La prison ferme ou avec sursis et des acquittements, voilà le spectre du verdict rendu par le tribunal militaire siégeant à Ouagadougou et qui a statué les 26 et 27 décembre 2013 sur le sort d’une vingtaine de militaires mutins. La plupart des accusés ont été jugés coupables mais tous ont bénéficié de circonstances atténuantes. A cause de la détention préventive ou du mécanisme de remise de peines, peu d’entre ces condamnés croupiront en taule. Ce procès est le premier d’une longue série qui verra défiler devant ce tribunal d’exception 222 accusés, acteurs de la mutinerie qui a secoué le Burkina Faso en 2011.
Le premier semestre de l’année 2011 a été, on se le rappelle, des plus mouvementés au Burkina Faso. Dès le mois de février, des hordes d’élèves, des quatre coins du pays, descendent dans la rue, manifestent et saccagent des commissariats de police et d’autres édifices publics symboles de l’Etat, pour exprimer leur colère par suite de contre la mort de Justin Zongo, élève en classe de 3e à Koudougou et qui aurait été victime d’une bavure policière lui ayant coûté la vie.
C’est dans cette ambiance déjà délétère que des militaires vont se signaler à Ouagadougou en mars 2011 en refusant le verdict condamnant un des leurs à une peine de prison ferme suite à une banale affaire privée. La justice sera incapable d’appliquer sa sentence. Comme galvanisés par leurs frères d’armes de la capitale, des militaires basés à Fada N’Gourma vont à leur tour libérer de force un soldat accusé de viol sur mineure et qui attendait en geôle l’instruction de son dossier. Une roquette est même tirée sur le palais de justice de la cité du Gulmu.
C’est le point de départ d’une épidémie de mutineries qui va se propager dans presque toutes les casernes du Burkina, y compris celle du régiment de sécurité présidentielle. Çà et là, des policiers aussi entrent dans la danse. Pillages des poudrières dans les casernes, tirs de rafales en l’air, pillages de commerces, exactions sur des civils (viols et sévices corporels), etc., ont rythmé le quotidien des Burkinabè des villes. Le bilan humain des mutineries est lourd : une dizaine de morts (civils et mutins) et de très nombreux blessés.
Après avoir laissé faire dans un premier temps, le président du Faso va reprendre la main, notamment à Bobo-Dioulasso où il va envoyer sa garde prétorienne et les commandos parachutistes de Dédougou mâter les mutins de la ville de Sya en juin 2011.
De nombreux soldats sont mis aux arrêts et, rapidement au mois de juillet 2011, Blaise Compaoré qui est en même temps le ministre de la Défense procède à la radiation de 566 militaires en résiliant leur contrat avec les Forces armées nationales. Par la suite, des policiers mutins seront aussi radiés des effectifs de la Police nationale.
Pour apaiser le front social, des mesures sont prises pour dédommager les commerçants victimes des pillages et les policiers accusés d’avoir torturé à mort l’élève Justin Zongo sont jugés et condamnés à Ouagadougou en août 2011 à des peines allant de 8 à 10 ans de prison ferme.
Après donc la sanction administrative contre les mutins, restait le volet judiciaire de l’affaire puisqu’une bonne partie d’entre eux sont poursuivis par la justice militaire. Il s’agit de 222 soldats dont 119 déjà radiés des effectifs de l’Armée.
Les chefs d’accusation sont divers et variés comme les marchandises des commerces qu’ils ont vandalisés : homicide involontaire, pillage, recel aggravé, vol qualifié, révolte, détention illégale et port illégal d’arme et de munitions, violation de consignes générales, incitation à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline, etc.
Des circonstances atténuantes pour les accusés
La première fournée des accusés était à la barre du tribunal militaire le 26 décembre 2013. A l’entame du procès, les avocats de la défense ont relevé des erreurs matérielles dans l’arrêt de renvoi en ce sens que toutes les charges retenues contre les accusés ne figuraient pas dans ce document essentiel. Le commissaire du gouvernement a été bien obligé de le reconnaître et la conséquence logique a été l’abandon de ces charges non mentionnées dans l’arrêt de renvoi. Avec cette réduction des charges qui allégeait leur paquetage judiciaire, les accusés pouvaient pousser un ouf de soulagement.
En ce premier jour de procès, les débats ont duré toute la journée et c’est peu après 18 heures que le verdict a été rendu. En considérant les griefs qui pesaient contre les accusés, on peut affirmer que le tribunal n’a pas eu la main lourde puisque sur la dizaine de poursuivis, quatre ont été acquittés tandis que les autres ont écopé de peines de prison avec sursis allant de 17 à 13 mois.
Le vendredi 27 décembre 2013, c’était le tour d’un deuxième groupe de répondre à la barre. Comme la veille, l’instruction du dossier au prétoire a été assez longue puisque les débats ont duré de 8h à 17h. Les avocats de la défense ont pointé la légèreté de la constitution des dossiers avec des pièces non contresignées ou l’absence de certains témoins qui sont présentement en mission au Mali. L’arrêt de renvoi ne fait même pas mention d’un accusé. Ce qui a fait dire aux avocats que ce dernier n’a rien à faire devant ce tribunal. Pour les conseils des accusés, ce procès se fonde plus sur des probabilités que sur des preuves concrètes et irréfutables.
Tout cela n’a pas empêché le commissaire du gouvernement de requérir la prison ferme contre certains accusés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le parquet militaire a été suivi dans ses réquisitions par le tribunal. En effet, dans son verdict rendu public peu avant 19 heures, il a prononcé 3 ans de prison ferme contre deux accusés et 12 mois contre un autre. Contre ces trois, mandat de dépôt a été décerné à l’audience. Les autres ont écopé de peines de prison avec sursis, tandis qu’un autre a été purement et simplement relaxé parce qu’il n’était pas renvoyé devant le tribunal.
Il faut dire que tous ceux qui ont comparu ont bénéficié de circonstances atténuantes. Cela pourrait expliquer la relative clémence du verdict prononcé à l’encontre des uns et des autres.
A présent tous disposent de 5 jours pour se pourvoir en cassation.
Mais on doute fort qu’il s'en trouve parmi eux un qui daignera user de ce pourvoi car, en réalité, avec les peines écopées, peu croupiront effectivement en prison, le temps de la détention préventive couvrant presque celui des peines prononcées et au besoin, le mécanisme de remise de peine peut jouer ici. De plus, pour quelqu’un qui s’en est tiré avec le sursis dans une affaire de mutinerie comme celle-là, il vaut mieux parfois s’en contenter…
Ces deux jours de procès ont concerné essentiellement des militaires toujours en activité. L’enjeu pour ces derniers, c’était de ne pas être radiés de la Grande Muette. En effet, conformément à la législation en la matière, tout accusé qui écope d’une peine atteignant 18 mois de prison, même assortis de sursis, s’expose à une radiation immédiate des effectifs de l’armée.
Les autres mutins qui attendent d’être jugés le seront en fonction de l’avancement de leur dossier devant le magistrat instructeur. C’est qu’au cours de l’année 2014, on pourrait avoir par intermittence des procès devant le tribunal militaire.