Décidément, le Soudan du Sud n’en finit pas de dégringoler. Depuis plus d’une semaine, machettes, gourdins et armes à feu s’entrechoquent dans un cliquetis macabre. Les habitants tombent comme des mouches et la douleur n’épargne personne. Rien que dans la capitale, Juba, il y aurait eu plus de 500 morts. Un bilan qui risque fort de s’alourdir encore, étant donné que la violence est en train de se propager à tout le pays.
Ainsi, Bentiu, la capitale de l’Etat de l’Unité, dans la région du Nord, frontalière avec le Soudan et connue pour ses vastes champs pétroliers, est tombée entre les mains des rebelles, menées par l’ex-vice-président, Riek Machar. Depuis son limogeage en juillet dernier, ce dernier est en conflit ouvert avec le président actuel, Salva Kiir.
L’étincelle qui a mis le feu aux poudres récemment date du 15 décembre 2013. Le président s’est alors déclaré victime d’une tentative de coup d’Etat fomenté par son rival, Riek Machar. Une accusation démentie par Riek Machar lui-même, qui dénonce une manœuvre du président dans le but de se débarrasser de ses rivaux (donc de lui), dont les critiques, notamment de son autoritarisme, commencent sérieusement à le gêner. Voilà la source du conflit, qui a fini par embraser tout le pays.
Dans ce contexte, Riek Machar s’est dit prêt à dialoguer avec le président Kiir, mais à condition que celui-ci quitte le pouvoir – chose que le président rejette fermement. Chocs des égos, chocs des ambitions. Deux hommes murés dans leur obstination coupable qui ne veulent pas renoncer, alors que le pays est à feu et à sang. De telles conduites de la part d’hommes politiques sont purement irresponsables, inacceptables. Ceux qui ont choisi, en toute connaissance de cause, de prendre les rênes de l’Etat doivent s’élever au-dessus des mortels. Nous ne disons pas que c’est aisé, mais c’est vital. C’est le prix à payer d’une telle décision, car gouverner, c’est se mettre au service du peuple, c’est être responsable, coûte que coûte.
Mais derrière cette lutte de pouvoir se cache une lutte pour l’or noir, dans ce pays qui abrite parmi les plus grandes réserves de pétrole de l’Afrique de l’Est. Et celui qui tient le pays est également celui qui a la mainmise sur ces richesses. Une situation, on le comprend, bien alléchante.
En attendant, le Soudan du Sud est au bord du gouffre de la guerre civile. Pire, les affrontements menacent de dégénérer en conflit ethnique entre les deux plus grandes communautés du pays : Dinkas, comme Salva Kiir, et Nuers, ethnie de son rival Riek Machar. Dans la capitale, Juba, des témoins affirment que les forces de l’ordre identifient les civils par leurs scarifications faciales ou en leur demandant de vive voix à quelle ethnie ils appartiennent avant de les abattre froidement s’ils sont Nuers ou s’ils refusent de répondre. Déjà que, sur le terrain politique, les tensions sont difficiles à gérer, si les critères ethniques et religieux s’immiscent dans les violences, alors l’incendie sera difficile à circonscrire.
Plus loin, la situation dramatique du Soudan du Sud nous montre deux choses.
La première, c’est qu’à force de schématiser, on dépouille la réalité de sa complexité. En effet, avant l’indépendance de Juba, on parlait d’un Soudan du Sud assez homogène, unifié dans sa lutte contre les tentatives d’islamisation de son grand frère du Nord. Cette affirmation n’était pas totalement erronée, dans la mesure où le nationalisme était bien le ciment de cette nation, mais elle négligeait toutefois les conflits qui existaient déjà depuis longtemps entre Nuers et Dinkas, dans une contrée qui rassemble, en outre, des groupes ethniques disparates parlant une soixantaine de langues.
La deuxième, c’est que ces évènements tragiques sont à faire désespérer de l’Afrique… Qu’on en soit encore là, dans un Etat pourtant né au 21e siècle (le Soudan du Sud a obtenu son indépendance le 9 juillet 2011), à un moment où l’humanité est quand même supposée avoir évolué ! Nous ne nous étonnerons pas d’une démarche encore hésitante des dirigeants de ce nouvel Etat pour gérer les affaires courantes, les défis économiques et les tensions politiques. Mais en arriver à ce stade de l’ignominie ! Quand même ! Les terribles drames qui ont jalonné le 20e siècle et qui ont révélé l’homme dans toute sa cruauté et sa capacité de nuire n’ont-ils pas suffi ? Serait-on incapable de retenir les leçons de l’histoire, pour piétiner, une fois encore, la dignité de l’homme, la vie ?
Prions donc que les deux dirigeants écoutent les appels de la communauté internationale, qu’ils aient un sursaut de conscience, qu’ils laissent de côté leurs bassesses. Afin de travailler ensemble à sortir de la crise, à réconcilier le pays avec lui-même et à sauver des innocents.