La nouvelle presidente de la commission de l’Union Africaine la Sud africaine Nkosazana Dlamini Zouma symbolise la prise de pouvoir de son pays dans l’espace diplomatique africain.
La crise politique malienne qui mobilise la gouvernance de l’espace géopolitique ouest africain a eu comme conséquence de contribuer à la banalisation dans cette zone d’un évènement pourtant très significatif pour le continent africain : l’élection au terme d’un vote serré de Madame Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la commission de l’Union Africaine. Cette élection matérialise pourtant l’aboutissement d’une stratégie incontestable et assumée d’un pays, (l’Afrique du Sud) ayant la volonté de s’affirmer comme la puissance hégémonique dans l’espace géopolitique africain et de s’imposer ainsi en interlocuteur légitime de l’Afrique auprès des autres continents ainsi qu’auprès des organes de la gouvernance multilatérale.
Elle a obéît pour ce faire en une stratégie orchestrée depuis le retour au pays sur la scène diplomatique africaine après une grande période d’isolationnisme due à l’Apartheid. Même si elle a été Favorisée par deux atouts que sont la puissance économique du pays et sa trajectoire historique qu’il entendait fructifier, cette volonté s’est réalisée grâce à une stratégie bien planifiée dans le temps et dans l’espace. Quelles en sont donc les étapes de cette stratégie ?
S’intégrer au continent africain
De notre point de vue, la stratégie sud-africaine peut se subdiviser dans le temps en trois étapes depuis l’avènement au pouvoir de l’ANC . La première qui entre en pratique sous la période de la gouvernance Mandela a ainsi consisté pour l’Afrique du Sud à s’intéresser aux crises ou conflits de nature politique ou ethnique dans d’autres pays du continent africain sans doute par souci de reconnaissance pour le soutien diplomatique affiché par les autres pays africains durant les périodes d’apartheid. Cela a ainsi facilité son intégration et a aussi contribué à son affirmation comme un nouvel acteur d’un continent en quête de leader incontestable s’impliquant dans les grands dossiers du continent que n’ont pas réussi à assumer le Nigeria et l’Egypte.
Elle a ainsi presté dans la pratique de la médiation pour la résolution des crises dans certains pays d’abord dans la sous-région australe africaine (les crises politiques au Lesotho) utilisant le charisme d’un Nelson Mandela très adulé dans toute l’Afrique pour son œuvre, puis plus tard dans les autres espaces sous régionaux ( sa médiation dans la crise politique en république démocratique du Congo qui engendrera l’accord politique de Sun City).
Cette stratégie de l’intégration au continent africain s’étendra au domaine sportif avec l’organisation de la coupe d’Afrique des nations de football en 1996 qui en constitua un excellent cadre d’illustration. En effet, cette manifestation du fait de son envergure continentale due aux enjeux que représente le football en Afrique aura permis aux gouvernants sud-africains d’en faire un formidable outil de communication permettant de véhiculer une nouvelle image de l’Afrique du Sud ainsi qu’ un discours d’unité du continent. Cette notion du rassemblement dans le discours sera mise à contribution pour la seconde étape de leur stratégie dans les champs diplomatique et économique.
L’organisation de la coupe d’Afrique des nations de football a été sans conteste le fait marquant du premier acte de la strategie sud africaine. Il a été favorisé par le charisme du president Nelson Mandela.
La renaissance africaine : un outil diplomatique au service des prétentions de l’Afrique du Sud
La renaissance africaine, seconde étape de la stratégie de l’Afrique du Sud a été l’outil diplomatique de la gouvernance de Thabo Mbeki. Le 16 juin 1999 accède au pouvoir Thabo Mbeki, le deuxième président de l’ANC (cette précision est très importante dans la mesure où elle permet de justifier la continuité en terme d’actions publiques notamment cette stratégie africaine de la politique étrangère du pays entamée sous Mandela). Dans un discours ambitieux, celui-ci affirme de manière sous-jacente la volonté de l’Afrique du Sud de passer à la seconde étape de sa stratégie de conquête africaine à travers la renaissance africaine. Ce concept prôné dès 1948 par Cheik Anta Diop, formulée dans le discours sous la gouvernance Mandela sera réapproprié par Mbeki avec l’idée d’un continent africain émancipé de la tutelle du monde occidental et œuvrant à trouver des solutions africaines aux problèmes africains.
Cette vaste entreprise intègre tous les grands enjeux sur le continent : « démocratie, de paix et stabilité, de développement durable et de vie meilleure pour le peuple, d’absence de racisme et de sexisme, d’égalité entre nations et d’un système de gouvernance internationale qui soit juste et démocratique. »
Ce discours à vocation souverainiste a tout de suite suscité l’adhésion des pays africains en quête d’une plus grande marge de manœuvre dans leurs actions publiques et à la recherche d’un leader naturel pour le continent . L’Afrique du Sud quant à lui apparaissait ainsi comme le recours idéal au vu de son passé récent et surtout des échecs du Nigeria et de l’Egypte à cette entreprise. Elle avait déjà commencé à l’assumer en conduisant des initiatives pour les causes africaines dont la plus illustre fût le NEPAD .
Avec la renaissance africaine, l’on pouvait ainsi penser que l’Afrique du Sud avait décidé d’assumer la conduite d’une lutte dépendantiste au service du continent africain. Cette perspective était toutefois bien loin des objectifs réels de la renaissance africaine car celle-ci comportait un enjeu sous-jacent. En effet, affirmée dans le discours du congrès l’ANC en 1997 (dans son document cadre intitulé developping a strategic perspective on South African Foreign Policy) la renaissance africaine un outil politique participant à la réalisation de la seconde étape de la stratégie des gouvernants sud-africains : conquérir l’Afrique sur les plans diplomatique et économique et en devenir son leader légitime : « le leitmotiv de la renaissance africaine participe à l’ambition sud-africaine de s’ériger en tant qu’acteur économique et diplomatique incontournable à l’échelle africaine mais aussi comme un Etat pivot qui jouerait le rôle de porte d’entrée pour les pays occidentaux et les organisations internationales, notamment l’ONU et les Etats du G7 dans leurs relations avec les Etats africains et notamment l’Afrique subsaharienne. » conclut ainsi Folashadé Soulé-Kohndou . Elle n’est donc qu’un outil de soft power participant à légitimer au niveau continental une étape de cette stratégie grâce à l’adhésion qu’elle devait susciter et au vu du résultat obtenu, l’objectif était donc atteint.
Après avoir validé cette étape, l’Afrique du Sud était ainsi apte pour l’ultime qui est l’accroissement de son pouvoir d’influence dans les sphères de décision de la gouvernance régionale africaine.
Accroitre son influence au sein de l’union africaine : l’ultime étape de cette stratégie
L’avènement du multilatéralisme a entrainé de facto un changement dans la nature du pouvoir. Celui-ci tend à s’illustrer de plus en plus par la capacité qu’ont les Etats d’accroitre leurs pouvoirs d’influence dans les organes de gouvernance de type régionale et/ou mondiale qui, dans cette architecture constituent des outils de légitimation de toute action publique à l’international. La stratégie Sud-Africaine sur le continent africain n’a pas échappé à cette logique. Après s’être assuré le contrôle de l’espace sous régional SADC, l’Afrique du Sud a depuis entrepris un intense lobbying afin de pouvoir influer sur les actions de l’Union Africaine. Cette étape constitue la plus importante mais aussi la plus difficile de la stratégie dans la mesure où elle permettrait la validation au niveau de la gouvernance continentale de ses choix d’actions publiques continentales, ce qui de facto signifie un travail de sape des actions des principaux prétendants comme elle à des postures continentales. Elle a de ce fait déployé des initiatives d’offshore balancer pour réduire le pouvoir de son principal concurrent dans sa base ouest africaine.
- Contester l’hégémon sous régional du Nigeria en Afrique de l’Ouest.
Comme l’Afrique du Sud, le Nigeria puissance hégémonique sous régionale ouest africaine aspire à des prétentions continentales et même internationales pour l’Afrique. Dans le cadre de la probable réforme de l’ONU et des modalités de désignation des futurs membres du conseil de sécurité, ce pays constitue la principale menace de l’Afrique du Sud quant à l’aboutissement de sa stratégie. L’Afrique du Sud dans cette situation a ainsi tissé des partenariats stratégiques avec des pays en Afrique de l’Ouest (après le Sénégal qui était présent à ses côtés lors de la période de la renaissance africaine, la Côte d’Ivoire du régime Gbagbo fût le second pays choisi par l’Afrique du Sud pour tisser un partenariat) afin d’en faire des alliés capables de contester la suprématie du Nigeria dans cette partie du continent, ce qui lui accorderait une avance significative dans leurs ambitions identiques . Toutefois, cette entreprise s’est soldée par un échec (notamment lors de la crise post-électorale ivoirienne.
La volonté sud-africaine d’imposer son choix malgré l’existence au niveau continental d’une architecture de résolution des crises passant dans un premier temps par les prestations des conseils de paix et sécurité des espaces sous régionaux s’est soldé par un échec aussi bien sur le plan diplomatique que géostratégique ). Cette affaire a eu pour conséquence de renforcer le Nigeria dans sa position de leader en Afrique de l’Ouest. Toutefois des mouvements de contestation de l’ordre politique fédéral (Boko haram) tendent à créer le doute déjà existant quant à sa capacité à consolider un leadership en Afrique de l’Ouest. En outre, l’incident ivoirien pas occasionné un changement dans la stratégie de l’Afrique du Sud qui est même passé à une autre étape.
- s’assurer le contrôle de la gouvernance de l’Union Africaine. L’année 2012 constitue une année très importante dans l’agenda diplomatique africain car étant sera l’occasion des élections à la tête de l’organe exécutif de l’union africaine. Cette occasion aura permis à l’Afrique du Sud de finaliser sa stratégie. En effet, il réussira après une élection somme toute serrée, à obtenir l’élection de sa candidate Madame Nkosazana Dlamini-Zuma à la présidence de l’Union. Cet évènement constitue une étape très importante car elle finalise la stratégie entamée depuis plus d’une décennie. Elle permet ainsi à l’Afrique du Sud de disposer d’un solide pouvoir incontestable dans la gouvernance de l’Union Africaine.
En définitive
On peut dire qu’avec l’élection de Madame Nkosazana Dlamini-Zuma à la présidence de la commission de l’union africaine, l’Afrique du Sud vient de réaliser l’ultime étape de sa stratégie : s’assurer le contrôle de l’Union Africaine pour s’assurer la légitimation de ses choix d’action publique ainsi que ses prétentions continentale et internationale. La situation politique actuelle de ses principaux rivaux potentiels (le Nigeria en proie à des problèmes internes et l’Egypte en situation de reconstruction post crise) permet à l’Afrique du Sud s’illustrer actuellement comme étant le seul interlocuteur incontestable de l’Afrique auprès de ses partenaires multilatéraux.
Cette position est d’ailleurs légitimée depuis 2011 et son entrée dans le groupe des BRICS . Au sein de l’espace diplomatique africain on peut donc affirmer qu’on assiste avec Madame Nkosazana Dlamini-Zuma au début d’une nouvelle ère dans l’espace diplomatique africain : celle d’une hégémonie incontestable de l’Afrique de Sud.