Amadou Toumani Touré connaitra-t-il le même sort que Amadou Haya Sanogo ? Si le Sénégal, où il est réfugié, consent à l’extrader, l’ex-président malien risque fort de subir les rigueurs de la loi pour « haute trahison ». Par lettre en date du 18 décembre 2013, le gouvernement malien a en effet saisi l’Assemblée nationale pour qu’une procédure judiciaire soit engagée contre ATT. Ses crimes ? « Avoir facilité la pénétration et l’installation des forces étrangères sur le territoire national, avoir détruit ou détérioré volontairement un outil de défense nationale, avoir participé à une entreprise de démoralisation de l’armée, caractérisée par les nominations de complaisance d’officiers et de soldats incompétents et au patriotisme douteux à des postes de responsabilité au détriment des plus méritants, entrainant une frustration qui nuit à la défense nationale, s’être opposé à la circulation du matériel de guerre, avoir participé, en connaissance de cause, à une entreprise de démoralisation de l’armée, avoir par imprudence, négligence ou inobservation des règlements laissé détruire, soustraire ou enlever, en tout ou partie, des objets, matériels, documents ou renseignements qui lui étaient confiés, et dont la connaissance pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale ».
Ces accusations sont d’une extrême gravité. Amadou Toumani Touré a donc du souci à se faire. Et s’il refuse de venir, de gré ou de force, répondre des faits qui lui sont reprochés, autant dire qu’il est condamné à un exil à ad vitam aeternam. Sauf si, entre-temps, une amnistie lui est accordée, pour une raison ou pour une autre. Une chose est sûre, le général a effectivement commis des fautes graves de gestion en flirtant avec des mouvements peu fréquentables, notamment les Touareg et certains groupes radicaux, et en fermant les yeux sur le trafic de drogue dans le grand Nord malien. Sur les griefs lui reprochant d’avoir facilité la pénétration de groupes armés sur le territoire malien, on note aussi que ATT a fait preuve d’un grand laxisme. Même si la crise libyenne est la principale cause de l’afflux de groupes armés au Mali et le point de départ de l’insurrection touareg et de l’occupation djihadiste, il est évident que ATT a fait une mauvaise appréciation de la situation. En tout état de cause, c’est au cours de son magistère, dans son double statut de président de la république et de chef suprême des armées, que le Mali a connu sa descente aux enfers. Il est de ce fait comptable de la situation de déliquescence dans laquelle le Mali s’est retrouvé.
L’une des grandes questions cependant, est de savoir si les poursuites judiciaires demandées contre ATT sont de nature à unir ou à diviser le Mali. Par ailleurs, certains ne manqueront pas d’y voir une sorte de parallélisme des formes de la part du gouvernement de Ibrahim Boubacar Keita qui veut ainsi mettre sur un pied d’égalité ATT et Sanogo. Certains pourraient y voir aussi une forme de vengeance pour IBK, qui n’a pas toujours été en odeur de sainteté avec ATT. On se rappelle en effet qu’en 2006, un grand malentendu a opposé les deux hommes sur la gestion de la crise touareg de l’époque avec notamment la signature de l’Accord d’Alger. L’autre grande question est de savoir si l’on doit jeter l’anathème sur ATT seul. Le basculement du Mali dans les ténèbres du terrorisme, de la rébellion et du trafic de drogue n’est-il pas aussi imputable à l’ensemble des Maliens, avec à tête la classe politique ? Il est de notoriété publique que le Mali avait opté, sous ATT, pour une démocratie consensuelle où l’opposition et toute autre forme de contre-pouvoir n’existaient quasiment pas. Tout le monde a joué le jeu, jusqu’au jour où l’on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une grosse erreur. Dans toute vraie démocratie, il y a un pouvoir pour gérer et une opposition pour apporter la contradiction. Que ATT soit attrait devant la justice ou non, les Maliens ne peuvent nier leur responsabilité collective dans le naufrage de leur pays. C’est en cette introspection qu’ils sauront tourner définitivement la page des errements passés pour amorcer, avec sérénité, la nouvelle ère de l’histoire du Mali .