Après avoir claqué la porte au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), à travers une lettre ouverte adressée à Assimi Koanda, premier responsable du parti au pouvoir, Roch Marc Christian Kaboré, ci-devant président du mégaparti et de l’Assemblée nationale, et ses camarades démissionnaires se sont retrouvés hier mardi 7 janvier 2014 à Azalaï hôtel Indépendance. «Féliciter l’ensemble des camarades pour avoir eu ce courage patriotique», tel était l’objet de cette rencontre à huis clos, marquée tout de même par une présence massive de la quasi-totalité des médias de la place. Des invités surprises qui sont parvenus à arracher des mots aux têtes d’affiche de ce mouvement, en l’occurrence Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré.
Dès 9h, les journalistes qui ont eu l’information sur la rencontre des démissionnaires du CDP ont commencé à converger vers l’hôtel Azalaï Indépendance. Pour certains, il s’agit d’une conférence de presse ; mais d’autres laissent entendre qu’il est question d’une rencontre à huis clos entre les démissionnaires. Entre-temps, Simon Compaoré, ancien patron du CDP au Kadiogo et ex-maire de la capitale, est aperçu dans les couloirs. Comme à son habitude, il est à l’heure ; mieux, il est en avance. La dizaine de pisse-copies que nous sommes l'abordent.
- «Bonjour, Monsieur le maire ! comment allez-vous ?»
- Je vais bien, même si je boitille…», répond-il en serrant la main des uns et des autres.
Puis il nous fait comprendre qu’il s’agit d’une réunion interne à laquelle les médias ne sont pas conviés. Mais dans leur calendrier, il est prévu une rencontre avec les journalistes qui se fera dans les règles de l’art. Puis s’ensuit une mini-conférence de presse, mais plutôt informel (Lire encadré 3).
Au fil du temps, le nombre de participants à la rencontre grossit, et la salle prévue pour accueillir la «Réunion Alassane Kaboré», puisque c’est ce qui était écrit à l’entrée, commence à se remplir. Le ballet devient de plus en plus rythmé : le Pr Jean Baptiste Ouédraogo ; Raymond Edouard Ouédraogo, le REO national ; Paul Ismaël Ouédraogo ; Jean Marc Bado… Salif Diallo, puis Roch Marc Christian Kaboré. Et hop, on ferme la porte à clé. Les retardataires sont obligés de frapper pour entrer. Pendant que nous faisons le pied de grue, arrive Kader Cissé, ancien commissaire régional du parti au pouvoir dans le Sahel. Quelques minutes plus tard, un émissaire rassemble le gotha de journalistes pour leur dire que les vedettes du jour s’adresseront à eux dans trente minutes. L'attente ne sera donc pas vaine.
C’est finalement au bout de trois quarts d’heure d’attente que les confrères ont enfin du grain à moudre. C’est Roch qui vient vers nous pour une interview qui s’avère un mini-point de presse. Après lui, c’est Salif Diallo qui est obligé de répondre aux journalistes à la sortie de la réunion. Lire encadré 1 et 2.
M. Arnaud Ouédraogo
Voici respectivement en encadré 1 et 2 ce que les deux gourous ont confié à la sortie de leur conciliabule.
Encadré 1
Roch Marc Christian Kaboré, porte-parole du mouvement des démissionnaires :
«Je fais mon mea culpa»
Quel était l’objet de cette réunion ?
Nous avons tenu cette activité pour surtout féliciter l’ensemble des camarades pour avoir eu ce courage patriotique de participer à ce mouvement au sein du parti parce qu’il s’agit de l’intérêt du Burkina Faso, de la paix sociale dans notre pays, de la stabilité et de la conservation des acquis aussi bien démocratiques, économiques que sur le plan social que nous avons engrangés depuis l’avènement de l’Etat de droit dans notre pays.
A quand votre parti politique ?
Nous n’avons pas pour l’instant décidé de cela, mais je pense que vous aurez l’information en temps réel lorsque ça se fera. Pour l’instant, nous n’en sommes pas à ce stade.
Que répondez-vous à ceux qui vous rappelleront que vous avez dit autrefois que la limitation des mandats présidentiels était antidémocratique ?
L’erreur est humaine, et en tout état de cause je fais mon mea culpa en ce qui concerne cette affirmation. Ce qui est important, ce n’est pas de voir l’erreur qui a été commise, mais de voir qu’aujourd’hui plus que jamais nous considérons qu’il faut faire l’économie de ces réformes concernant l’article 37 et la mise en place du Sénat.
Vous pensez donc qu’il ne faut pas modifier l’article 37…
Pour nous, évidemment, il n’y a pas de possibilité de modifier l’article 37.
Simon Compaoré a déclaré que vous n’avez pas de problème avec Blaise Compaoré. Pouvez-vous en dire autant ?
A titre personnel, nous n’avons rien ni contre Blaise Compaoré ni contre un militant du CDP. Notre démission n’est pas un problème personnel. Nous avons un problème au sein de notre parti pour des questions politiques. Nous estimons qu’il est nécessaire aujourd’hui que nous apportions notre modeste contribution à la vie de la patrie.
Nous sommes prêts à toute discussion avec tout parti politique.
Si on devait revenir au sein du parti, on en aurait déjà discuté depuis longtemps. C’est parce qu’on n’a pas pu mener cette discussion au sein du parti que nous sommes partis. Maintenant, si nous devons nous rencontrer, c’est dans un autre cadre. Nous discuterons de parti à parti éventuellement.
Allez-vous rencontrer le chef de file de l’opposition ?
Obligatoirement, nous rencontrerons tout le monde. Nous lui dirons pourquoi nous sommes partis, nous expliquerons pourquoi notre mouvement et nous expliquerons aussi quel rôle nous entendons jouer au plan national.
Allez-vous participer à la marche-meeting de l’opposition le 18 janvier prochain ?
Le 18, c’est dans quelques jours, vous aurez l’occasion de le savoir.
Est-ce que d’autres membres du BPN vous rejoindront ?
L’histoire nous le dira.
Encadré 2
Salif Diallo, ancien commissaire régional du CDP au Nord : «Assimi, c'est mon oncle et je l'aime bien, mais...»Salif Diallo :
Salif Diallo :
Quels commentaires faites-vous des démissions qui ont suivi les vôtres au Yatenga ?
Ecoutez, je viens d’arriver à Ouagadougou, le mouvement dans le Yatenga traduit le ras-le-bol des militants. Je ne crois pas à la rupture individuelle, ce sont des prises de positions collectives concernant des problèmes nationaux et des gens se prononcent. Je travaille à l’étranger, mais je suis l’actualité nationale de mon pays. Attendez qu’on crée notre parti et nous allons vous donner les grandes lignes de notre action.
Salif Diallo opposant au régime, est-ce vraiment possible pour lui qui a été l'un des principaux architectes de la "Maison Compaoré" ?
Que ce soit le président Compaoré ou les autres camarades qui sont restés de l’autre côté, on était d’accord sur une plateforme politique et idéologique. J’estime que ce n’est plus la plateforme sur laquelle on a créé le CDP qui est en cours là-bas. C’est aussi simple que ça. Le CDP a été créé sur des bases démocratiques minimales. Cette plateforme n’est plus respectée, vous voulez qu’on fasse comment ? Ce n’est pas une question d’individu.
Avez-vous un problème avec Assimi Kouanda ?
Assimi, c’est mon oncle et je l’aime bien, mais il ne respecte pas la plateforme sur laquelle nous avons fondé le CDP.
Et avec Blaise Compaoré ?
Non, pas du tout. Nous avons un problème politique avec le CDP et la pratique actuelle du parti.
Quand vous avez rencontré Blaise Compaoré, que vous a-t-il dit ?
Nous avons discuté avec le président Compaoré. Notre position est claire. Pour ce qui concerne le fonctionnement du CDP, la plateforme initiale sur laquelle nous avons bâti le parti a été trahi. Et nous sommes en devoir de le rappeler. A plusieurs reprises, nous avons attiré l’attention sur le fait que la manière et la pratique ne concordent plus avec nos engagements initiaux. Comme on est en droit d’attirer l’attention et de faire des critiques internes. Si ça persiste et ça continue, il ne nous reste qu'à partir.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
Sur le Sénat, ma position a toujours été claire. Je crois que j’ai été parmi les premiers à proposer un Sénat à l’époque. Pour moi, le Sénat devait se faire dans un cadre de régime parlementaire, comme un contre-pouvoir. Je n’ai jamais dit de construire un Sénat dans le régime présidentiel d’aujourd’hui qui n’apportera pas plus de démocratie. Si c’est pour y ranger les anciens combattants pour qu’ils participent à la soupe, ça ne fait pas notre affaire.
Pourquoi s’afficher maintenant ?
Les gens n’ont pas les mêmes convictions au même moment. Moi, je n’ai pas ma langue dans ma poche. Quand il s’agit de défendre mes idéaux, mes convictions politiques, je donne mon point de vue.
L’affaire Boukary Dabo est revenu récemment au-devant de la scène, et votre nom a été cité. Avez-vous quelque chose à voir dans l'assassinat de cet étudiant en médecine au début des années 90 ?
Je vous dis très sincèrement que je n’ai rien à voir avec l’affaire Dabo Boukary. Le jour des émeutes, j’étais à Ouagadougou. Je suis parti sur le campus. J’ai vu les émeutiers et les militaires aux prises. L’après-midi, sur demande du MBDHP, notamment de Halidou Ouédraogo, je suis personnellement intervenu auprès du président de la République pour qu’on libère les premiers arrêtés. Je me suis rendu au Conseil en présence du Pr Lengani Alain et de Halidou Ouédraogo, et les enfants ont été libérés. Le lendemain, je partais en mission à Bamako, et les émeutes se sont poursuivies. Les enfants ont été arrêtés par la suite et je n’étais pas au Burkina Faso.
Pourtant, à en croire le président de l’ANEB de l’époque, quand vous êtes arrivé, vous avez ordonnez la répression et des arrestations…
C’est faux. C’est de la propagande. J’ai des témoins. Quand je suis arrivé, j’étais arrêté sous un arbuste avec le Pr Yonaba Sani, parce que la route était barrée jusqu’à la Faculté de droit. Vous pouvez aller lui posez la question. Je n’ai ordonné l’arrestation d’aucun étudiant.
Etes-vous prêt à travailler franchement avec Roch qui vous a fait sanctionner par le passé et qui avait dit à votre sujet qu'un loup ne deviendrait jamais un agneau ?
Roch ne m’a pas sanctionné par le passé. J’ai eu une prise de position. J’avais des points de vue idéologiques. C’est dans la méthode, et peut-être que j’avais plus d’informations que lui, et on ne s’est pas entendu. Mais fondamentalement sur la démocratie et la République nous sommes d’accord.
Encadré 3
Pour Simon Compaoré, il faut savoir reculer quand on a tort
Pour Simon Compaoré, il faut savoir reculer quand on a tort
Simon Compaoré
"Aujourd'hui on mène Blaise en bateau"
Lorsque l’ancien maire de la capitale parle de la décision que lui et les autres ont prise de quitter le navire battant pavillon CDP, c’est avec une certaine amertume mêlée d'inquiétude. «Vous savez, j’ai peur de l’évolution des choses. Vous savez bien que si on cherche trois bibèèga (NDLR : brave, dur à cuir) dans ce Burkina, j’en fais partie. Mais si un bibèèga a peur, c’est que l’évolution des choses est mauvaise», confie-t-il. A écouter l’enfant terrible de Mankougdougou, il a été écœuré de lire quelque part qu’il ne s’agit que de 75 démissions sur plus de 400 membres du BPN. «Celui qui a dit ça n’est pas informé ; c’est 75 membres, mais pas des moindres, du Bureau politique national, et il y en a qui n’ont pas pu signer la liste», ajoute-t-il. Pour Simon, lui et ses compagnons dissidents sont à la base du projet de Sénat et de modification de l’article 37, mais ils ont dû se rendre compte du désaveu de l’opposition et du peuple dans son ensemble. Et la vertu humaine, la sagesse, commandent dans ce type de situation que l’on recule. Mais au-delà de cela, eux qui ont bâti la maison CDP sont aujourd’hui ignorés et mis à l’écart. Et ils ne prendraient connaissance des grandes décisions que dans la presse. «Pourtant ils disent que nous sommes conseillers, mais conseillers de mon c… oui ! Ça fait mal de voir son œuvre ainsi que ses principes fondamentaux foulés aux pieds. On a sacrifié 30 ans de nos vies à soutenir Blaise Compaoré, nous ne sommes pas contre lui. Mais aujourd’hui on le mène en bateau, droit dans le mur. On a donc estimé que c’est le bon moment, après avoir tiré la sonnette d’alarme, de se retirer».