Partisan d’une révision de l’article 37 de la Constitution qui limite à deux quinquennats consécutifs le nombre de mandats présidentiels, le président de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré, annonce qu’il ne briguera pas de nouveau mandat à la tête du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti au pouvoir), «au nom de l’alternance». Une annonce inédite faite en janvier dernier et qui, de l’avis de certains analystes, cache en réalité une crise qui couve depuis de longues années entre les deux personnages les plus importants de la République. (Article publié par le Magazine Notre Afrik en Mars 2012)
Que va faire Roch Marc Christian Kaboré (RMCK)? Après sa décision de ne plus briguer de mandat à la tête du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’opinion publique et la classe politique burkinabè se perdent en conjectures sur les intentions du désormais ex-président du méga-parti majoritaire. Se contentera-t-il de représenter le CDP à la tête de l’Assemblée nationale jusqu’au terme de la législature? Va-t-il faire dissidence et opter pour la création d’un parti? Nul ne le sait, tant le personnage est prudent et extrêmement discret.
Une chose est sûre, la mise en scène autour de l’annonce de son départ de la tête du parti n’était pas anodine. Loin s’en faut! En prononçant la phrase qui tue - «Voilà des années que je suis à la direction du parti. Et il est temps que nous donnions un exemple au niveau du CDP que nous sommes dans l’alternance» - M. Kaboré a tétanisé ses «ennemis de l’intérieur», lui qui estimait encore récemment que Blaise Compaoré pouvait réviser la Constitution pour briguer à nouveau la magistrature suprême en 2015. Question à un franc : pourquoi peut-on proclamer l’alternance à la tête du parti et ne pas la revendiquer pour la présidence de la République?
Pas besoin de consulter les oracles, la crise qui couve depuis de longues années entre les deux personnalités les plus en vue de la République - Compaoré et Kaboré -, qui s’estiment et s’épient à la fois, a éclaté au grand jour. D’ailleurs, comme le résume si bien - et curieusement -, l’hebdomadaire burkinabè L’Opinion, proche du palais, «le plus intéressant dans cette affaire, c’est de chercher à comprendre les motivations profondes de cette décision et ses implications».
Difficile en effet d’imaginer RMCK tenir le mur alors que le pays est à un tournant de son histoire. «Roch en avait marre d’avaler des couleuvres, d’être tenu pour responsable des errements du système par les proches de Compaoré et d’être soupçonné à longueur de journée de manquer de loyauté», raconte un de ses proches.
MAITRE DE SON DESTIN
De fait, quand Blaise Compaoré a reçu en tête-à-tête le président de l’Assemblée nationale pour lui dire que «certains militants estiment que tu es la source des problèmes au sein du parti», RMCK a eu la confirmation que son sort à la tête du CDP était désormais scellé. «Ils avaient déjà essayé de le débarquer comme un malpropre en novembre dernier, mais leur manoeuvre a échoué après la sortie impertinente de l’ancien ministre Salifou Sawadogo», précise un cadre du parti. Depuis cet incident, survenu le 25 septembre 2011 - en pleine cérémonie de rentrée politique, le président de l’Union nationale des jeunes du CDP dénonçait publiquement «des actes anti-parti» et une «bancalisation des jeunes (…), à des fins inavouées» - RMCK semblait déjà avoir pris sa décision de partir, mais «dans les règles de l’art et avec dignité …», souligne un ancien ministre.
En véritable stratège et fin connaisseur du système Compaoré, l’ancien président du CDP, qui a dirigé le parti pendant dix ans, ne laisse rien transparaître de ses véritables intentions: «Roch n’est pas fou pour dire ce qu’il envisage de faire, mais il se tient en embuscade pour l’après-Compaoré», croit savoir un haut fonctionnaire burkinabè. Une chose est sûre, la maîtrise de l’annonce de son départ de la présidence du parti est un signal adressé à ses adversaires: je reste encore maître de mon destin politique. Au-delà, ce départ est le prolongement d’une crise entre le chef de l’exécutif et celui du législatif - question taboue dans le sérail - qui daterait des années 1990.
Nommé Premier ministre en 1994 et éjecté sans ménagement de la primature en février 1996, RMCK avait été rangé dans les placards des conseillers spéciaux de la présidence du Faso. Trimbalant son vague à l’âme dans les allées du palais. A cette période, les couloirs de la présidence et les officines bruissaient de rumeurs malveillantes sur son implication dans une tentative de déstabilisation du régime. Jusqu’au jour où ce fils d’un ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), alla trouver le président Compaoré dans ses bureaux pour crever l’abcès: «Je n’ai rien à me reprocher, et je souhaite du reste qu’une enquête soit diligentée pour laver mon honneur», aurait dit RMCK à son chef. «Cette discussion, nécessaire entre les deux hommes, permit de briser le mur de méfiance sans pour autant ramener la confiance entre eux», raconte un ancien conseiller à la présidence. RMCK connut donc une véritable traversée du désert jusqu’aux législatives de 2002 à l’issue desquelles il hérita du perchoir avant de prendre, un an plus tard, les commandes du parti au pouvoir.
Reste cependant que cet épisode des années 1990 continue de marquer les relations entre les «frères ennemis». Même le mariage entre le petit-frère de Roch Marc Christian Kaboré, haut fonctionnaire à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), avec une fille issue de la famille Compaoré n’a pas brisé le mur de méfiance et de suspicion entre les deux clans: «C’est un mariage hypocrite…», persifle un Compaoré boy.
LE CDP, TEL UN TITANIC…
En privé et sous le sceau de l’anonymat, les nombreux partisans du président de l’Assemblée nationale au sein du parti se mettent à rêver qu’il s’émancipe enfin… et prenne date pour le futur en raison de son expérience et pour services rendus au parti et à la République.
C’est avec Roch Marc Christian Kaboré au poste de capitaine que le navire CDP, tel un Titanic, affronte tempêtes externes et querelles intestines. Comme l’affaire Salif Diallo, du nom de celui qui, alors considéré comme Numéro 2 du régime, avait publiquement dénoncé une «patrimonialisation» du pouvoir et une absence de débat franc au sein du parti. Un crime de lèse-majesté qui valut à son auteur une suspension du bureau politique national du parti et une rétrogradation au rang de simple militant. Dénonçant un clanisme et des humiliations, d’anciens ministres et cadres du parti, Moussa Boly, René Emile Kaboré, Oubkiri Marc Yao, Zéphirin Diabré ou encore Ablassé Ouédraogo finiront par claquer la porte du CDP pour créer leurs propres formations politiques. Le ping-pong verbal de septembre dernier entre le futur ex-président du parti et Salifou Sawadogo, président de l’Union nationale des jeunes du parti, en pleine rentrée politique, avait achevé de convaincre que désormais, plus rien ne serait comme avant.
Gestionnaire formé à l’Université de Dijon, en France, personnage reconnu pour sa modération, celui qui est présenté comme le dauphin de Blaise Compaoré est perçu par la classe politique comme ne présentant que peu d’aspérités. «J’ai travaillé à l’Assemblée nationale avec Roch et je l’ai trouvé très courtois, disponible. C’est quelqu’un qui aime la démocratie.» Venant de Me Bénéwendé Sankara, le très radical chef de file de l’opposition, l’ode vaut son pesant d’or. De quoi inquiéter un peu plus les proches du président Compaoré, qui ont contribué à dresser un mur de méfiance presqu’insurmontable aujourd’hui entre deux personnalités reconnues pour leurs qualités humaines et qui se complètent par leur tempérament et leur expérience du pouvoir.
*Cet article avait été publié par le Magazine Notre Afrik en Mars 2012.