72 heures après l’odieux assassinat à Kidal de nos deux confrères de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, on est toujours sous le choc, groggy par la monstruosité inqualifiable du crime. Qu’est-ce qui a bien pu pousser des êtres humains à enlever leurs semblables pour ensuite les liquider froidement sans autre forme de procès ? On a beau s’interroger mille et une fois, on ne voit aucune cause qui puisse justifier une telle abjection.
Alors qu’on se perd en question, rongé par l’indignation, une chasse à courre a été engagée par les forces françaises et leurs alliés pour retrouver les auteurs de cette barbarie qui révolte la conscience. Quel gibier cette battue va-t-elle permettre à ses acteurs de ramener dans leur gibecière ? On ne le sait encore trop, mais on espère quelle sera fructueuse.
Les criminels auraient voulu liquider au bazooka les Etats généraux de la décentralisation qui viennent de se tenir et les Assises nationales en cours au Mali qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Si cette tragédie a pu avoir lieu, c’est en partie dû au statut «bâtard» de Kidal aux velléités autonomistes, à défaut d’être indépendantistes, et à la complaisance coupable de la France à l’égard de ces "hommes bleus" dont la seule vue suscite tous les fantasmes. Mais aussi, rappelons-le, du fait des effectifs et de la logistique insuffisants de la MINUSMA.
Bien sûr, il ne suffira pas de multiplier les soldats, de constituer une véritable escadrille, d’avoir un parc roulant impressionnant pour que la paix et la sécurité s’instaurent automatiquement, mais de telles mesures contribueront sans doute à restaurer la quiétude.
Cela dit, il ne faut se faire aucune illusion. Tant qu’il s’agissait d’une guerre conventionnelle avec des combattants bien identifiés et facilement repérables comme on l’a vu au début de l’opération Serval, nul doute que les rebelles et les djihadistes ne pouvaient pas faire le poids face à l’impressionnante armada des forces coalisées. Mais que faut-il faire si sous chaque chèche peut se dissimuler un combattant ? Sauf à mettre un soldat derrière chaque gandoura, on ne voit pas trop comment on pourrait éradiquer le problème. Et même là. S’il est une donne qu’il convient d’intégrer dans les schémas des experts de la lutte contre le djihadisme, c’est bien la nécessité de la collaboration des populations locales. Pour cela, il faut procéder à une démarche anthropologique afin de mieux comprendre les rapports sociaux, ô combien complexes, qui régissent ces collectivités humaines où le communautarisme l’emporte sur le sentiment d’appartenance à une seule et même nation.
Dans ces contrées où tout le monde connaît tout le monde, les habitants savent qui est qui, qui est djihadiste et qui ne l’est pas, qui est rebelle et qui ne l’est pas. Mais ils peuvent refuser de collaborer avec les forces de sécurité pour diverses raisons : par peur ou par solidarité politique, idéologique ou confessionnelle avec les djihadistes de tout acabit ; d’où l’importance de les mettre en confiance pour qu’ils coopèrent sans forcément tomber dans la délation si on veut obtenir des résultats.
Un travail pédagogique de longue haleine certes, mais sans lequel la seule approche militaire ne saurait produire les effets escomptés. Dans toutes les localités du monde, toute force étrangère est d’abord perçue comme une armée d’occupation. Il faudra d’abord veiller à créer une osmose avec les populations locales qu’elle est appelée à défendre et protéger avant que ne s’installe la confiance.
Même dans les pays en paix, les forces de défense et de sécurité ne cessent de rappeler aux populations que la lutte contre le banditisme ne peut être gagnée sans leur précieux concours, surtout s’il s’agit d’Etats en conflit.
Pour tout dire, outre les dispositions purement militaires à prendre, il faut un supplément d’immersion culturelle si on veut venir à bout de l’hydre, dont les multiples têtes repoussent au fur et à mesure qu’on les tranche.