Dans son dernier numéro, Jeune Afrique aborde un sujet politique typique à l’Afrique : la propension de certains chefs d’Etat à s’accrocher au pouvoir au prix de multiples contorsions juridiques, politiques et intellectuelles. Alors que pour diverses raisons, ils avaient accepté la limitation du mandat présidentiel, ils se rebiffent lorsque sonne l’heure pour eux de partir. Si dans certains pays européens encore autocratiques comme la Russie, l’astuce a constitué à quitter son fauteuil, le temps d’une jachère, avant de le reprendre, en Afrique, les méthodes sont plutôt brutales. Point besoin de faire semblant ; on va droit au but en s’attaquant à la Constitution dans sa clause limitative des mandats présidentiels. Et tant pis si l’on dénie sa parole, si la démocratie est bafouée et si l’alternance est renvoyée aux calendes grecques. L’essentiel est que le président et son régime se perpétuent jusqu’au jour où…
En effet, une trop grande longévité au pouvoir, contrairement à ce qu’en pensent ses contempteurs, finit généralement très mal. La sclérose et le délitement des institutions républicaines et l’absence de mécanismes de dévolution démocratique du pouvoir sont le lot des pouvoirs à vie. L’absence de celui qu’on disait indispensable, pour justifier son maintien au pouvoir, plonge le pays dans une période plus ou moins longue d’instabilité. Il suffit de regarder autour de nous, sur le continent, pour voir comment des pays, tenus d’une main de fer, ont basculé du jour au lendemain dans le chaos. Avant le printemps arabe qui a balayé les raïs d’Afrique du Nord, la plupart des dirigeants morts au pouvoir après un long règne n’ont pas fait du bien à leurs pays. On ne citera que les cas ivoirien et togolais. D’autres dirigeants ont été chassés par des révoltes populaires, soit par des rébellions ou par des putschs. Le Niger, à ce titre, devrait servir de cas d’école. Pris d’une sorte de boulimie du pouvoir, le président de l’époque, Mamadou Tandja, a cru voir son destin lié à celui du Niger, à tel point qu’il ne concevait pas une vie hors du présidentiel. Le ridicule argument qu’il avait trouvé, et que le peuple nigérien avait rejeté, c’était qu’il avait des chantiers à achever. La suite, on la connait : l’armée a dû intervenir face à la colère populaire pour organiser une transition et remettre le pays sur les rails de l’ordre constitutionnel normal. C’est dire que les coups d’Etat que l’Afrique cherche tant à éradiquer seront toujours une menace tant que les dirigeants verrouilleront les possibilités d’alternance par les urnes.
Ainsi, la « révisionite », cette maladie consistant à tripatouiller la Constitution pour ses propres intérêts, a la peau dure en Afrique. Abdel Aziz Bouteflika, Idriss Déby Itno l’ont déjà expérimentée. D’autres sont sur leurs traces. Le président burkinabè est ainsi suspecté de velléités de révision de la Constitution pour avoir le droit de se présenter pour un nouveau bail en 2015. Bref, si un peu partout dans le monde on essaie d’épouser son temps en veillant à l’alternance, en Afrique on est toujours à l’époque de l’homme providentiel. Après le Discours de la Baule de François Mitterrand, celui d’Accra prononcé par Barack Obama est un des repères majeurs de l’évolution de la démocratie en Afrique. Le président avait touché du doigt une tares que continue de traîner le continent, quand il a proclamé que « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ». Visiblement, pour certains chefs d’Etat africains, le premier président noir des Etats-Unis a prêché dans le désert. Et pourtant, l’histoire récente du continent nous montre qu’il n’a pas tort. Le dernier numéro de Jeune Afrique sur ces chefs d’Etat qui continuent de s’accrocher au pouvoir sonne donc comme un signal d’alarme .