Le Tribunal de grande instance de Ouagadougou a été pris d’assaut ce lundi 16 décembre 2013 par des journalistes, des syndicats et associations de journalistes, des défenseurs de la liberté de presse, etc. Ils sont venus suivre le procès du journal «Le Reporter», accusé d’avoir diffamé l’ancien procureur de Léo, Sidi Becaye Sawadogo.Retour sur le déroulement d’une audience houleuse, suspendue à deux reprises et jugée partiale par les avocats des accusés qui ont fini par jeter l’éponge. Le verdict est attendu pour le 30 décembre 2013.Il est un peu plus de 9 h 30 lorsque le Directeur de publication du journal Le Reporter, Boureima Ouédraogo, et son rédacteur en chef, Ladji Yacouba Bama, sont appelés à la barre. Ils sont accusés de diffamation et de complicité de diffamation sur la personne de Sidi Becaye Sawadogo, ancien procureur du tribunal de grande instance de Léo. Les faits remontent septembre dernier, quand Le Reporter faisait paraître un article intitulé «Grand banditisme et impunité à Léo: Le procureur, la gendarmerie, les bandits et le cultivateur». L’ancien procureur de Léo, estimant qu’il a été diffamé par l’article du journal qui, dit-il, l’accuse d’avoir accepté une somme d’argent pour faire libérer quatre personnes suspectées de vol à mains armées, a assigné en justice l’auteur de l’article, Yacouba Ladji Bama en l'occurence, et le directeur de publication pour diffamation.
Face à la présidente du tribunal, les deux journalistes incriminés sont formels: «nous ne reconnaissons pas les faits qui nous sont reprochés». Le procès peut alors commencer. Il durera plus de trois heures d’horloge. Les avocats des accusés, Me Prosper Farama et Me Mamadou Sawadogo, s’appuyant sur l’article 126 du Code de l’information, estiment que dans la forme, cette citation est des plus légères. Ils demandent donc l’annulation pure et simple du procès. L’avocat de la partie civile, Me Saïdou Nyamba réplique en affirmant que ce sont les arguments avancés par la partie adverse qui sont plutôt légers.
Dès lors, la partie s’emballe. On assiste à une véritable joute oratoire qui ne va pas durer longtemps car le tribunal décide de suspendre l’audience. A la reprise quinze minutes plus tard, la présidente demande alors à l’auteur de l’article de dire qui lui a donné les différentes informations publiées. «Mon métier ne m’autorise pas à donner le nom de mes informateurs», répond Ladji Bama. La présidente du tribunal insiste mais le journaliste ne lâche pas prise. Il tient mordicus à protéger ses sources. On entend des murmures dans la salle, que la présidente menace de vider si le public ne garde pas le silence. «Ce n’est pas un spectacle!», gronde t-elle.
Le portable de Smokey retiré
Pendant ce temps, dans la foule, on aperçoit des responsables d’associations de journalistes qui n’arrivent pas à cacher leur agacement. On aperçoit également dans la salle des magistrats, venus suivre le procès. Le rappeur Smockey, l’un des leaders du mouvement «Balai citoyen» était lui aussi de la partie. Accompagné de nombreux militants de cette organisation de la société civile, il se verra arracher son téléphone portable par le tribunal parce qu’il aurait pris des photos.
Les débats se poursuivent. Ladji Bama, après une heure d’explications, de démonstrations et d’argumentation, arrive à la conclusion suivante: «nous avons fait notre travail selon les règles de notre métier». Mais le principal concerné dans cette affaire, l’ancien procureur de Léo, Sidi Becaye Sawadogo, ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, il y avait une volonté manifeste ne nuire à sa personne. Son avocat prend le relai pour démontrer le manque de professionnalisme du journaliste. Le procureur lui emboite le pas. Les avocats de Ladji Bama et de Boureima Ouédraogo essayent de voler à leur secours, mais la présidente du tribunal leur demande d’être brefs. C’est la goûte d’eau qui ferra déborder le vase.
«Corporatisme»
Me Mamoudou Sawadogo est excédé. Pas question pour la défense, dit-il, de poursuivre les débats dans des «conditions où la justice n’assure pas un procès équitable pour ses deux clients». «Je n’en peux plus, je jette l’éponge», lâche t-il. Un silence envahit la salle d’audience. «Je viendrai défendre mes clients quand les conditions d’un procès équitable seront réunies», ajoute l’ancien Bâtonnier. Me Farama, son "coéquipier", explique pour sa part que ce procès n’en est pas un, et que «c’est du corporatisme, c’est tout». Pour lui, c’est une décision de «vengeance contre les journalistes», que le tribunal s’apprête à prononcer. C’est pourquoi, dira t-il, «on ne pouvait plus continuer, notre patience était à bout».
Pendant ce temps, l’avocat de la partie civile réclame à titre symbolique la somme de 1 million de FCA pour réparer les torts subits par son client. Pour lui, le procès était équitable puisque toutes les parties ont eu le droit à la parole. Toutefois dira t-il, quand certaines questions visent à atteindre l’autre dans sa dignité, «il est tout à fait normal que le tribunal vous rappelle à l’ordre». Du reste, estime Me Saïdou Nyampa, «je ne m’attendais pas à un procès ce matin, mais plutôt à un renvoi». A l’en croire, diverses organisations de journalistes l’aurait approché pour régler l’affaire à l’amiable. Une proposition qu’il avait bien accueilli. Mais, estime t-il, «quand on va à la négociation, on y va franchement et non pas avec un couteau dans le dos».
De son côté, le procureur a demandé au tribunal de condamner les deux journalistes à une amende de 300 mille FCFA. Que va décider le tribunal? Réponse le 30 décembre 2013.