Ayant perdu la vue en pleine adolescence, Hamed Traoré a été contraint d’abandonner l’école, non sans avoir brillamment réussi au Brevet d’études du premier cycle (BEPC). Il n’a pas perdu pour autant espoir et s’est adonné à plusieurs activités. Finalement, c’est dans le commerce de marchandises diverses que ce célibataire de 43 ans, père d’un fils de 16 ans, va trouver sa voie. Voyage dans l’univers d’un boutiquier aveugle, au quartier Niènèta (secteur n°12) de Bobo-Dioulasso !
Hamed Traoré est né le 13 janvier 1970. Dès sa tendre enfance déjà, il avait, par moments, des problèmes visuels. Conduit à plusieurs reprises dans des centres de santé pour des consultations ophtalmologiques, il a fini par apprendre qu’il souffrait d’une dégénérescence de la rétine. A l’époque, sa vision encore passable, lui permettait d’aller à l’école et de suivre les cours sans souci majeur. Mais, son état de santé s’est détérioré au fil des années. Il a perdu complètement la vue en classe de troisième, après avoir brillamment réussi au BEPC, en 1990. « Le handicap n’est pas une fatalité » ! Cette phrase qui est le titre d’un de ses propres poèmes est devenue son credo. Plutôt que de se livrer au découragement et à la mendicité comme bon nombre d’handicapés visuels, M. Traoré a décidé de lutter et de prendre son destin en main. Il s’est lancé dans plusieurs activités, avec comme leitmotiv, la réussite. Pour certains, cette volonté était trop « osée » et « irréaliste ». Dès lors, sa tâche se révèle être très rude du fait des nombreux préjugés dont il a été l’objet. Mais comme le disait le Français Eric Thomas, « Lorsque tu veux réussir autant que tu veux respirer, tu obtiens du succès ». C’est ainsi qu’après avoir été agent de marketing auprès des auto-écoles et dans des sociétés de la place, il a travaillé comme agent de poursuite pour le compte du Trésor public. « Mon travail consistait à percevoir les impôts. La vision était très faible, mais j’arrivais quand même à avoir une petite autonomie », a-t-il raconté. A force de persévérance, il a réussi à ouvrir une cafétéria à domicile avec l’aide de sa famille, et en était le gérant. Faute de clientèle dans cette partie de la ville, il a alors décidé de changer de cadre, en allant s’installer sur l’actuel Boulevard de l’indépendance.
Décidé malgré les vols
Les vols répétés dans son entreprise vont l’obliger à mettre les clés sous le paillasson, sa caisse, ses ustensiles de cuisine ayant tous été emportés. Hamed Traoré ne s’est pas découragé pour autant. Après quelques mois sans emploi, il a refait surface en s’offrant une machine à broder, grâce à un prêt obtenu par le biais du Fonds d’appui au secteur informel (FASI). Il a alors recruté des couturiers pour la confection de chemises et de boubous qu’il écoulait avec l’aide d’une de ses sœurs dans quelques villes du pays. Par la suite, il a dû mettre sa machine en location, car la couture telle qu’il la pratiquait n’était pas rentable. A ce propos, il a dit : « J’ai été propriétaire d’un atelier de couture et d’une machine à broder que je louais, et les produits étaient envoyés dans les environs de Bobo-Dioulasso, à Ouagadougou et aussi à Tenkodogo et à Pouytenga pour vente ». Là encore, les « ennemis » de sa réussite étaient à ses trousses. En effet, l’un de ses locataires a disparu avec sa machine à broder, et c’est avec amertume que Hamed Traoré se rappelle de toutes ces péripéties traversées. Sa maman, Salimata Dio/Coulibaly, qui a toujours partagé les déceptions de son fils, se contente de dire que « chacun a son destin dans la vie ». Elle relate qu’à l’époque, son mari et elle ont utilisé tous leurs moyens, pour guérir leur enfant. « Malheureusement », les efforts ont été vains. Cependant, elle reconnaît en son fils un « vrai battant », malgré son handicap. « Nous essayons toujours de le soutenir dans ses entreprises, et nous lui prodiguons des conseils, afin qu’il réussisse comme la plupart de ses promotionnaires », a-t-elle affirmé.
Un exemple de courage et de détermination
Après la disparition de sa machine, l’infortuné s’est de nouveau retrouvé au chômage. Mais en 2008, sur proposition d’un de ses amis, il est parvenu à obtenir dix sacs de riz, dans l’espoir de les écouler sur le marché local. C’est ainsi qu’il va se lancer dans le commerce général. Cette initiative, Hamed Traoré ne la regrette pas aujourd’hui, car dit-il, « je me sens bien dans mon commerce ». Aujourd’hui, ce quadragénaire ayant perdu la vue, travaille à son propre compte. Malgré son handicap, il est parvenu à se faire une place dans la société en tant que commerçant. Sans être fataliste, il a mis toute sa confiance en Dieu, car il y croit. Son ascension, il la doit à plusieurs années de combat, d’audace, d’espérance et de persévérance, le tout doublé d’une conviction de réussir tout ce qu’il entreprend. « Mon commerce étonne les gens. C’est vrai que je ne peux pas le faire comme les autres; quand on commence, on finit toujours par trouver une solution à ses difficultés», affirme-t-il.
« Tout ce qui s’achète se vend »
A la question de savoir ce qu’il vend, Hamed Traoré laisse entendre : « Tout ce qui se vend s’achète et tout ce qui s’achète se vend », pour signifier qu’il vend pratiquement tous les produits alimentaires et cosmétiques que lui demandent ses clients. « Il suffit de faire la commande de votre produit et je vous le livre », déclare-t-il. Chaque matin, il expose lui-même ses marchandises devant son magasin, au quartier Niènèta de Bobo-Dioulasso. Il s’occupe de tout, que ce soit la vente des articles, l’approvisionnement en produits et même la tenue des comptes. L’homme est également revendeur de recharges électroniques de tous les réseaux mobiles de la place. Une fois qu’il a le numéro de téléphone du client et le montant de la recharge que celui-ci veut, il procède, lui-même, au transfert (unités). « Le commerce n’est pas une activité facile », avoue-t-il. Pour arriver à tirer le maximum de profits, Hamed Traoré a tissé de bonnes relations avec différentes écoles de Bobo-Dioulasso. En effet, élèves et fonctionnaires peuvent s’approvisionner chez lui à crédit, à condition de signer un engagement avec des possibilités de payement à tempérament. A la question de savoir comment il arrive à gérer une telle situation, l’intéressé répond que «tout est suivi à la lettre, tout est écrit. Lorsque les clients optent pour le payement à tempérament, je leur fais remplir une fiche d’engagement avec leurs références, et ils reviennent me régler dès qu’ils en ont la possibilité ». Il dit avoir parfois affaire à des gens peu crédibles, mais qu’il « fait avec ». Dévoué à sa tâche, M. Traoré mérite la confiance renouvelée de ses partenaires et fournisseurs. Pour Hamidou Diarra, gérant de la société SYDIS (son principal fournisseur), Hamed Traoré est un homme de rigueur et plein d’enthousiasme. « Il est conscient de son handicap et c’est sa rigueur qui, je pense, lui permet d’avancer. C’est la première impression que j’ai eu de lui. Donc quand il m’a posé son problème, je n’ai pas hésité un seul instant à l’appuyer. Nous avons commencé avec un petit chiffre et après quelques années de collaboration, nous nous sommes assis pour faire un bilan. C’était largement positif », a-t-il soutenu. Aussi est-il émerveillé de voir une personne en situation de handicap mener une telle activité. « Je sais qu’il peut mieux faire s’il a plus de soutien», a-t-il ajouté avec admiration.
Un appel aux personnes en situation de handicap
Hamed Traoré désapprouve ceux qui profitent de leur situation de handicap pour abuser de la générosité d’autrui. Il critique la mauvaise foi de bon nombre d’entre eux qui compromettent les chances des autres à percevoir, par exemple, les crédits pour le financement de leurs projets. « Certains d’entre nous, a-t-il déploré, disparaissent souvent après avoir perçu les fonds destinés au financement de projets. Cela est vraiment déplorable et j’estime que le handicap n’est pas une couverture. Au contraire, lorsque vous avez un handicap et qu’on vous donne des opportunités, il faut les saisir ». A ce jour, M. Traoré a deux fournisseurs qui lui font pleinement confiance. Selon lui, la première arme d’une personne handicapée doit être sa crédibilité. « Mes fournisseurs me font pleinement confiance, et quelle que soit la valeur des marchandises que je leur demande, ils n’ont aucun doute. Mais lorsque vous n’êtes pas crédibles, je ne pense pas que vous puissiez bénéficier de tous ces avantages. La crédibilité non seulement incite les autres à vouloir vous aider davantage, mais également vous ouvre d’autres portes », estime-t-il. Hamed Traoré invite donc toutes les personnes de sa condition, à cultiver la transparence dans toutes leurs entreprises et à refuser tout comportement de nature à développer ou entretenir une mentalité d’éternelles assistées. Il se félicite d’avoir pu se départir des préjugés, et souhaite avoir de la longévité et de la prospérité, afin de voir grandir son activité et de pouvoir assurer un avenir radieux à sa famille, surtout à son fils, qu’il a eu avant son handicap. Ce dernier a aujourd’hui 16 ans.