Le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) a organisé un panel sur le thème « La Justice burkinabè face à la corruption », le lundi 9 décembre 2013 à Ouagadougou.C’est à la faveur de l’organisation des activités entrant dans le cadre des journées nationales du refus de la corruption.« Au Burkina Faso, la Justice reste souvent inerte quand il s’agit de sévir contre de grands délinquants à col blanc », écrivait le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) dans son adresse aux acteurs du monde judiciaire à l’occasion de la dernière rentrée judiciaire, a rappelé, d’entrée de jeu, le Secrétaire exécutif de ce réseau, Claude Wetta, lors du panel animé le 9 décembre dernier sur le thème : « La Justice burkinabè face à la corruption ». Le choix de ce thème, pour la 2e fois après 2011, traduit l’importance que le REN-LAC accorde au rôle de la Justice dans la lutte contre la corruption, a dévoilé Claude Wetta. Aussi s’agit-il, selon lui, d’interpeller l’ensemble des acteurs sur la nécessité de construire une Justice indépendante et intègre : « Le REN-LAC insiste, comme à chaque occasion, sur l’impérieuse nécessité d’une Justice au service de la veuve et de l’orphelin, c’est-à-dire du faible. La Justice, en 2013, aura été au centre de bien des récriminations de la part des populations. La Justice est devenue l’objet de contestations, surtout de méfiance, en témoignent les vindictes populaires. L’autorité y est allée également de sa défiance à l’égard de la Justice en refusant notamment de restituer un bien à ses propriétaires malgré l’injonction des juges. Fait digne d’intérêt et notable, des acteurs de la Justice eux-mêmes sont passés aux aveux. Sur fond de frustrations, ils ont fini par porter sur la place publique leurs pactes secrets avec des justiciables », a relevé le secrétaire exécutif du REN-LAC.
Le visage de la Justice burkinabè dévoilé
A la suite du secrétaire exécutif du REN-LAC, ce fut au tour de Me Batibié Benao de donner une communication sur « Le visage de la Justice dans la corruption ». Selon le conférencier, la Justice présente une image qui permet à la corruption d’y pénétrer facilement. Cette situation est favorisée par le manque de matériel au niveau des magistrats, les salaires ou les conditions de travail qui sont très critiquables. A cela s’ajoute le problème au niveau des textes : « Il y a beaucoup de situations où le juge a un pouvoir discrétionnaire. On ne lui demande pas des comptes par rapport à ce qu’il fait de telle sorte que souvent les gens exploitent les textes pour pouvoir se faire corrompre ». En général, a-t-il ajouté, il n’y a pas une seule profession qui doit être indexée dans cette situation. Toutes les professions qui interviennent au niveau de la Justice sont concernées, toutes les générations sont concernées ; que ce soit les jeunes, les vieux, tout le monde est concerné au niveau du personnel judiciaire. Le problème de la corruption est ensuite transpatrimonial parce qu’au niveau du pays, il n’y a pas que les riches qui s’adonnent à la corruption, même ceux qui n’ont rien croient faire des promesses pour pouvoir avoir une sécurité juridique parce qu’ils n’ont pas du tout confiance en la Justice, a indiqué Me Bénao.
Le deuxième sous-thème du panel a été développé par le magistrat, conseiller à la Cour d’appel de Ouagadougou, René Bagoro. Il a axé son exposé sur le thème : « Le Conseil de discipline du magistrat (CDM) face à la corruption ». Selon lui, le CDM qui est une structure relevant du Conseil supérieur de la magistrature, demeure inefficace. Cette inefficacité se justifie, selon lui, par le fait que seul le ministre en charge de la justice est habilité à saisir le CDM. René Bagoro a également relevé la politisation de la Justice, qui rejaillit sur le CDM. Pour permettre au CDM de jouer son rôle de veille déontologique, il a proposé qu’on élargisse sa saisine afin de permettre au citoyen de pouvoir dénoncer des faits au CDM, quitte à mener une enquête pour vérifier les faits. « Tant que cela restera une exclusivité du ministre de la Justice, il est clair que l’on ne pourra pas atteindre les objectifs fixés ». Pour le conseiller à la Cour d’appel, la corruption est une réalité dans la Justice, mais les mécanismes actuels de lutte sont inefficaces et il faut les redynamiser par le concours de tout le monde.
Quant au juge au tribunal administratif de Ouagadougou, Karfa Gnanou, qui a représenté le ministère de la Justice à l’occasion du panel, il a fait un exposé sur « Les moyens de la Justice contre la corruption au Burkina Faso ». A l’en croire, la Justice a des moyens limités pour combattre efficacement la corruption en son sein mais également la corruption de façon générale. Le peu de moyens dont dispose la Justice n’est pas également utilisé à bon escient pour combattre efficacement le phénomène, a-t-il relevé. De même, les structures qui sont mises en place ne fonctionnent pas avec efficacité, ainsi que la prévention. « Tous les discours qui sont tenus en relation avec la production d’un manuel de procédures ou d’un guide du justiciable ou l’ouverture du bureau d’accueil et d’information pour les justiciables ne sont pas d’une effectivité. Donc, le volet prévention n’est pas une effectivité en tant que tel », a affirmé le juge Gnanou. Pour ce faire, des suggestions ont été formulées par le juge qui a demandé à l’ensemble du peuple burkinabè de s’intéresser à l’indépendance de la Justice car la lutte contre la corruption passe par une Justice indépendante et crédible. Il a par ailleurs proposé que le CDM puisse être ouvert à d’autres acteurs. « Aujourd’hui, ce n’est que le ministre de la Justice seul, membre du pouvoir exécutif donc ayant des intérêts politiques, qui puisse saisir le Conseil de discipline pour des faits que l’on peut reprocher à un magistrat, y compris des faits de corruption », a relevé Karfa Gnanou, pour qui des dotations conséquentes en termes de moyens matériels ne seront pas non plus de trop pour que la Justice puisse faire son travail.
Ces thématiques abordées sur plusieurs pans de la Justice ont été initiées par le REN-LAC à la faveur de la 8e édition des journées nationales du refus de la corruption qui se sont déroulées du 1er au 9 décembre 2013. Outre ce panel, des activités sportives et culturelles ont été menées par le REN-LAC qui a saisi l’occasion pour informer l’opinion publique sur l’évolution de la corruption au Burkina.