Les Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO) se tiennent du 20 au 23 novembre 2013.Elles mobilisent les journalistes professionnels, les chercheurs,… pour débattre des questions d’actualité.Dans cet entretien accordé aux Editions Sidwaya, le ministre de la Communication, Alain Edouard Traoré, nous parle des enjeux, des innovations de la présente édition, du rôle des médias dans la consolidation de la démocratie et de la paix dans le monde.Sidwaya (S.) : Quels sont les enjeux de l’édition 2013 des UACO ?Alain Edouard Traoré (A.E.T.) : De manière fondamentale, les enjeux tiennent au thème.Nous sommes dans un contexte mondial africain où les problématiques de paix et de démocratie sont vraiment à l’ordre du jour. Je pense que l’Afrique n’est pas épargnée de cette problématique. Nous savons aussi que les journalistes et la communication jouent un rôle essentiel dans la construction de la démocratie sur le continent africain. Et cette édition vise à poser la réflexion sur le lien entre la communication, la paix et la démocratie sur le continent. Voilà fondamentalement le grand enjeu de cette édition. Nous voulons continuer le processus entamé en 2011. C’est-à-dire, faire des UACO une plateforme de rencontre internationale où des acteurs de divers horizons se rencontrent pour échanger sur les problématiques de la communication. Au-delà du thème, il y a aussi ces cadres de rencontres et de réflexion qui sont organisés entre des acteurs.
S. : Combien de pays participent aux UACO 2013 ?
A.E.T. : Pour cette édition des UACO, il est attendu une vingtaine de pays africains et cinq à six pays européens. Globalement, nous attendons entre vingt-cinq et trente pays.
S. : Pour cette édition, quelles sont vos attentes vis-à-vis du public-cible ?
A.E.T. : Il s’agit pour nous de magnifier le rôle de la presse, des médias et de la communication dans les perspectives de construction de la démocratie et de la consolidation de la paix sur le continent africain. Et je pense que la communication joue un rôle magistral. Aujourd’hui, à la faveur de ces UACO, cette thématique doit nous amener à réfléchir à comment mettre davantage la communication au service de la démocratie et comment allier les exigences de la communication avec les exigences de la paix sur le continent africain. Je pense que l’un dans l’autre, il s’agira de magnifier vraiment la profession parce que la communication joue un rôle éminent important en termes d’implication du citoyen à l’action publique, de leur sensibilisation au processus de démocratie sur le continent. En termes d’interpellation des gouvernants par rapport aux problèmes de fond qui sont posés quant à la démocratie, la lutte contre la corruption, aux questions de paix, de sécurité, etc. Donc, la communication joue un rôle dans tous les secteurs et je pense qu’il est extrêmement important que nous puissions, à travers ces quelques jours de réflexion, apprécier le rôle et l’impact de la communication et comment l’améliorer pour mieux cibler les questions de paix et de démocratie.
S. : Souvent manipulés par des pouvoirs politiques, économiques ou sociaux, les médias sont parfois auteurs de manquements graves. Comment être à l’abri de telles manipulations dangereuses pour la paix sociale ?
A.E.T. : C’est être ou essayer d’être au quotidien et à tout moment professionnel. Lorsqu’un journaliste applique les règles de professionnalisme, il est difficile qu’il soit manipulé parce qu’il va toujours vérifier l’information. Il va toujours avoir en lui le bon sens, de corroborer l’information, de garantir la pluralité et l’équilibre. Et lorsqu’on applique ces règles qui constituent des B.A.-BA de la profession, il est difficile de se faire manipuler. Mais naturellement, un journaliste qui accepte prendre de l’argent où qui écoute une personne qui lui donne une information supposée vraie et qui se précipite pour la diffuser sans la vérifier, je crois qu’il manque de professionnalisme, de rigueur et de sens de responsabilité dans son travail. Donc en réalité, les responsabilités sont partagées. Il y a les politiques qui veulent un certain nombre de choses et parfois, ils n’ont pas de scrupule pour atteindre leurs objectifs. Mais le journaliste doit être différent. Il doit se dire que l’homme politique peut avoir des attentes, mais il ne doit pas se méfier, mais toujours vérifier l’information sinon, il se met malheureusement au service du processus dont il n’a pas la maîtrise de tous les tenants et les aboutissants. Pour faire face à cette dérive, c’est le professionnalisme et toujours se demander si on pose des actes conformes au professionnalisme tels qu’on l’a appris.
S. : Les UACO 2013 rendront hommage aux communicateurs traditionnels que sont les griots. De quoi s’agira-t-il concrètement ?
A.E.T. : Il ne s’agit du griot tel que le sens l’a galvaudé aujourd’hui. Depuis le lancement de la campagne de communication, la thématique du griot est revenue au-devant de la scène, ce n’est pas mal. Nous avons pris le concept de griot dans son sens le plus noble. Le griot a un rôle important dans nos sociétés traditionnelles et ça ne date pas d’aujourd’hui, c’est séculaire. Lorsqu’il a été question d’adopter la politique nationale en matière de communication, on nous avait reproché de ne pas suffisamment prendre en compte les communicateurs traditionnels. Et jusqu’à présent, dans notre pays, il y a beaucoup d’activités et d’actions publiques comme les campagnes de vaccination, les campagnes de sensibilisation sur la déforestation, l’environnement, l’hygiène publique, la scolarisation et dans le cadre des projets et programmes de développement à la base, de la décentralisation, où ces communicateurs ne font pas œuvre utile. Lorsque vous passez par ces communicateurs parfois pour organiser des rencontres, sensibiliser les populations, etc., ils sont plus efficaces qu’une radio ou une télévision. Parce qu’il y a certaines zones du Burkina qui n’ont pas accès à la télévision ni à la radio. Ce qui fait que fondamentalement, on a besoin encore de ces acteurs pour communiquer avec les populations. C’est dans ce sens que nous l’avons envisagé et nous avons voulu avoir simplement une soirée-gala pour parler du griot. Nous n’avons pas voulu donner une autre définition. Le mot griot est le mot qu’on connaît qui existe dans beaucoup de pays africains. Maintenant que ce mot ait été galvaudé ou pas n’est pas le problème. C’est que le mot dans notre tradition constitue une réalité fondamentale et c’est ce que nous avons voulu faire. Ce sont les premiers communicateurs et vous (les journalistes), vous êtes des communicateurs modernes qui ont appris à communiquer selon des critères, des indicateurs, des méthodologies professionnelles adaptées aux exigences du monde moderne actuel. Mais nous avons nos traditions, nous avons encore ces castes qui existent dans nos pays et ce n’est pas parce que c’est galvaudé en partie que cela remet en cause leur rôle. Nous voulons parler de la communication telle qu’elle se passait dans la société traditionnelle africaine et rendre hommage à certains qui existent et qui font leur travail. Sans vouloir critiquer, comparer, donner des leçons à qui que ce soit, nous voulons simplement apprécier, rendre hommage à ceux qui, dans les sociétés traditionnelles, font un travail de communication de proximité et un travail à la base. Sidwaya tire par exemple un journal de 5 000 ou 10 000 exemplaires, nous sommes un pays de 15 millions d’habitants, combien de personnes ont accès au journal ? Combien ne savent pas lire ? Qui prend le relais par la suite ? Aujourd’hui, si je veux faire une campagne de communication à Sindou, à Niankorodougou ou ailleurs, si je fais ma campagne de communication dans Sidwaya, peut-être que moins de 10 personnes du lieu où je veux mener l’action politique, vont être informées. Pourtant, si je vais sur place, je rencontre le griot, je dis, nous voulons tel jour organiser une activité, je suis persuadé que le griot de la localité va sensibiliser tout le village, toute la localité et que les gens vont sortir. Ces griots ont encore une action à mener dans nos sociétés. Voilà pourquoi, nous avons souhaité dans le cadre de cet événement-phare du secteur de la communication dans notre pays rendre un hommage à la communication traditionnelle et ses acteurs que sont les griots.
S. : Quelles sont les innovations à cette 9e édition des UACO ?
A.E.T. : Depuis 2011, les UACO ne sont pas seulement un colloque thématique. Le colloque thématique se déroule cette année à l’hôtel Azalaï. Au-delà de ce colloque, nous aurons des interventions dans les universités, des grandes écoles et des instituts de formation des professionnels de la communication. Nous recevrons des hautes personnalités du secteur des médias et de la communication, des journalistes chevronnés qui ont occupé de hautes fonctions dans nos médias en Europe et qui ont accepté de venir partager leurs expériences. Ils vont participer aux colloques, mais ils vont aller aussi s’entretenir avec les étudiants dans les écoles de journalisme. Nous avons pensé à l’Université de Ouagadougou, à l’IPERMIC, à l’ISIG et à toutes les écoles où on forme des journalistes, qui acceptent ou sont en partenariat avec nous, pour recevoir des personnalités qui, en temps normal, ne pourraient pas les recevoir pour discuter avec les élèves et les étudiants. Une autre innovation, c’est l’opportunité de faire venir des journalistes et des professionnels de la communication d’Europe et de pays africains, l’opportunité aussi des échanges d’expériences. Donc, nous aurons des échanges de presse et des visites d’organes. Nous avons beaucoup d’organes privés qui ont souhaité recevoir les visites de nos professionnels. Et ce n’est pas fermé. Il s’agit de tous ceux qui veulent qu’on visite leur organe pour discuter avec leurs journalistes pour qu’ils puissent partager leurs expériences. Nous allons aller dans un certain nombre de télévisions, d’organes de presse. Il y a aussi les aspects touristiques et communication sur le Burkina. A l’heure où on parle de prise d’otage, d’assassinat de journalistes dans des pays, le Burkina reste un pays stable au plan sécuritaire, un pays où les choses fonctionnent normalement. Et l’arrivée de tous ces professionnels de la communication constitue aussi un signe que même étant dans une sous-région marquée par beaucoup de difficultés en termes de paix et de sécurité, notre pays échappe à tout cela et nous pouvons nous en féliciter. Il faut surtout prendre conscience de cela pour continuer à poser les actes qui font que nous en sommes là et continuer à communiquer là-dessus pour donner une autre image du continent africain qui ne se résume pas aux images des prises d’otages, d’assassinats. C’est pourquoi, les invités que nous allons recevoir vont avoir un programme de visite pour pouvoir découvrir les fondamentaux de notre démocratie. Aussi, à la faveur des UACO, nous allons mener un certain nombre de discussions dont une sous le patronage de la commission de l’UEMOA sur la perspective de la télévision numérique de terre. La télévision numérique de terre est à l’agenda de tous les pays africains parce que c’est l’agenda mondial pour passer de l’analogie au numérique. Et nous avons au niveau de l’UEMOA et du continent africain, des concertations. Nous envisageons, à la faveur des UACO, une session de formation sous forme de petit déjeuner qui sera patronnée par la commission de l’UEMOA pour réfléchir avec l’ensemble des acteurs autour de la transition numérique. Il y a aussi une exposition que nous organisons avec les acteurs de la communication, les médias, les agences de communication et de publicité, etc. En somme, tous les acteurs qui peuvent converger autour de la problématique de la communication. Aujourd’hui, quand on parle de communication, ce sont les nouvelles technologies de l’information et de la communication, c’est la convergence numérique. Aujourd’hui, télévision, c’est sur le téléphone portable, c’est sur Internet,... Quand on parle de communication de nos jours, c’est une chaîne d’acteurs qui interviennent pour faire de la communication. Ce sont les différentes facettes d’acteurs qui viendront exposer leur savoir-faire pendant ces quatre jours à l’attention des participants à ces universités.
S. : Pour la réussite de cette édition, quel appel avez-vous à lancer aux professionnels de la communication ?
A.E.T. : J’appelle tous les professionnels à prendre part à cette 9e édition des UACO. C’est leur événement et nous ne sommes que leur humble serviteur pour essayer d’organiser cette plateforme pour leur permettre de discuter. Par ailleurs, en tant que gouvernants et participants, nous essayons d’écouter, de prendre en compte les préoccupations, les idées critiques pour améliorer les processus et perspectives dans notre pays. Cela est fondamentalement important et nous invitons tous les communicateurs à prendre part à cette plateforme pour vraiment exprimer leurs attentes, leurs visions, leurs suggestions à la problématique de la paix, de la démocratie sur le continent et dans notre pays. C’est ce à quoi nous allons transformer en action publique de développement et de gouvernement.
Interview réalisée par :
Abdel Aziz NABALOUM
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