«Supposons aujourd’hui que L’Indépendant arrête définitivement de paraître pour une raison ou une autre (la mort de son directeur, son emprisonnement, l’interdiction définitive de paraître, etc.), nous demeurons convaincu que le problème David restera posé et que tôt ou tard, il faudra le résoudre. Tôt ou tard !» C’est ce qu’on pouvait lire à la Une du numéro 274 du journal fondé par feu Norbert Zongo. C’était le 08 décembre 1998, moins d’une semaine donc avant son assassinat en rade de Sapouy. 15 ans après la disparition de son fondateur, que devient la parution dirigée aujourd’hui par sa veuve? Eléments de réponse.
«Vous les journalistes-là, c’est le 13 décembre seulement qu’on vous voit. Quand ça passe, vous ne cherchez même pas à savoir comment se porte Mme Zongo, comment vont les enfants…». Un foulard de couleur multicolore sur les épaules de son modèle genre «Grand-mère», Geneviève Zongo ne manque pas de nous faire ce reproche lorsque nous l’accostons à la sortie d’une conférence de presse animée au Centre national de presse Norbert-Zongo, le lundi 9 décembre 2013 aux environs de 11h. Depuis le temps qu’elle nous le jette à la figure, nous sommes maintenant habitués à ses récriminations.
Néanmoins, elle ne refuse pas de se prêter à nos questions sur L’Indépendant et nous invite pour ce faire à la suivre au siège du canard. 15 mn après, nous voilà au premier étage du R+3 situé sur l’avenue Dimdolobson où se trouve le quartier général du journal, fondé par feu Norbert Zongo. Dans le hall de l’hebdomadaire, un espace d’attente en face du bureau de la secrétaire. Sur le mur, le prix Presse et démocratie de la Tribune de Genève décroché en 2001 par le journal est accroché à côté d’un poster de son fondateur portant la légende : «L’homme doit rester fidèle à lui-même». Pas de journaliste dans les parages, le numéro spécial, 13 décembre, ayant été bouclé et devant paraître le lendemain 10 décembre, ils sont de nouveau sur le terrain. Mme Zongo nous invite dans son bureau.
Très sobre, avec sur la table, un téléphone fixe posé sur un annuaire et des reliures de la parution dont elle est désormais la directrice de publication. C’est le moment de tout reprendre à zéro. Et si on commençait par la formule de bienséance: Comment se portent la veuve et la famille du journaliste burkinabè assassiné le 13 décembre 1998 ? «Par la grâce de Dieu, je me porte bien et la famille aussi, ça va !»
- Qu’en est-il de son journal L’Indépendant ? «Comme vous le constatez, chaque mardi, nous paraissons.»
- Est-ce à dire que tout y va pour le mieux dans le meilleur des espaces médiatiques ? «Il n’y a pas de presse sans difficulté et comme dans tous les autres organes, nous avons des difficultés notamment d’ordre financier mais par la grâce de Dieu, on arrive toujours à paraître. Il faut souligner qu’on n’est pas comme les autres qui ont des partenaires et des gens qui supportent leur journal. Nous, nous produisons sur la vente du journal et c’est avec cela également que nous effectuons toutes les charges de la maison, les salaires, l’imprimerie et tout. En plus, on n’a pas assez de publicité dans notre journal alors que c’est ce qui fait marcher les journaux.»
- Comment a-t-elle réussi à s’adapter au monde des médias qui lui était quand même étranger ? «C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Déjà, avec mon époux, je voyais comment ça se passait puisque tous ses écrits, ils les faisaient à la maison avant d’amener à l’imprimerie pour la saisie et le montage. Je voyais donc à peu près comment il faisait et je m’en inspire aujourd’hui.»
Le combat de la pérennité remporté, reste maintenant à gagner celui du contenu et de la qualité qui, au fil des ans, se seraient dépréciés depuis l’autodafé de Sapouy. Newton Ahmed Barry, ancien de L’Indépendant, aujourd’hui rédacteur en chef de L’Evènement : «Malheureusement la relève n’a pas été assurée, il y a aussi un problème de ressources humaines qui fait que de nos jours quoi qu’on dise, ce bel organe de presse a perdu un peu de sa prestance». Geneviève, elle, se refuse de tout commentaire sur la question. «Beaucoup d’acteurs s’érigent aujourd’hui en défenseurs de la liberté d’expression sans que quelqu’un ne se pose la question : comment va le journal ? On a laissé le journal aux travailleurs», déplore Elie Kaboré qui fut de la maison de 2004 à 2008.
Geneviève Zongo se refuse également à donner plus de détails sur les raisons qui l’ont amenée à prendre les rênes de L’Indépendant, puisque, après le drame de Sapouy, d’autres directeurs de publication se sont succédé à la tête du journal avant qu’elle ne s’installe. «Il a fallu à un moment donné que j'entre dans la danse pour tenir la maison», se contente-t-elle d’affirmer. Idem pour le dossier qui a connu un rebondissement à Arusha en Tanzanie : «On attend de voir, on ne peut pas devancer l’iguane dans l’eau. Nous rendons grâce à Dieu pour tout ce qu’il fait et notre souhait est que justice soit faite pas seulement pour le dossier Norbert Zongo mais aussi pour tous les dossiers au Burkina qui n’ont pas connu de justice.»
Les perspectives pour le journal tiré à 5 000 exemplaires et animé par trois journalistes se résument en la recherche de financement et de partenaires. La directrice de publication ne manque d’ailleurs pas de faire la pub du numéro spécial actuellement dans les kiosques à journaux : «C’est un numéro spécial qui est intéressant, car on y retrace le voyage d’Arusha sur le procès et repris quelques anciens écrits de Norbert qui sont d’actualité aujourd’hui puisqu'il a dit des choses à l’époque qui se vivent présentement».
Hyacinthe Sanou
Encadré
Des anciens de la maison témoignent :
Qui mieux que ceux qui ont été de la maison pour témoigner et apprécier l’évolution du journal, 15 ans après la disparition de son fondateur ?
Germain Bitiou Nama, directeur de publication de L’Evènement
«Il faut se féliciter que le journal existe toujours»
Il faut se féliciter que le journal existe toujours et continue à paraître. C’est en soi-même un défi parce que ce n’est pas évident. Le contexte n’est plus le même, car la concurrence est aujourd’hui très forte et beaucoup de journaux ont disparu ou ont une parution irrégulière. L’Indépendant est là et continue de paraître, c’est déjà quelque chose. Pour ce qui est du contenu, je suis dans l’incapacité de l’apprécier du point de vue de la qualité, mais je sais qu’autant que faire se peut, ceux qui y sont essaient de s’accrocher à l’esprit de la maison c'est-à-dire à l’investigation et c’est ce qu’ils essaient de faire avec plus ou moins de bonheur.
Norbert était un ami. Bien avant son décès, nous avons collaboré. Lorsque j'écrivais des missions, je faisais des articles que je remettais à Norbert qui les publiait. Il avait aussi souhaité que j’anime une page philosophique dans L’Indépendant. De temps en temps donc, selon mes temps libres, je rédigeais ces pages philosophiques à l’intention des élèves et des personnes qui s’intéressent à cette matière. Chemin faisant, c’est devenu plus régulier. Lorsqu’il est décédé, ça coulait de source qu’il fallait poursuivre, ne serait-ce que pour découvrir la vérité sur son assassinat. C’est ainsi que j’ai tout de suite participé à la petite rédaction qui collaborait avec le journal dès le lendemain de Sapouy puisque j’ai été l’un des rares qui est allé sur les lieux et immédiatement après, j’ai écrit un article intitulé : «Qui a tué Norbert Zongo ?»
Et depuis lors, je me faisais un devoir de suivre la commission d’enquête et de l’aider dans son investigation car j’étais moi-même une source d’information. Et ce, jusqu’à la fin de la commission d’enquête indépendante et jusqu’en 2001, où nous avons décidé de créer L’Evènement. Je garde de lui l’image d’un travailleur parce que vous pouviez passer toute la journée avec Norbert et vous vous réveillez le lendemain, vous trouvez que le journal est écrit. Vous ne savez même pas à quel moment il écrivait ses papiers puisqué il a passé toute la journée avec vous. Je garde également en mémoire sa constance et sa rigueur dans la poursuite de ses idées et c’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre lui et les journalistes que nous sommes parce que lui, lorsqu’il a lancé quelque chose, tant que ça n’aboutit pas, il n’arrête pas. Nous, nous nous contentons de le lancer et de revenir de temps en temps dessus.
J’ai été également impressionné par sa simplicité. Norbert vivait très simplement alors qu’il était parmi les plus riches des journalistes parce que ce qu’il avait comme biens et qu’il mettait au service de son ranch n’était pas petit, je l’ai côtoyé, je le savais. Mais comme il avait un projet et qu’il savait que le journal est précaire et que du jour au lendemain on peut l’empêcher d’écrire, le ranch était pour lui un moyen de subsistance et qui devait subvenir aux besoins du journal pendant les temps durs. Il mettait donc l’accent dessus. Le ranch avait des véhicules et lui, il circulait à mobylette, c’est vous dire un peu la simplicité de l’homme.
Newton Ahmed Barry, rédacteur en chef de L’Evènement
«L’Indépendant a perdu de sa prestance»
Il y a eu deux éléments. Après l’assassinat de Norbert Zongo, la question ambiante était qui est responsable, qui est coupable de sa mort. A l’époque, j’ai fait publier un article par L’Observateur paalga sous le titre : «Si le gouvernement n’est pas coupable, il est responsable» parce que c’est quand même un citoyen burkinabè qui a été assassiné, la responsabilité de l’Etat est donc engagée. J’ai pensé également, et je n’étais pas le seul, qu’il serait difficile que L’Indépendant survive à Norbert Zongo parce que, lorsque ce dernier voyageait par exemple, le journal ne paraissait pas ; ce qui veut dire qu’il n’avait pas une équipe suffisamment solide pour permettre véritablement de faire paraître le journal en son absence. On a craint donc qu’après son assassinat, L’Indépendant ne disparaisse malheureusement.
En ce moment, j’étais journaliste à la Télévision, j’ai arrêté, je suis allé trouver là-bas, Germain Bitiou Nama, Bamas et le vieux Basile Baloum qui était un vieux collaborateur de Norbert. Avec cette équipe donc, on a animé le journal pendant près de trois ans parce que je suis parti après la création de L’Evènement en mai 2001. Germain est parti une année de plus. Il ne restait plus que Basile qui est resté jusqu’à ce que la maladie le rende impotent. Notre souci était que le journal vive et Dieu merci, il a survécu et plus que survécu d’ailleurs parce que pendant cette période, avec l’équipe en place, nous avions réussi à tirer à 25 000 exemplaires ; ce qui est assez inédit au Burkina et ça ne suffisait pas.
Ce que je constate aujourd’hui, c’est que malheureusement la relève n’a pas été assurée, il y a aussi un problème de ressources humaines qui fait que de nos jours quoi qu’on dise, ce bel organe de presse a perdu un peu de sa prestance. Je pense qu’aujourd’hui le journal vit surtout sur les acquis c'est-à-dire l’aura de son fondateur. Il faut donc souhaiter qu’une solide équipe puisse se constituer pour permettre à ce monument de la presse burkinabè de ne pas disparaître.
Elie Kaboré, journaliste à L’Economiste du Faso
«Le nom de Norbert fait vivre beaucoup de gens»
C’est en avril 2004, pendant le procès sur le coup d’Etat qu’un camarade de l’université qui était déjà à L’Indépendant m’a signifié que le journal avait besoin d’étoffer sa rédaction. Il se trouvait que je venais juste de quitter l’université et je travaillais comme attaché de communication au niveau d’une association, j’ai donc commencé ma collaboration avec le journal. Les papiers que j’envoyais étaient publiés. Le directeur de publication de l’époque, Liermé Somé, m’a proposé un contrat de travail à partir d’octobre 2004. Au départ, je m’intéressais aux publi-reportages mais aussi à quelques sujets de société. Une année après, je m’essayais à l’investigation et ma meilleure expérience reste un numéro spécial sur la mort de Norbert Zongo en 2007.
Ce journal a été pour moi, l’école pratique après la phase théorique. On mettait l’accent sur les reportages, il fallait identifier les reportages, les défendre en conférence de rédaction et justifier aussi le budget de la recherche d’information. En son temps, le journal avait un budget par mois pour la recherche de l’information. C’est ainsi que nous avons décroché 3 prix successifs du REN-LAC sur la lutte contre la corruption. C’est un peu grâce à cela que j’ai pu ensuite aller au niveau du REN-LAC comme chargé de communication.
15 ans après, c’est déjà un exploit que le journal existe toujours parce que ça n’a pas toujours été facile vu les crocs-en-jambe, les complots et tout ce qui a été fait pour que le journal ne puisse plus paraître. Ce que je regrette beaucoup aujourd’hui, c’est que le 13 décembre se commémore sans L’Indépendant. Les gens oublient que c’est par L’Indépendant que le 13-Décembre est arrivé. Beaucoup d’évènements s’organisent autour du 13-Décembre et beaucoup d’acteurs s’érigent aujourd’hui en défenseurs de la liberté d’expression sans que quelqu’un ne se pose la question : comment va le journal ?
On a laissé le journal aux travailleurs. C’est sur la base de ses ventes que le journal fonctionne alors qu’on sait que le nom de son fondateur fait vivre des gens, génèrent des financements. Il y a beaucoup de concepts qui se greffent autour du 13 décembre, mais ils oublient que tout est parti de l’Indépendant. Il faut que tous ses activistes se demandent ce qu’ils peuvent faire pour L’Indépendant !