Salif Diallo, Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré et bien d’autres militants ont démissionné officiellement du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti au pouvoir. La nouvelle est tombée le 4 janvier 2014. Nous avons tendu notre micro à des hommes politiques, syndicalistes et citoyens lambda pour recueillir leurs impressions. Pour l’équilibre de l’information, nous avons tenté de joindre des membres du parti au pouvoir mais en vain.
Zéphirin Diabré, Chef de file de l’opposition
« Toute dissension qui peut affaiblir le CDP est bonne à prendre pour l’opposition »
« En tant qu’opposition, nous n’avons pas à nous prononcer sur les motifs internes de leurs dissensions. A travers la presse, nous avons appris que le premier motif est lié à des questions de démocratie interne ; c’est l’affaire des militants du CDP, cela ne nous regarde pas. Par contre, nous avons noté que dans leur déclaration, ils abordent deux questions politiques qui sont importantes pour l’opposition, à savoir la question du Sénat et celle de la révision de l’article 37. Sur ces questions, ils semblent avoir les mêmes positions que l’opposition. Nous ne nous occupons pas d’une querelle interne au CDP mais nous sommes intéressés par les résultats politiques de cette querelle. Dans notre lutte pour l’alternance, tout fait qui peut diminuer la force du CDP est bon à prendre pour l’opposition. Toute dissension ou toute évolution qui peut affaiblir le CDP est bonne à prendre pour l’opposition puisque le CDP est notre adversaire principal. Cela dit, nous ne savons pas encore si les démissionnaires du CDP vont rejoindre l’opposition ou pas puisque nous n’avons pas encore eu une demande ou contact formel de leur part. S’ils en faisaient la demande, cela ne nous posera aucun problème. Nous sommes prêts à accueillir tous ceux qui peuvent nous aider à battre le CDP et à réussir l’alternance. Pourvu que cela se fasse sur la base des positions politiques autour desquelles l’opposition politique est organisée. Ces questions sont non négociables. Celui qui nous dit qu’il est d’accord pour cela trouvera sans doute de la place à l’opposition, à nos côtés. »
Jean Hubert Bazié, président de la convergence Espoir
« C’est une situation originale qui nous fait penser au schéma sénégalais »
« Par rapport à ces démissions, nous ne pouvons qu’applaudir parce que ce sont des démissions exceptionnelles, vu la notoriété, la qualité et la quantité des démissionnaires. Il y a parmi eux des personnalités de premier plan du CDP même si on peut les qualifier d’ex. Il y a d’anciens ministres d’Etat, d’anciens députés, des députés, des responsables de structures du CDP, version passée. Tous ces éléments font que ces démissions sont un fait majeur dans la vie politique du Burkina et surtout en début de cette année 2014 qui est une année cruciale pour la présidentielle de 2015 après les déclarations du Chef de l’Etat à Dori, nous laissant croire que la voie référendaire pourrait être utilisée pour la révision de l’article 37 après la possibilité qu’il nous a donnée de relancer le Sénat. Ces démissionnaires recadrent le débat que l’opposition avait déjà engagé contre la révision de l’article 37 et la mise en place du Sénat. Ce qui veut dire que l’opposition réelle est transversale. Elle n’est pas seulement dans l’institution du Chef de file de l’opposition. L’opposition se trouve aussi au CDP et au sein d’autres partis qui sont en alliance formelle avec le CDP. C’est dans ce sens que l’on peut parler de tremblement de terre pour ne pas utiliser le terme de tsunami. C’est véritablement une situation originale qui nous fait penser au schéma sénégalais où une grande partie des membres du parti au pouvoir a fait défection et introduit au sein de l’opposition démocratique et républicaine une dynamique qui a conduit à la marginalisation de ceux qui ont voulu utiliser le pouvoir pour instrumentaliser le peuple et introduire des notions de dynastie en faisant comprendre que sans eux, c’est la catastrophe dans le pays. »
Rose Marie Compaoré/ Kondétamdé, présidente du groupe parlementaire UPC
« C’est le résultat de frustrations que les uns et les autres ont essayé de digérer »
« C’est quelque chose dont on a entendu parler depuis des mois, mais on se demandait si ce n’était pas que des rumeurs. Mais cela s’est concrétisé depuis hier soir. Je me dis que c’est le résultat de frustrations que les uns et les autres ont essayé de digérer. Cela ne passait plus et finalement, ils ont décidé de claquer la porte. A lire les journaux, je crois qu’ils ont rencontré le chef de l’Etat en début d’année. Peut-être qu’en allant rencontrer le président, ils avaient essayé de sauver les meubles. Si finalement ils ont décidé de claquer la porte, cela veut dire qu’ils n’ont pas été écoutés. Comme le chef de l’Etat a l’habitude de le faire, il n’écoute personne. Leur démission ne fera que renforcer le camp de l’opposition. La lutte sera dure mais avec un grand nombre, nous sortirons victorieux et c’est la démocratie qui va triompher. »
Ablassé Ouédraogo, président de Le Faso autrement
« Nous accueillons ces démissions avec beaucoup de plaisir »
« Ces démissions ne sont pas une surprise. On s’y attendait. Depuis quelques semaines, non seulement il y avait des rumeurs mais il y avait aussi des écrits. Et je dirais même qu’ils ont traîné avant de sortir du talus. Nous accueillons ces démissions de façon satisfaisante et nous disons que les motivations qui ont été présentées dans la déclaration qu’ils ont adressée à Assimi Kouanda, secrétaire exécutif du CDP, sont les mêmes que les nôtres au sein du CFOP. A partir du moment où ils acceptent de déménager et venir renforcer les rangs de l’opposition, nous accueillons ces démissions avec beaucoup de plaisir et nous souhaitons que d’autres démissions suivent et le plus rapidement possible parce qu’un CDP affaibli contribuera à renforcer la démocratie au Burkina Faso. C’est pourquoi je dis qu’au-delà des activités que nous allons avoir ensemble, notamment au cours de la journée du 18 janvier, je dis que la vie de l’Assemblée nationale va changer parce que beaucoup de députés appartiennent à ce courant démissionnaire et certainement qu’ils vont chercher à s’organiser pour travailler autrement. Comme le nomadisme politique est interdit et comme ils ne vont pas démissionner de leurs postes de députés, une des possibilités qui s’offrent à eux est de former un groupe parlementaire dans lequel ils pourront réfléchir et agir différemment par rapport à ce qui se passe actuellement dans le CDP classique ou cacique. Il y aura une nouvelle contribution au débat à l’Assemblée nationale. Les votes mécaniques seront de moins en moins utilisés. C’est-à-dire que nous allons avoir, pendant les prochaines sessions parlementaires, de vrais débats à l’Assemblée nationale. Et ça, c’est un gain en matière de renforcement de la démocratie. »
Me Bénéwendé Stanislas Sankara, président de l’UNIR/PS
« Il faut espérer qu’ils ne viendront pas troubler la lutte de l’opposition »
« Une démission est un acte politique majeur et j’estime que pour l’UNIR/PS qui a toujours combattu le CDP, quand il y a des défections dans les rangs du CDP, nous prenons acte. Nous ne pouvons que saluer la décision courageuse de ceux qui, à un moment donné, prennent leur responsabilité et estiment que le CDP n’est plus un parti démocratique et progressiste. Cela veut dire que ce parti ne répond plus à leur vision politique et ils ont décidé de partir. Deuxièmement, dans leur lettre ouverte, ils reviennent sur l’article 37 et sur le Sénat et c’est à ce niveau que ceux que vous avez appelés « nouveaux opposants » rejoignent la lutte du peuple burkinabè parce que cette lutte n’est pas seulement menée par l’opposition politique ; c’est une lutte qui est aussi menée par des organisations de la société civile. Pour moi, c’est une lutte du peuple burkinabè qui veut que l’on respecte la Constitution en l’état. Je pense que tous ceux qui l’ont compris au niveau du parti au pouvoir renforcent la lutte du peuple burkinabè. Il faut simplement les saluer et espérer qu’ils ne viendront pas d’une manière ou d’une autre troubler cette lutte. Maintenant, comment d’un point de vue tactique, on peut organiser cette lutte ? Je pense que le chef de file, dans sa déclaration, a dit quelque chose de très important. Le chef de file est un cadre organisationnel qui peut jouer l’avant-garde par des mots d’ordre, des mobilisations. Si effectivement les démissionnaires sont sur la même longueur d’onde avec les mêmes mots d’ordre que l’opposition politique, on va se retrouver sur le terrain. Je pense qu’ils n’iront pas contre les mots d’ordre pertinents. Peut-être qu’ils vont organiser des activités parallèles mais allant dans le même sens. »
Alphonse Marie Ouédraogo, président de l’Union pour la renaissance démocratique (URD)
« A priori, ce sont des gens qui viendront renforcer la lutte »
« Pour l’instant, nous sommes sous le coup de la nouvelle. Nous n’avons pas encore beaucoup de recul par rapport à cela. Si l’on en croit ce qui est écrit dans la motivation de la lettre de démission, on peut se dire que cela pourrait être de nouveaux apports pour l’opposition parce que le fait d’être parmi ceux qui sont contre la révision de l’article 37 et la mise en place du Sénat, a priori, on pourrait penser que ce sont des gens qui viendront renforcer la lutte que nous avons déjà engagée. »
Guy Olivier Ouédraogo,
secrétaire général de la Confédération syndicale burkinabè
« Ce n’est pas une surprise pour moi »
« Nous avons appris hier sur certaines ondes que certains ténors du CDP avaient rendu leurs démissions. Ce n’est pas une surprise pour moi parce que cela se susurrait déjà dans les coulisses que certains voulaient rendre leur démission ou à la limite créer leur parti politique. Maintenant, je pense qu’il est trop tôt pour donner mon opinion. Ceux qui sont partis ont donné leurs raisons. Ils sont les mieux outillés pour motiver leur décision. Ce que je peux dire, c’est que la liberté démocratique, la liberté d’expression, ne fait que s’ancrer dans notre pays. Cela permet une expression plurielle et je pense que c’est une bonne chose. Tant qu’il y a du débat, tant qu’il y a de la concertation, de la contradiction constructive, je pense que c’est une bonne chose. Il y a des questions sur lesquelles le peuple burkinabè semble divisé, et ceux qui ont démissionné sont revenus sur la question du Sénat et de la révision de l’article 37 de la Constitution ; ce sont des grands débats qui vont se poursuivre en 2014. Et comme je l’ai dit, nous verrons ce que feront les démissionnaires. Nous verrons tout cela avant de juger. Dans tout système, si vous retranchez quelque chose, cela joue sur son équilibre. Si vous y ajoutez quelque chose, cela joue aussi sur son équilibre. C’est la nature de tout système stable. Ceux qui sont partis ne sont pas des militants de la dernière heure. »
Boubakar Sanou, comptable
« Je suis curieux de voir la suite »
« Je ne suis pas trop politique, mais j’avoue que je suis surpris de ces démissions. Je suis curieux de voir la suite d’ici une dizaine de jours pour voir si c’est une réalité ou pas. Au regard de certains noms, cela donne à réfléchir. Nous restons prudents pour le moment. Nous souhaitons que tout aille pour le mieux. Nous prônons seulement la paix. S’il doit y avoir une scission dans ce groupe, ce n’est pas bon pour le pays. Nous espérons que cette division soit pour une bonne cause. Nous souhaitons que cela n’entraîne pas de troubles dans le pays. Nous pensons qu’il y a une liberté ici au Burkina. Il y a tellement de liberté que les gens en abusent souvent. »
Vincent Bado, étudiant en 2e année d’Anglais
« Ces démissions n’apporteront pas de changement fondamental »
« Nous avons vu, à travers la presse, des grandes têtes du CDP qui ont démissionné. 2015 n’est pas loin, juste dans un an. Je pense que ceux qui ont démissionné travaillent à sauver ce qui reste du CDP. Je pense qu’ils travaillent toujours pour le même régime et il est difficile de rester avec un pouvoir de plus de 20 ans et le combattre du jour au lendemain. S’ils démissionnent aujourd’hui, à un an de 2015, c’est juste pour sauver ce qui reste du système actuel. Sinon, il n’y a rien. Ces démissions n’apporteront pas de changement fondamental pour la masse populaire. Le peuple burkinabè se bat aujourd’hui contre le Sénat et la révision de l’article 37 de la Constitution. La population est fatiguée de ce régime, au-delà du Sénat et de l’article 37. Je suis désolé de le dire, mais ceux qui viennent de démissionner ne peuvent pas apporter le changement dont a besoin le peuple burkinabè. »
Propos recueillis par Françoise DEMBELE et Issa SIGUIRE (Stagiaire)