Comment parvenir à un cessez-le-feu dans le conflit fratricide qui déchire, depuis trois semaines, le Sud-Soudan ? En dépit des pourparlers de paix engagés depuis le dimanche 5 janvier 2014, à Addis-Abeba, en Ethiopie, le mercure ne cesse de monter dans l’ancienne province du Soudan. Les forces régulières du président Salva Kiir continuaient mardi, leur avancée sur la ville stratégique de Bor, capitale de l’Etat oriental du Jonglei, tenue par les rebelles de l’ex-vice-président, Riek Machar. En clair, les négociations piétinent parce que chaque partie veut consolider ses positions sur le terrain afin de discuter en situation de force. Les deux principaux points sont le cessez-le-feu et la libération des prisonniers proches du leader de la rébellion. Et pour que les uns et les autres atteignent leurs objectifs, Il faut s’attendre à ce qu’ils observent la politique de la chaise vide, s’ils ne s’adonnent pas à des discussions creuses. Cela, pour croquer le marmot afin de permettre à leurs troupes de conquérir des places fortes qui vont peser sur la balance des négociations. A écouter le ministre sud-soudanais de l’information, Michael Makuei, on ne peut que douter de la volonté réelle de parvenir à un rapide arrêt des hostilités. Il a justifié le départ d’Addis-Abeba d’une partie de la délégation gouvernementale. « Il n’y aura pas de négociation directe avant qu’ils ne reviennent », s’est-il fendu. La visite, lundi, du président du Soudan, Omar el Béchir, l’« ennemi héréditaire », a dû mettre du baume au cœur de Salva Kiir, conforter dans la guerre pour restaurer son autorité face aux insurgés. Certes, l’ancien adversaire d’un demi-siècle, puisque le Sud-Soudan s’est détaché des griffes du Soudan après 55 ans de lutte, lui apporte un soutien politique et militaire. Mais, en réalité, le geste du président Béchir est surtout stratégique, lui qui veut préserver la manne que verse Juba à Khartoum pour le transit du pétrole pour l’exportation. Or, actuellement, plusieurs champs pétroliers sont tombés entre les mains des rebelles de Riek Machar. Il serait même question pour les deux dirigeants de constituer une force commune pour protéger les puits de pétrole et sécuriser l’écoulement des 350 000 barils/jour. Dans tous les cas, il se profile une victoire amère à l’horizon. Khartoum pourra faire hausser les enchères. De plus, le pacte avec le Soudan sur le dos d’un compatriote pourrait fragiliser, à long terme, l’actuel homme fort de Juba et marquer davantage une division ethnique du pays.
Au regard de cette donne, pour l’intérêt supérieur du jeune Etat qui a acquis son indépendance le 11 juillet 2011, le président Salva Kiir et son rival, Riek Machar, doivent mettre sous le boisseau leurs querelles personnelles et s’apitoyer sur le sort de leurs compatriotes meurtris. Depuis le 15 décembre 2013, le conflit a déjà fait des milliers de morts et près de 200 000 déplacés. A la catastrophe humanitaire s’ajoute la fracture ethnique entre les Dinka de Kiir et les Nuer de Machar.
L’Afrique n’a pas besoin d’un autre conflit à la dimension inter-communautaire sur le continent, comme celui de la Centrafrique, que la France et les Etats d’Afrique centrale tentent de contenir. Qui viendra sauver le Sud-Soudan pris en otage par l’ego de ses dirigeants ? L’Union africaine, les Nations unies, les pays partenaires comme la Chine ? A l’évidence, la situation pourrait empirer avec un risque d’épidémie. Médecins sans frontières (MSF) tirait mardi, la sonnette d’alarme, estimant que « les plus vulnérables le sont devenus encore plus ». « Nous ne savons pas ce qu’il va advenir à des milliers de déplacés et de blessés à travers le pays », a fait savoir l’ONG, en mettant en garde contre le risque de développement d’épidémies.
Vivement que Salva Kiir et Riek Machar entendent l’appel lancé par l’une des personnalités religieuses les plus respectées du Sud-Soudan, Mgr Daniel Deng Bul « Nous avons besoin de paix dans ce pays. Ces frères et ces sœurs qui sont assis à Addis-Abeba, nous leur disons que nous n’avons pas besoin de guerre (…) ; ce conflit est insensé » ! Il est donc temps que les uns et les autres se mettent au sérieux pour faire aboutir les pourparlers, en levant les doigts sur la gâchette.