Nak-Nak est un spectacle en mooré écrit et mis en scène par Sidiki Yougbaré et joué par Eudoxie Gnoula et Abdoulaye Bamogo. Avec cette troisième pièce, Sidiki Yougbaré poursuit sa recherche d’un théâtre contemporain en langue nationale où le mooré devient un matériau littéraire, travaillé, poétisé. Nak-Nak est un texte truculent qui met en scène une prostituée dont la verdeur du langage secoue bien les hypocrisies
Dans une maison baignée par la douce lumière des paravents, une femme en ensemble corsage et pagne blanc immaculé, hauts talons, cigarette aux lèvres, s’épanche sur sa vie. Pour cette confession publique, elle a convoqué la presse.
Elle se met en scène en réglant les éclairages et transforme ainsi son domicile en un théâtre de confessions. Le spectateur pense qu’elle est une commerçante, ces femmes analphabètes qui, parties de rien, réussissent, à la force du poignet, à se hisser au sommet de la hiérarchie sociale. Aussi interprète-t-il sa rudesse et ses manières désinvoltes comme les résidus de la gaucherie paysanne alliée à la morgue de la nouvelle riche. Ce spectateur met donc le besoin de mettre sa vie en scène et de se confier aux échotiers sur le compte de la mégalomanie ou le désir de partager avec l’opinion publique une révélation d’importance.
Le récit que cette femme débite dessine petit à petit la fresque d’un passé peu rose, celui d’une femme maltraitée par son époux, et sourd de ses paroles la révolte contre le Mâle. A travers le traitement qu’elle inflige à son pauvre majordome, on découvre sa rancœur contre les hommes, contre l’Homme.
Plus les mots sortent, crus, obscènes, plus les digues de la retenue cèdent et plus elle se dévoile. A la fin, tombe complètement le masque, elle se dévêt, les habits immaculés tombent sur le sol comme des peaux mortes d’une mue et surgit un papillon de nuit, en talons aiguilles, moulé dans un pantalon rouge sous un bustier noir qui se dissout dans la nuit. Cette dame est une Putain respectueuse.
Ce texte n’est pas l’apologie de la prostitution mais la photographie d’une réalité. A Ouaga, à la nuit tombée, on a l’impression que chaque lampadaire et chaque arbre abrite une prostituée. Il faut par conséquent admettre sans faux-fuyant que la prostituée est un personnage des cités africaines qui mérite d’entrer dans le théâtre contemporain. Par ailleurs, à côté du personnage du fou, elle est la seconde à pouvoir tenir un discours de vérité sur la société dont elle a dérogé à certaines règles. Aussi, nul besoin de juger cette femme ; si la société a fait d’elle une prostituée, elle a fait du monde un vaste bordel. Et puis, à y réfléchir, est-ce seulement le commerce du corps qui fait la prostituée ? De quel nom appellerait-on qui monnaie sa liberté de penser ou d’agir contre une meilleure situation ?
Eudoxie Gnoula campe avec brio et beaucoup d’énergie cette femme de nuit, exemple de réussite le jour et racoleuse la nuit. La mise en scène est affaiblie par les contraintes matérielles et la logique des festivals qui ont déteint sur le choix artistique. Par exemple, l’immense talent d’Eudoxie Gnoula permettait qu’elle occupât seule la scène dans un mono ; mais pour donner plus de chance à la pièce de voyager, il a fallu convertir le technicien en comédien. A sa décharge, il s’en sort assez bien mais ces va-et-vient entre régie et scène font perdre au spectacle son rythme trépidant.
C’est pourquoi il est légitime de se demander pourquoi les autorités de la culture n’accompagnent pas un tel théâtre qui démontre que nos langues nationales sont capables de générer de grands textes dramatiques.
Plus de cinquante ans après l’accession de notre pays à l’indépendance, un jeune homme, Sidiki Yougbaré, montre la voie de ce que doit être un théâtre véritablement burkinabè. A fil de ses créations, il construit un théâtre contemporain en mooré. En s’emparant de cette langue pour lui faire exsuder un rythme, une couleur et une poésie d’un grand pouvoir dramaturgique, il montre que nos langues peuvent rivaliser avec la langue de Molière et de celle de Shakespeare dans la création théâtrale. Malheureusement, il se bat seul dans l’indifférence quasi générale. C’est peut-être le destin de celui qui ouvre de nouveaux chemins de montrer la lune tandis que les gens regardent son doigt… Mais il faut faire confiance à l’intelligence des Burkinabè pour comprendre que ce théâtre-là est vraiment le leur et qu’il mérite d’être accompagné.