Assassiné le 13 décembre 1998, le fondateur de L’Indépendant, Norbert Zongo, n’était pas seulement cet opiniâtre journaliste d’investigation. Il avait également l’âme bucolique. Cet amoureux de la nature avait mis en place un ranch du côté de la Sissili, dans la commune de Bieha plus précisément. Que devient cette infrastructure quinze ans après la disparition de son initiateur ? Un séjour les 8 et 9 décembre dernier en ces lieux nous a conforté dans cette conviction que cet héritage est très bien préservé. Prière porter des chaussures de randonnée.
En ce début de mois de décembre, moment de fins de récoltes, en bordure de la voie, le paysage a une allure automnale. Arbres et arbustes se débarrassent de leurs feuilles presque jaunissantes. Les herbes heureuses d'avoir jusque-là échappé aux pyromanes ploient sous leur décrépitude. Le silence est assez pesant, perturbé par moments par le roucoulement de tourterelles et le bruit d’enfer des passants sur leurs motos brinquebalantes. Nous sommes à environ 8 kilomètres après la bourgade la plus proche qu’est Sapouy, sur l’axe Ouagadougou-Léo. Le panneau fraîchement planté à gauche interpelle l’usager quelque peu observateur. Il porte l’image de Norbert Zongo, figure emblématique du journalisme au Burkina Faso et ancien directeur de publication de L’Indépendant.
Déroulons le film pour la séquence de 1998, plus précisément le 13 décembre, soit quinze ans auparavant. C’est ce jour et en ces lieux qu’a été assassiné Norbert Zongo, alors qu’il se rendait dans son ranch à … 13 kilomètres de Biéha à l’est de Léo. Un acte sordide dont la barbarie n’a jusque-là pas eu beaucoup son pareil au Pays des hommes intègres. Pour beaucoup, le fondateur de L’Indépendant ne vivait que pour l’enquête journalistique. Et pourtant, il avait son violon d’Ingres : la nature. Au début des années 90, il avait négocié une zone cynégétique auprès l’Administration et aux responsables terriens. Est ainsi né Safari Sissili, un projet dont la vocation est de faire dans le tourisme de vision et de chasse. A sa disposition, 32 700 hectares de verdure. Mais le défi était énorme : que faire pour ramener les animaux, notamment les éléphants qui étaient partis pour des pâturages plus verts et des eaux plus salées depuis belle lurette ? Quelles infrastructures réaliser ? Où trouver le financement ? Comment appâter les touristes ? Ces défis, il avait commencé à les relever. Pour la petite anecdote, du temps du vivant de l’initiateur, c’est juché sur la bécane de Norbert Zongo (une P50) que les premiers ouvriers sont arrivés pour construire les premières retenues d’eau dont l’objectif était d’attirer les éléphants. L’espoir était permis. A sa mort, il y eut beaucoup d’équations à résoudre afin que cet héritage ne se noie pas dans les flots du Sissili dont la province tire le nom.
Heureusement qu’Artémis, déesse antique de la nature et de la chasse, veillait au grain. C’était en tout cas notre impression quand nous débarquions le dimanche 8 décembre 2013 dans le ranch, à quelques jets de pierres du village de Boala. Il était autour de 20 heures et l’ambiance était aux derniers réglages pour l’accueil des premiers touristes. Il faisait un froid de canard dans l’appâtâme au toit de chaume qui sert de réception. A quelques pas, des travailleurs ont fait cercle autour d’un feu de bois. Ici, l’on ne peut pas dire que c’est une denrée qui manque. Au loin, l’on entend le sourd vrombissement du puissant groupe électrogène. Le top de départ de la saison de chasse a eu lieu le 1er décembre si bien que, pour l’instant, les touristes ne sont pas encore arrivés. Mais qu’on se rassure, ce ne sont pas les réservations qui manquent.
Le fils aîné de Norbert, Guy Zongo, est le concessionnaire. C’est le métronome, surtout côté plan de développement, investissements et marketing. Il a un pied au ranch et l’autre à Ouagadougou ou dans les foires internationales pour présenter Safari Sissili. C’est son oncle Athanase Zongo, petit frère de Norbert Zongo, qui, pour y avoir installé ses quartiers, assure la gestion quotidienne du ranch. En période de chasse, une vingtaine de personnes y travaillent, parmi lesquelles des pisteurs, un groupiste (eau et électricité), des chauffeurs-mécaniciens, des cuisiniers, des chargés de la propreté des chambres. «Nous attendons nos premiers clients. Il y a eu un petit retard compte tenu de l’état de l’herbe qui est encore humide. Il faut la brûler pour permettre la chasse. Nous avons 9 bungalows de disponibles et même des dortoirs pour les colonies», a rassuré Athanase. Mais on l’imagine bien que les difficultés ne peuvent manquer, à commencer par la lutte contre le braconnage, la déforestation et la divagation des animaux. S’ils y en a qui sont salariés à temps plein (notamment les pisteurs), il se trouve aussi d’autres qui sont saisonniers, selon l’affluence du moment. Des riverains gagnent également leur vie grâce au ranch. La preuve que ce n'est pas seulement du côté de la famille Zongo que le ranch a fait des heureux.
Issa K. Barry
Encadré
Le manuel du petit gestionnaire de campement
Contrairement à une certaine idée fort répandue, entretenir la nature, notamment une zone cynégétique, n’est pas une activité de tout repos. C’est le cas du ranch Safari Sissili, reparti en plusieurs secteurs selon la prédominance des animaux. Ainsi, il y a le secteur des buffles, celui des éléphants, des phacochères, des cobas, des antilopes, etc. Pour attirer, nourrir et retenir ces animaux dans le ranch, il faut, d’août à octobre, déverser du sel (au bas mot 4 tonnes par an) dans les différents étangs aménagés. D’octobre à décembre, il s’agit de brûler les herbes afin qu’il y ait de jeunes pousses qui puissent attirer les herbivores et permettre une meilleure visibilité. En avril, pendant la période chaude, l’on procède à l’inventaire de la faune. En fin de saison, il faut réfectionner les pistes pour permettre la circulation des véhicules et sachant qu’à Safari Sissili, il y en a pour pas moins de 70 kilomètres de pistes, l’on imagine l’effort qu’il y a à fournir. Il y a aussi et surtout la lutte contre les braconniers, un travail de toute l’année. Le braconnage fait rage, «notamment à l’approche des fêtes», a fait remarquer Soumaïla Nikiéma, alias Pecos, l’homme aux nombreuses casquettes (chauffeur, mécanicien, pisteur…). Pour tendre une embuscade à ces braconniers qui sont armés et connaissent très bien l’environnement, il faut souvent passer cinq nuits dans la brousse, à la belle étoile. Mais comment ? «Là, c’est carrément militaire», a-t-il conclu, un brin cachotier. Et de lancer son cri d'alarme. «Si vous ne luttez pas contre le braconnage, vous ne donnerez à voir que des oiseaux à vos touristes».