S’il est vrai que la construction des Etats nations passe par des cadres de dialogue pour sceller le contrat social, il n’en demeure pas moins que la pléthore des espaces d’expression a fini par dénuer ceux-ci de leur valeur originale. En effet, à la faveur du discours de la Baule en 1990 où François Mitterrand liait l’aide au développement aux valeurs démocratiques, les Etats dictatoriaux africains se sont vus obligés d’amorcer le processus démocratique. Un tournant ayant nécessité de larges concertations avec toutes les sensibilités socio-politiques, idéologiques et philosophiques. Des concessions, s’il y en avait eu, chèrement payées à travers des Conférences nationales souveraines au cours desquelles des affrontements sanglants se sont déroulés entre filles et fils d’un même pays.
L’ordre traditionnel, refusant de basculer à la faveur de l’ouverture démocratique, a voulu passer par des subterfuges pour continuer son règne monarchique et dictatorial. En clair, les présidents-fondateurs, dans la logique de la pensée unique, n’étaient franchement pas favorables à l’établissement d’une démocratie véritable. Conséquence : toutes les Conférences nationales souveraines, exceptée celle de l’Afrique du Sud au sortir de l’apartheid, étaient une mascarade donnant ainsi naissance aux dictatures vernies de démocratie. Et c’est pourquoi, plus de deux décennies après ces fora, les pouvoirs africains continuent, face à certaines crises que traversent leurs pays, de créer des espaces de dialogue, à la limite inutile, à côté de ceux institutionnels consacrés par la loi fondamentale.
Le Burkina n’est pas exempt de cette tradition. Mieux, le pays est en passe de battre le record en matière de création de cadres de concertations pour juguler les crises. Des concertations pour des crises structurelles contre lesquelles le pouvoir de la 4e République manque objectivement de solutions globales et salvatrices. Un triste constat quand on sait que la pléthore des rencontres initiées urbi et orbi est en elle-même symptomatique d’un manque de volonté réelle de faire face aux crises sectorielles qui secouent dangereusement les couches socio-professionnelles. En effet, si ce n’est pas les recommandations issues de ces cadres de dialogue qui sont restées lettres mortes, ce sont ces cadres, par leur nature et par leur composition, qui soulèvent le courroux des différents acteurs. Nous en voulons pour preuve le Conseil consultatif sur les réformes politiques,
tenu courant 2011, qu’une frange importante de leaders d’opinions a boycotté. A juste raison quand on sait que dans les tiroirs de nos gouvernants se trouve le rapport des collèges des sages produit suite à la crise consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Etaient issues de ce rapport produit par des hommes d’une valeur morale et intellectuelle indéniable des recommandations pertinentes dont l’importance pour la cohésion sociale et le développement du pays est indiscutable. Mais hélas ! Aussitôt que le pouvoir a repris du poil de la bête, il a rangé le rapport. Par ailleurs, ce rapport, toujours d’actualité, pourrait bien servir pour juguler les récentes crises qu’a connues et que connait le pays. Dès lors, on aurait fait l’économie, tant financière, physique qu’intellectuelle, à tenir des assises nationales, des fora, des états généraux et que sais-je encore tant les concepteurs des cadres de dialogue ne tarissent pas de latin pour donner une dénomination. C’est dire que ces espaces de dialogue qui frisent parfois le ridicule n’ont pour seul et unique objectif que des desseins financiers dont pourraient bénéficier les participants aux jamborees.
De toute façon, et comme nous l’avons toujours souligné, les problèmes sont connus. Point donc de concertations pour y faire face. C’est une question de volonté politique. Il n’est pas donc surprenant que les honnêtes citoyens refusent de cautionner cette mascarade pour ne pas être comptables d’une stratégie de gouvernance politique, économique et sociale qui a atteint ses limites objectives.