Annoncé en grande pompe depuis des années, l’hôpital national Blaise Compaoré avait suscité de grands espoirs au sein des populations burkinabè. Les superlatifs n’avaient pas fait défaut pour caractériser le futur joyau et son impact sur la santé des populations. Mais si la grande bâtisse trône majestueusement au PK 11, route Ouagadougou-Léo, elle tarde à tenir ses promesses. Près d’une année après son ouverture officielle, ce qui avait été présenté comme un établissement de pointe, une véritable révolution en matière d’offre sanitaire, à l’échelle sous-régionale, est encore loin de montrer les prémisses des résultats promis. Pire, la structure est en train de sombrer dans une impasse dangereuse. Il y a des pratiques pas très catholiques…
Au moment de son ouverture officielle, le 1er septembre 2011, l’hôpital national Blaise Compaoré (HNBC) comptait un effectif de 324 agents. A cette date, 3 services étaient fonctionnels : dermatologie, endocrinologie et neurologie. Prévue pour s’effectuer progressivement, cette ouverture devait s’étendre, les semaines suivantes, aux autres services. L’effectif du personnel devrait aussi s’élargir, avec d’autres recrutements. Une année après, au lieu d’une ouverture progressive, c’est plutôt à une fermeture progressive que l’on assiste. Sur les 3 services fonctionnels au départ, seul un (la neurologie) garde toujours ses portes ouvertes. De 324 agents, on en est aujourd’hui à environ 250 qui répondent toujours à l’appel. Ce sont des informations obtenues de sources officielles.
A ce qu’on dit, la réalité est bien plus triste. Et l’hémorragie continue, la plupart n’attendant qu’une confirmation de point de chute pour s’en aller. Concernant la fréquentation des lieux par les patients, après un semblant d’engouement dans les semaines ayant suivi l’ouverture, l’hôpital est retombé dans une léthargie sans précédent. Aujourd’hui, le taux de fréquentation est quasi nul. Pratiquement plus rien ne tourne. Tous les signaux sont au rouge. Le personnel est réduit à se tourner les pouces à longueur de journée, dans les locaux futuristes de l’hôpital. Comment ce grand projet annoncé à grands renforts médiatiques et voulu comme une référence internationale, tenant à cœur les plus hautes autorités nationales, a-t-il pu se retrouver dans une telle posture ?
La question embarrasse depuis un certain temps, au plus haut niveau de l’Etat. Le Premier ministre a dû monter au créneau. Lors d’une visite, début juin, il a tenté de remettre les pendules à l’heure. Une sorte de « plan de sauvetage » serait en cours d’élaboration.
Dialogue de sourds entre deux partenaires
L’infrastructure a coûté 40 milliards de francs CFA. Le financement a été possible grâce à un prêt contracté auprès de la République de Chine Taïwan. Le prêt est remboursable en 20 ans par le contribuable burkinabè, avec une période de grâce de 5 ans. L’exécution du projet est aujourd’hui au centre d’un véritable dialogue de sourds entre Burkinabè et Chinois. Les goulots d’étranglements sont nombreux et les 2 parties se rejettent la balle. Méconnaissance du matériel due à un manque de formation du personnel, matériel manquant, état défectueux de certains équipements, motivation du personnel, statut de l’établissement sont, entre autres, les principaux problèmes soulevés comme étant à la base de ce qu’il est convenu d’appeler l’agonie prématurée de l’hôpital. Mais il n’y a pas que ça. Le malaise est beaucoup plus profond.
Trop de micmacs et d’actes manqués ont émaillé la gestion de cet ambitieux projet. Côté burkinabè, on ne manque pas de critiques vis-à-vis du partenaire chinois dans la conduite du projet. Même s’il s’agit d’un prêt, la partie burkinabè déplore n’avoir pas eu les coudées franches dans la gestion de « son » portefeuille. L’hôpital a été livré « clé en main » et cela n’est pas sans inconvénient. « Ils ont cru bon de tout faire à leur tête parce qu’ils sont les bailleurs », regrette un responsable burkinabè. En effet, à y voir de près, les Chinois ne se sont pas contentés de prêter leur argent. Ils l’ont géré eux-mêmes. En même temps qu’ils ont imposé leur propre entreprise pour la construction de l’hôpital, ils ont aussi fourni leurs propres équipements. En tant qu’emprunteur, la partie burkinabè n’a pas eu une marge de manœuvre suffisante dans la gestion du projet. Ce qui a donné lieu à d’interminables grincements de dents tout au long du processus.
Mais côté chinois, cela s’explique. Selon des sources bien informées, un épais rideau de méfiance caractérise les relations entre les deux parties depuis le début du projet. Les Chinois se sont vus obligés de procéder ainsi, compte tenu de certains antécédents douloureux. L’exécution par les partenaires burkinabè d’autres projets financés antérieurement n’aurait pas donné satisfaction. Beaucoup d’argent serait allé à des destinations autres que celles convenues. Ils n’entendaient plus voir l’argent du contribuable chinois dilapidé. Et surtout, au regard de la taille du financement, ils ont préféré se rapprocher au maximum de la gestion du projet, dit-on, « pour voir clair dedans ».
Débaptiser l’hôpital !
Certains ex-travailleurs n’hésitent pas à qualifier les méthodes de recrutement de duperie. On a brandi des avantages et des conditions de travail aux apparences trompeuses pour les appâter. Une fois à l’intérieur, grande fut leur désillusion. La réalité s’est révélée bien désolante, indique l’un d’entre eux. C’est pourquoi ils sont nombreux à avoir rendu le tablier après seulement quelques semaines de service au sein de l’hôpital. Par exemple, dit-il, la fameuse majoration de 20% du salaire s’est révélée une véritable supercherie. Au lieu du salaire net de l’agent dans sa structure de départ, cette majoration s’applique à son salaire de base. Si bien qu’au lieu de majoration, certains se sont retrouvés avec des salaires nettement inférieurs à ceux qu’ils avaient à leurs postes de départ.
« Comment peut-on prétendre à l’excellence dans ces conditions ? », se demande l’ex-travailleur. Pourtant, la question de la motivation du personnel a été présentée comme un aspect fondamental dans la mise en œuvre du projet. Finalement, la question a été banalisée. Un doigt accusateur est pointé sur le gouvernement. Ce dernier est accusé de vouloir l’excellence tout en refusant de payer le prix. Une grille salariale tenant compte de la nécessité de motivation du personnel, ainsi qu’un certain nombre d’avantages, proposés par la Direction de l’hôpital, auraient été jugés exorbitants et rejetés par le ministère des Finances.
Celui-ci aurait imposé les traitements en vigueur, jugés très dérisoires et en totale contradiction avec les principes de l’excellence tant voulue. Le nom de baptême de l’hôpital est aussi source de discorde dans les milieux médicaux. Au-delà des relents de culte de la personnalité, l’inauguration de la structure à la veille de la campagne électorale pour la présidentielle de 2010 et le nom du candidat Blaise Compaoré dont on l’a affublé ont contribué à éloigner une bonne partie de l’éminence grise médicale. Certains vont jusqu’à conditionner leur collaboration par une « débaptisation » de l’hôpital. Pour ces derniers, il n’est pas question de cautionner cette « dérive cultuelle » en milieu médical.
Navigation à vue !
Le sérieux et la rigueur dans la conception du projet est aussi en cause. Certains spécialistes se demandent si le projet a été vraiment mûri. Au regard de son standing, d’aucuns se demandent si le projet de construction de l’hôpital a fait l’objet d’une étude préalable du marché ou d’une étude du milieu, en rapport avec l’existant en matière d’offre de soins. Certains observateurs n’hésitent pas à parler de navigation à vue dans la conduite du projet. Une partie de l’élite médicale nationale regrette le fait de n’avoir pas été associée. C’est ainsi que certains médecins de renom dont la participation aurait pu contribuer à conférer à l’hôpital son rang d’établissement de référence internationale sont restés loin de cet hôpital.
Le recrutement du personnel, particulièrement celui du Directeur général de l’hôpital, donne lieu aussi à des conjectures. Trop de micmacs ont, dit-on, caractérisé ce processus de recrutement. Le DG ne serait pas le meilleur des candidats qui étaient en lice pour le poste. Du coup, ses compétences, ses qualités managériales et ses capacités à gérer la structure sont mises en doute... A présent, tous les regards sont rivés sur le fameux plan de sauvetage du Premier ministre, pour sortir l’hôpital de l’ornière. Mais l’espoir est-il vraiment permis à ce niveau ? Rien n’est moins sûr. Surtout que déjà, il est reproché au diagnostic en cours, d’éluder certains problèmes de fond qui plombent le décollage de la structure.