La rentrée scolaire 2013-2014 s’est effectuée au Burkina Faso avec un changement notable, à savoir la mise en œuvre du continuum éducatif. Une réforme qui suscite des questions et des réactions diverses au sein des acteurs. Mais le processus est enclenché et le souhait du gouvernement est de requérir l’implication de tous pour une mise en œuvre réussie de la réforme.
C’est à l’occasion de la rentrée scolaire 2013-2014, à Gourcy, que le Ministre de l’Education nationale et de l’Alphabétisation (MENA), Koumba Boly/Barry, a annoncé le démarrage effectif du continuum d’éducation, à savoir le transfert du préscolaire et du postprimaire au MENA. La mise en œuvre de ce continuum est, de fait, une application de la loi d’orientation de l’éducation de juillet 2007, qui définit, de façon très précise, le champ de l’éducation de base. Cette loi d’orientation est une relecture de celle de 1996, les deux ayant pris en compte les conclusions des états généraux de l’éducation tenus en 1994, et celles des assises nationales sur l’éducation, organisées en 2002.
En effet, l’article 19, de la loi d’orientation stipule que « L’éducation de base formelle comprend l’éducation préscolaire, l’enseignement primaire et l’enseignement postprimaire ». Le gouvernement du Burkina Faso n’a donc fait, en réalité, que s’inscrire dans la logique de la loi dont la nonchalance dans l’application à certains moments a été dénoncée, voire décriée.
Par exemple, le comité des experts, mis en place en 2011 après avoir réfléchi à l’éducation au Burkina, a suggéré, entre autres, « la réalisation de complexes éducatifs intégrés correspondant au concept d’éducation de base ». Aussi, le conseil des ministres du 28 mai 2013 a adopté le décret N° 2013-542, portant transfert du préscolaire et du post- primaire au ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation. En effet, jadis éclatée entre les ministères de l’Education de base, des Enseignements secondaire et supérieur, de l’Action sociale et dans une moindre mesure, de la Jeunesse, l’éducation nationale est désormais regroupée en un seul département. Du coup, le MENA se retrouve avec trois ordres d’enseignement : le préscolaire, le primaire et le post-primaire. Ce nouveau schéma est une réponse à l’exigence de la loi d’orientation qui rend l’éducation obligatoire et gratuite pour tous les enfants, de 6 à 16 ans. Dans le système éducatif burkinabè, les enfants de 16 ans sont en troisième. Le continuum, en principe, devrait donner plus de chance à la majorité des enfants du Burkina de pouvoir achever ce cycle complet.
Le continuum, selon les autorités en charge de l’éducation, présente plusieurs avantages, à savoir la mutualisation des énergies et les moyens pour une performance accrue. Ainsi, dit-on, la réforme va donner une vision plus holistique de l’éducation et aider à résorber des problèmes tels que les goulots d’étranglement constatés dans l’enseignement secondaire depuis une décennie. Par ailleurs, la réforme va permettre de mieux maîtriser les flux, de résoudre les déperditions scolaires, d’ajuster et d’harmoniser les programmes et les curricula. Et le grand enjeu, c’est que le continuum permettra de mieux définir le profil des sortants du système éducatif burkinabè et de mettre en cohérence l’éducation de base, avec une meilleure transition du préscolaire au primaire et du primaire vers le post-primaire.
Une approche inclusive et participative
Le décret précise que le transfert est accompagné de la mobilisation des compétences et des ressources nécessaires au fonctionnement des domaines transférés. Il concerne, entre autres, la création et la gestion des établissements d’éducation préscolaire publics, la conception et la diffusion des programmes d’éducation préscolaire, la conception et la diffusion des manuels et matériels pédagogiques en matière d’éducation préscolaire.
Dans le cadre de l’appropriation du processus de transfert du préscolaire et du post-primaire, le ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation a organisé plusieurs rencontres d’échanges avec l’ensemble des acteurs. Des tournées dans les régions, des ateliers avec les acteurs sociaux, des Partenaires techniques et financiers (PTF), des directeurs généraux et des formateurs des ENEP, des journalistes. Un comité interministériel a été mis en place avec pour attribution de faire des propositions pertinentes afin de permettre une application efficiente de la réforme. Six questions majeures ont retenu l’attention du comité : il s’agit des questions institutionnelles et juridiques, des questions d’infrastructures, de ressources humaines et financières, d’équipement et de matériel, de pédagogie et de communication.
Le comité a, en outre, proposé des options stratégiques qui sont, entre autres, le transfert des 261 CEG des villages au MENA avec objectif de les transformer en lycées. Les 220 CEG des chefs-lieux de province et des communes devraient subir les mêmes modifications. Il s’agit, à terme, de transférer les premiers cycles des lycées, tout en réalisant de nouvelles infrastructures pour accueillir les élèves de 6e. Ceci devrait se faire simultanément avec la suppression progressive des classes du post-primaire. Ainsi, le processus aboutira au schéma suivant : le CEG correspondra au postprimaire et le lycée au second cycle uniquement. En fin de compte, quand les complexes intégrés d’éducation de base seront effectifs, un enfant inscrit au préscolaire poursuivra son cycle, naturellement, vers le primaire, puis le post-primaire, et aura terminé le cycle complet de l’éducation de base.
Des questions qui fâchent
En se situant dans la logique du continuum, le CEP n’aura plus sa raison d’être étant donné que le passage du CM2 en 6e se fera comme dans les autres classes, c’est-à-dire avec la moyenne requise. L’éducation de base allant désormais de la maternelle au post- primaire, la logique voudrait que le cycle soit sanctionné par un seul diplôme, le BEPC. Cette question est l’une des raisons d’inquiétude des acteurs qui estiment que l’Etat n’a pas résolu la question des infrastructures d’accueil avant de prendre cette décision. En outre, de grandes interrogations sur la gestion des ressources humaines et financières, des carrières, l’organisation de l’examen du BEPC, étant donné que l’OCECOS relève du MESS, la préservation des acquis de certaines catégories de personnels dont le MENA hérite, restent posées, les acteurs ayant du mal à se laisser convaincre.
La bonne foi des autorités est mise en mal, certains soupçonnant l’Etat de se laisser porter une camisole de force par les « bailleurs de fonds », ou, en tout cas, de se lancer dans une aventure sans au préalable définir tout l’itinéraire et sans prendre des dispositions pour contrer tous les facteurs d’échec. D’ailleurs, pendant que le continuum était lancé à Gourcy, plusieurs syndicats ont, ensemble, déposé un préavis de grève, avec en bonne place des revendications, le retrait pur et simple de la réforme.
Répondant aux préoccupations, la première responsable du MENA, Koumba Boly/Barry lors du point de presse du gouvernement du 3 octobre 2013, a rassuré que le transfert ne lésera ni les droits ni les avantages de personne. Elle a, au contraire, indiqué que des mesures incitatives seront prises pour permettre aux travailleurs de donner le meilleur d’eux-mêmes. « L’éducation est une affaire de tous, c’est la performance du système éducatif et son adaptation à son environnement social, culturel et politique conditionne son appropriation par l’ensemble de la communauté nationale », foi des autorités burkinabè. En tous les cas, le continuum est lancé et sa réussite incombe désormais à tous les acteurs. Le grand atout de cette réforme, c’est qu’elle ne fait pas l’objet de rejet systématique des acteurs. Néanmoins, elle suscite beaucoup d’inquiétudes, certains estimant que l’Etat va vite en besogne. C’est alors aux autorités de dissiper les craintes, de faire preuve de cohérence, pour que tous les intervenants du système éducatif participent effectivement et activement à la mise en œuvre du continuum, de sorte qu’il ne rejoigne pas le « club des réformes échouées ». Mais déjà, 350 CEG ont été officiellement transférés au MENA, le lundi 30 décembre 2013 par le ministre en charge des enseignements secondaires, Moussa Ouattara.