charge a coûté en 2011, la somme d’un milliard deux cent vingt six millions six cent trente deux mille neuf cent trente huit (1 226 632 938) F CFA et en 2012, un milliard deux cent quarante huit millions quatre vingt cinq mille deux (1 248 085 002) F CFA.
Ce rapport, qui n’a pas passé sous silence les difficultés rencontrées dans la gestion de ces évacuations sanitaires, propose des solutions, avec un plan de mise en œuvre.
Les raisons du recours à l’étranger
Certes, la santé relève du social mais les actes, qui la régissent, prennent souvent une dimension politique. La gestion des évacuations de malades à l’étranger n’y échappe guère.
Ainsi, certaines maladies rares nécessitent que le gouvernement ou des individus bien nantis, s’adressent aux hôpitaux étrangers pour des soins appropriés.
Selon le Pr Y Abel Bessin Bamouni, secrétaire permanent du Conseil national de santé (CNS), les évacuations sanitaires vers la France, précisément à Paris, datent depuis le temps du Dr Levasseur… Elles se sont progressivement réorientées vers la Côte d’Ivoire avant de s’étendre au Maghreb en 2008.
Cet élargissement du champ d’évacuation est intervenu à la faveur d’une réorganisation des conventions de partenariats avec les structures d’accueil. Dans ce cadre, les premières conventions de partenariats ont été signées en 2008 avec la France, le Maroc en 2011, la Polyclinique Errahma en Tunisie en 2012. Par ailleurs, des partenariats ont été conclus avec plusieurs autres pays en 2013 : (Polyclinique Anne Marie en Côte d’Ivoire, SGMC au Ghana, l’hôpital américain de Paris, etc.). « L’objectif visé est de diversifier nos partenaires à la recherche des soins de qualité à moindre coût », a justifié le Pr Bamouni.
Ainsi, en 2013, au total, 50 patients ont été évacués sur la France, pendant que vers le Maroc on en dénombre 43, vers la Tunisie 41 dont 22 sur Errahma... On note cependant que des médecins burkinabè sont réticents aux évacuations vers les pays du Maghreb. La raison est la méconnaissance des plateaux techniques de ces pays et la qualité des médecins de cette région de l’Afrique. « Cela s’explique par le fait que presque tous nos spécialistes ont été formés en France », estime le Pr Bamouni.
Le coût moyen d’une évacuation vers la Tunisie est d’environ dix millions (10 000 000) de francs CFA par patient contre vingt cinq millions (25 000 000) de francs environ suivant la pathologie en France. Au Maroc, en fonction de la pathologie, ce montant est en moyenne de dix huit millions (18 000 000) de francs CFA.
En ramenant le problème au plan national, on peut affirmer que les médecins burkinabè sont tout aussi compétents que leurs collègues d’ailleurs en général et ceux de la Tunisie en particulier. Le problème réside surtout dans l’équipement en matériel adéquat des formations sanitaires. Travaillant avec des moyens presque rudimentaires par rapport à l’étranger, on peut dire que du point de vue formation, nos praticiens de la santé peuvent être fiers de leur pratique professionnelle.
Le médecin c’est avant tout le diagnostic. Celui posé à Ouagadougou par le Dr Jean Yves Toguiény n’a pas été démenti par ses collègues de Tunisie qui disposent d’équipements sophistiqués. C’est la preuve que nombre de nos praticiens de santé accomplissent des prouesses avec des plateaux techniques vieillots, voire inexistants.
Il faut donc saluer l’effort fourni par nos médecins qui œuvrent chaque jour pour surmonter l’inadéquation criante des moyens par rapport aux soins à administrer.
Certes, le niveau d’équipement de nos formations sanitaires limite la prise en charge adéquate sur place de certaines maladies. Mais les critiques des usagers par rapport aux services rendus constituent entre autres, des raisons qui justifient certaines évacuations à l’étranger.
La route de la “chance”
Tout citoyen burkinabè peut bénéficier d’une évacuation sanitaire au compte du Ministère de la santé. Dans les faits, pour accéder aux soins à l’étranger, il faut gravir au moins trois marches.
D’abord, un collège de médecins approuve la proposition d’évacuation présentée par le médecin traitant. Le deuxième palier à franchir est que ce dossier soit approuvé par le Conseil national de santé, dont le Pr Bamouni en est le secrétaire permanent. Présidé par le secrétaire général du Ministère de la santé, ce conseil compte, en son sein, des médecins d’expérience avérée tels que le Dr Amedé Prosper Djiguimdé, Dr Jean Paul Kaboré et le Dr Larba Théodore Kangoye, présentement à la retraite.
La dernière marche, le nerf de la guerre, c’est-à-dire les ressources disponibles dans le budget de l’Etat pour financer le coût de l’évacuation, est franchie par coup de chance. Certains patients éligibles en savent bien de choses, eux qui ont dû attendre des années, avant d’être évacués.
Au-delà de tout, il faut que la maladie nécessitant l’évacuation affecte un organe vital du corps humain. En ce moment, le patient s’inscrit au rang de malades prioritaires.
Sans doute que nous remplissions ces critères pour être retenus par la décision du Conseil de santé en date du 6 août 2013 pour le départ de Ouagadougou sur la Tunisie, le 14 septembre. Nous rendons grâce aux contribuables burkinabè.
Retenu pour voyager assis et sans accompagnant, l’auteur de ce témoignage, voit surgir une chance inouïe à la veille du départ du fait que son médecin traitant est de la partie. Une aubaine ! Même si le contexte complique l’emploi du mot. L’état gravissime d’une patiente membre de la cohorte de malades à évacuer, nécessitait l’accompagnement d’un médecin. Ainsi, Dr Toguiény faisait partie du voyage. Cette présence, tout en nous rassurant, a surtout facilité notre déplacement, en contribuant à résoudre certaines questions administratives.
De Ouagadougou à la polyclinique Errahma, à environ 200 Km de la capitale tunisienne, en passant par Casablanca et Tunis, le Dr Jean Yves Toguiény, a tenu sa patiente à bout de bras. A chaque étape, le soutien du docteur à la malade nous a maintes fois ramenés à l’esprit cette perception de Dominique Ingres : « Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s’ils ne peuvent pas guérir ensemble ».
Au nombre de quatre malades ayant quitté Ouagadougou aux premières heures du 14 septembre, trois ont été acheminés à Mahdia. Il s’agit d’une dame, agent itinérant de santé de son état, en service à Zagtouli/Ouagadougou, une autre, relevant de l’association Belwett et celui qui trace ces lignes.
Enfin, le quatrième patient, une dame, se déplaçant par ses propres moyens, est restée à Tunis.
A destination, un complexe médico-chirurgical, la polyclinique Errahma.
Nous y avons trouvé un agent de la Société nationale de gestion des stocks de sécurité (SONAGESS), arrivé il y a une dizaine de jours plus tôt, pour une intervention chirurgicale liée à l’ORL. Les jours suivants, nous avons rencontré plusieurs autres compatriotes dont un agent de la police nationale. Et la liste est bien longue.
Pour notre part, nous y avons bénéficié d’une opération ayant permis de traiter les deux valves du cœur. Un mois de traitement a suffi pour nous remettre d’aplomb. Ce que nous avons vécu dans cette clinique nous invite, par émotion, à recourir à ce que les Grecs et les Romains appelaient la « Pratique de l’éloge ». Cet éloge va directement à l’expérience réussie d’Errahma.
Au service de cet hôpital, le personnel, principalement de sexe féminin, a pour dénominateur commun, « l’amour du travail bien fait ».
Ici, médecins et infirmières sont particulièrement accueillants, toujours prêts à répondre aux sollicitations des malades de jour comme de nuit. En observant leur dévouement au sein de cette clinique, il y a bien de choses dont on peut se réjouir. Si à l’accueil on est impressionné par le don de soi, sur les plateaux de soins, on est séduit par l’humilité du personnel soignant. Oui ! La politesse et l’amour du prochain m’ont laissé un souvenir impérissable. En effet, chaque membre de l’équipe soignante s’oblige à dire au revoir aux malades avant de partir de la clinique et passe de chambre en chambre pour le bonjour à la reprise de la garde. Les filles chargées de la propreté des salles d’hospitalisation ne sont pas en reste de ce comportement vertueux. N’allons pas demander autant chez leurs sœurs du Burkina Faso, surtout à l’hôpital national. Arrivant comme fâchées contre les malades qu’elles n’hésitent pas à bousculer au passage, ces filles de ménage passent de chambre en chambre en jetant l’eau savonneuse avec négligence sur les effets des malades et repartent précipitamment sans avoir véritablement nettoyé les lieux. Face à de tels comportements, l’hospitalisation à Errahma ne cesse de nous procurer un agréable souvenir, difficilement oubliable.
Nous avons ressenti le soulagement dès le jour de l’intervention chirurgicale qui a eu lieu le 21 septembre. Puis s’en est suivie une dizaine de jours de soins intensifs à la section réanimation où nous avons été l’objet de toutes les attentions. Matériels de suivi informatisés et sophistiqués, un service de garde soutenu par un personnel en veille permanent. Le patient ne manque de rien.
On comprend à ce sujet la tentation qui est la nôtre de l’utilisation inflationniste du mot ‘’efficacité’’ en parlant des praticiens de santé tunisiens.
Cependant, tout n’est pas rose dans cette clinique, à commencer par le problème de langue (le français n’étant pas la langue la mieux parlée par le personnel de soutien). En s’intéressant aussi au confort des douches, on déchante en voyant çà et là, l’eau de toilette s’échapper pour envahir la salle d’hospitalisation.
De Yalgado en 2009 à Errahma en 2013
C’est en 2009 que des douleurs au cœur nous ont contraint à l’hospitalisation à l’hôpital Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou. Après une petite semaine de soins, nous avons dû rejoindre le domicile, chassé par les inondations du 1er septembre 2009. Dès lors, nous avons bénéficié du suivi médical d’un cardiologue, Dr Jean Yves Toguiény, tantôt à l’hôpital national, tantôt en clinique. Ainsi, s’est-il instauré entre nous, un contact permanent.
Dr Toguiény, plus qu’un médecin, est surtout un humaniste aux qualités énormes qui voit au patient non pas un simple client, mais un être humain ayant besoin de soins et d’accompagnement. Son amour pour son prochain et sa conscience professionnelle lui ont construit une réputation de médecin efficace. Sans la rencontre avec ses talents, nous ne serions peut-être pas ce que nous sommes aujourd’hui.
En effet, dès le diagnostic posé en 2009, il en déduit que « pour être soulagé durablement, il faut une intervention chirurgicale ». Ce qui n’est envisageable qu’à l’étranger.
Donc pour guérir, il faut disposer de beaucoup d’argent soit par ressources propres ou bénéficier d’une évacuation sanitaire par le biais du Ministère de la santé. En attendant, nous avons dû vivre avec la maladie dans l’inquiétude en espérant une main divine pour nous sortir du risque de voir s’arrêter du jour au lendemain, cet organe vital, qu’est le cœur. Il fallait donc faire sienne cette pensée de St François de Sales : « Les maladies du cœur, aussi bien que celles du corps, viennent à cheval et en poste, mais elles s’en vont à petit pas ».
Ainsi, durant quatre années, des périodes de crise ont succédé aux instants de soulagement. Au bout du compte, la situation est devenue si critique, durant le premier semestre de 2013, que nous avons été fortement perturbé dans nos activités professionnelles. Le mal s’aggravant au fil des jours, sur un sujet entrant dans le troisième âge, l’intervention chirurgicale est alors devenue incontournable. C’est alors que le collège de médecins de la cardiologie de l’hôpital Yalgado Ouédraogo a accepté de soumettre un dossier d’évacuation au Conseil national de santé. Lequel a été approuvé le 6 août 2013 en nous plaçant ainsi sur la voie de la recherche de la guérison.
Au plan national, si l’on observe bien le niveau de développement du système sanitaire, il n’est pas utopique d’espérer que bientôt, des malades du cœur puissent être opérés sur le sol burkinabè, au sein de structures hospitalières publiques ou privées. Déjà, l’hôpital Blaise Compaoré a le profil de la tâche, aux dires de spécialistes de la question. Et nous pourrons le vivre rapidement, pour peu que nous sachions préserver les acquis qui font du Burkina Faso, un havre de paix pour nous et pour les générations futures.