Dans cette mise en scène du texte Arrêt sur image de Gustave Akakpo, Cédrix Brossard de la compagnie Acétès accommode le théâtre à la musique électro. C’est un spectacle hybride, une partition musicale pleine de bruit et de fureur portée à incandescence par le comédien Kader Lassina Touré.
Sur scène, deux hommes. D’un côté, un Dj devant sa table de mixage. De l’autre, un jeune homme qui se retourne sur sa vie. Des mots et de la musique qui racontent une enfance pas heureuse avec un père qui rêve de faire de son fils un footballeur, un passeur de génie qui donnerait la coupe à son pays. Ce rêve a avorté mais le fils est devenu un passeur. Pas de ballon mais d’hommes candidats à l’émigration. Jusqu’à ce jour où il envoie deux enfants à la mort. La médiatisation de ces morts oblige les autorités à rechercher les responsables. Alors il décide à son tour de tenter la traversée de l’Atlantique. Avant de se lancer sur les routes de l’aventure, il s’adresse au père absent.
Entre les beats rageurs de la musique techno le monologue du passeur nous conte par le menu l’émigration clandestine. Il roule des mécaniques, se la joue en mode gangster, mais il n’est pas dupe. Il sait qu’il n’est qu’un rouage dans l’engrenage de l’émigration clandestine. Il a beau se gargariser de mots sur les liasses qu’il dépense en boîte, sur les filles dont il abuse, sur les pauvres hères qu’il envoie au casse-pipe sans état d’âme, ce passeur est juste une petite frappe.
Kader Lassina Touré est dans ce monologue d’une énergie féline. Son interprétation est plus proche de la performance d’athlète. Pendant une heure, l’acteur crie, hurle son mal-être, danse et sans que jamais l’on sente l’énergie faiblir.
Le texte de Gustave Akakpo, malgré sa puissance d’évocation fait partie d’un vaste corpus de pièces qui ont abordé l’émigration dans la première décennie des années 2000 ; de ce fait, il aurait pu être un bras qui se perd dans la mer des textes écrits sur l’émigration sans cette mise en scène audacieuse. En effet, en le plongeant dans un bain de sonores, en le slamant, en le hurlant dans un déchainement d’électro, Arrêt sur image s’entend comme une partition. De plus, les paroles d’émigrés qui traversent le texte à travers les lettres d’émigrés que ceux-ci adressent à leur famille, donnent une allure plus documentaire. Au choc des mots et des notes, ces lettres ajoutent le poids des vies réelles qui lestent le texte d’une dimension réaliste. Plus que la recherche d’un Eldorado, les candidats au départ entendent fuir un avenir bouché. La plupart mènent une vie de forçat dans le pays d’accueil pour envoyer de l’argent à la famille restée au pays pour scolariser les gosses, relever des murs écroulés, offrir un toit qui ne fuit pas à ses géniteurs, marier un frère, etc. Après les récentes tragédies des centaines d’Africains engloutis dans le ventre de l’Atlantique, cette pièce est d’une brûlante actualité.
La mise en scène de Cédrix Brossard réussit le prodige d’utiliser la musique sans nuire au texte. D’ailleurs, elle agit dans la pièce comme le lièvre dans la course de vitesse, elle accompagne le texte, lui insuffle de la puissance quand il paraît se traîner et s’éclipse quand il le faut pour le laisser franchir, seul, la ligne d’arrivée. Présente mais jamais envahissante, la musique est à sa place et le spectacle reste théâtral et non une rave party !
Ce spectacle qui se joue des frontières entre musique et théâtre refuse aussi le cloisonnement des spectacles. Il a été joué dans la plupart des espaces culturels de Ouagadougou. C’est un bel exemple de démocratisation du théâtre que les créateurs de spectacles devraient suivre pour offrir le théâtre à un large public.