Deux courses se sont engagées depuis l’horrible assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons, le 13 décembre 1993. Et quinze ans après le drame de Sapouy, la compétition continue. Il y a d’un côté ceux qui luttent corps et âme pour la vérité et la justice sur cette affaire, et ceux qui font tout pour l’enterrer définitivement. Aucun des deux camps n’a jusque-là gagné la partie, qui risque de durer, parce que le temps n’a pas d’emprise sur la mort de Norbert Zongo. Il n’y a donc, pour le moment, ni vainqueur ni perdant dans ce duel où se joue le destin de certains hommes politiques, notamment les commanditaires de l’assassinat. Mais il y a, à ce jour, un grand perdant dans cette triste histoire : le Burkina. En effet, le pays continue de trainer cette affaire, comme un boulet atroce. Où que vous alliez dans le monde, le nom de Norbert Zongo rejaillira. Tout comme d’ailleurs celui de Thomas Sankara. Il faut avouer qu’il n’y a pas pire réputation, pour un pays, que celui où un journaliste a été tué dans une opération savamment planifiée. Sans vérité et justice sur ce crime, il va sans dire que le Burkina sera toujours perçu sous le prisme d’un prédateur de la liberté de presse, même si des avancées ont été obtenues –disons plutôt conquises- depuis la tragédie de Sapouy. Mais il y a un hic dans les acquis obtenus de haute lutte par les militants des droits de l’homme, les journalistes et les hommes politiques. C’est la tendance maladive que, malheureusement, certains ont à vouloir systématiquement remettre en cause les avancées démocratiques. Depuis 1998, des va-et-vient sont observés dans le cheminement vers un ancrage démocratique fort du Burkina.
Ainsi, les acquis obtenus après l’assassinat de Norbert Zongo, du reste plusieurs fois malmenés, sont à nouveau menacés par les velléités de révision de l’article 37. L’année 2013, on l’a vu, a connu une agitation particulière du fait des tentatives de mise en place du Sénat, perçu par certains comme un moyen pour tripatouiller la Constitution. On a vu comment le peuple s’est dressé pour s’opposer au projet, obligeant son concepteur à le ranger dans les placards. Ce quinzième anniversaire de la mort de Norbert Zongo est donc marqué du sceau d’une contradiction profonde entre une large frange du peuple et les gouvernants. Il survient au moment où le pays est divisé en partisans et adversaires de la révision de l’article 37.
C’est dire que quinze après, le combat que l’illustre journaliste disparu avait mené pour un Burkina réellement démocratique demeure d’actualité. C’est pourquoi la vérité sur les crimes de Sapouy est une exigence démocratique. Ce ne doit pas être une histoire de clans ou de clivages politiques, mais une nécessité de l’Etat de droit. Les hommes et femmes de tous bords, mobilisés pour que la lumière soit faite, ne doivent donc pas être considérés comme des ennemis de ce régime. Non, ils œuvrent tout simplement à l’avènement d’un Burkina qui a l’obligation de solder ses comptes avec le passé, pour un nouveau départ. Car quoi qu’on dise , après toutes les tentatives pour régler le problème –certains parleront de tentatives pour l’étouffer-, c’est toujours le statu quo. La clameur pour demander la lumière sur l’affaire Zongo n’est jamais retombée. Si, en cours de route, certains ont baissé les armes, le flambeau est toujours tenu de main ferme.
Aujourd’hui, de nouveaux acteurs ont vu le jour, à l’image du « Balai citoyen », ce mouvement né à la faveur de la contestation de la mise en oeuvre du Sénat. Epousant son époque, il utilise de nouvelles méthodes et de nouvelles armes pour faire prospérer ses idées. Les réseaux sociaux, que les précurseurs de la lutte ne connaissaient pas, sont aujourd’hui maniés de main de maitre. Les cibelles et cibals, comme ils s’appellent, arrivent ainsi à donner une résonance particulière à leurlutte en touchant notamment les jeunes. L’action pour la vérité autour de la mort de Norbert Zongo ne cesse donc de se renouveler au fil du temps. Faut-il continuer à fermer les yeux sur cette réalité ? Dans tous les cas, tout porte à croire que l’usure du temps n’a aucun effet sur l’affaire Norbert Zongo. Alors…