Le dialogue était devenu incontournable à l’Université de Koudougou, tant la tension devenait vive suite aux sanctions infligées contre certains étudiants. Dépêchés sur place en début de semaine par le Premier ministre Luc Tiao, les ministres Jérôme Bougouma de l’Administration territoriale et de la Sécurité, et Moussa Ouattara des Enseignements secondaire et supérieur, ont donc écouté les parties en conflit. Mais que faut-il attendre de ces échanges avec de nombreux acteurs dont l’administration, le corps enseignant et les étudiants ? Les étudiants punis sont accusés d’avoir notamment manqué de respect à un enseignant, de l’avoir violenté. Ils ont écopé du conseil de discipline de l’Université de Koudougou, des peines allant de l’invalidation de l’année académique à l’exclusion définitive. Toutefois, lors de la mission, l’enseignant a admis avoir été violenté, mais il ne reconnaît pas avoir été bastonné. Il n’a été ni insulté, ni injurié. Cela suscite des interrogations. Les conditions étaient-elles vraiment réunies pour prendre les sanctions retenues ? Pourquoi n’avoir pas impliqué les étudiants dans le conseil de discipline ? Aurait-on cherché et trouvé le bon prétexte pour se débarrasser d’éléments « indésirables » ? Toujours est-il que dans une conférence de presse à Ouagadougou, l’Union générale des étudiants du Burkina Faso (UGEB), appuyant sa section de Koudougou, a donné sa version des faits. Estimant que les mesures prises sont excessives et non fondées, elle exige « l’annulation des mesures répressives infligées aux camarades, le départ des forces dites de l’ordre du campus de Koudougou, ainsi que la reprogrammation des cours et évaluations boycottés ». L’organisation bénéficie du soutien du Mouvement burkinabè pour la défense des droits de l’homme et des peuples (MBDHP). A l’évidence, il y a un déficit de communication entre la présidence de l’université et les syndicats étudiants. D’où la prise de mesures qui ne paraissent pas opportunes. D’abord parce que la troisième ville du pays se prépare à abriter les cérémonies commémoratives du 11-Décembre, après moult négociations, même si les autorités tiennent à éviter tout amalgame. Ensuite, Koudougou, capitale régionale, est reconnue comme l’une des villes les plus sensibles du Burkina. Malgré les efforts des adversaires politiques, elle demeure le fief électoral de l’opposant Maître Hermann Yaméogo, également fils de feu Maurice Yaméogo, premier président de la république. Celui-ci, faut-il le rappeler, a été renversé par le mouvement populaire du 3 janvier 1966, lequel a consacré en même temps l’avènement des militaires au pouvoir depuis lors. En outre, il s’agit aussi de la région d’origine de deux premiers ministres. L’actuel : Luc Tiao, et son prédécesseur, Tertius Zongo. Mais Koudougou, c’est aussi la ville de Norbert Zongo, notre confrère dont l’assassinat en 1998 attend encore d’être élucidé, et de l’élève Justin Zongo, mort par suites de bavures policières il y a moins de deux ans. Et, commémoration pour commémoration, faut-il oublier, qu’après le coup d’Etat du 15 octobre 1987, des partisans de feu Thomas Sankara avaient tenté de résister au coup de force ? Il y a donc là un cocktail explosif que nos élites universitaires et politiques auraient dû intégrer dans l’appréciation des troubles à l’université. Apparemment, du côté de l’Université de Koudougou, on semble avoir négligé ces éléments dans l’analyse. Le pouvoir central, lui-même, a péché pour n’avoir pas su vite prendre la juste mesure des choses. Certains ont sans doute cru bien faire en laissant pourrir la situation. Pris de court, on cherche à présent à éteindre ce début d’incendie. Que donneront vraiment les négociations ? Levée des mesures et accalmie ? Au Burkina, on a l’habitude des engagements pris, et, une fois la quiétude installée, c’est le reniement des promesses. Pourtant, cette crise pourrait prendre de l’ampleur, et alimenter les contestations qui fusent de toutes parts en cette veille d’élections couplées. La vie chère que l’on a du mal à contrer, la répression qui l’emporte bien souvent sur le dialogue social, pourraient bien y aider. Du côté des étudiants, il importe de rappeler qu’en cas de contestations, des voies de recours existent. Aussi, doit-on exclure toute prise de position frisant le jusqu’au-boutisme. Surtout, s’abstenir de prendre exemple sur ceux qui, ailleurs, usent du gourdin et de la machette pour trancher les différends. L’université doit demeurer le bastion de l’apprentissage de la dialectique, donc des débats contradictoires. Les aînés et les responsables du mouvement estudiantin, doivent aider à assainir le milieu, et surtout initier les plus jeunes au respect des principes démocratiques. Seules les invectives saines, sur fond d’argumentaire bien construit et bien rendu, doivent l’emporter sur les élans subjectifs. Les allures bestiales, les brutalités d’autres époques doivent être bannies dans un milieu qui est censé préparer la relève, et qui se veut mature. Pour leur part, les autorités administratives et politiques doivent se départir de tout réflexe tendant à réprimer systématiquement. Certes, l’expérience instruit. Mais, toute contestation en milieu estudiantin ne vise pas forcément à désarçonner les autorités en place. Plutôt que de se laisser gagner par la fébrilité, il convient, nous paraît-il, d’ouvrir grandement les vannes du dialogue, de privilégier les solutions consensuelles, et de revoir ultérieurement, dans la concertation, les points litigieux. Le temps est venu d’engager de vrais débats nationaux sur le présent et l’avenir de l’université au Burkina Faso, avec le concours de tous les acteurs. A l’exemple de la mission qui s’est rendue sur place, il faut parvenir à cultiver au sein de nos universités, un vrai dialogue permanent, qui prenne en compte le respect mutuel et celui des engagements pris d’un côté comme de l’autre. Dans cette quête d’une paix définitive sur nos campus, il y a nécessité de s’associer la contribution de partenaires de la société civile. En tout cas, suite au dialogue entrepris, des décisions justes et des mesures fortes apparaissent indispensables pour calmer les esprits. Si l’autorité doit s’exercer, il faut en revanche ne pas réprimer systématiquement, et s’attacher à trouver la formule qui permette à chacun de sortir de cette crise la tête haute. En cela, il faut espérer que la descente des officiels sur Koudougou n’avait pas pour unique motivation, le souci de sauver la commémoration des festivités du 11-Décembre. Des leçons doivent être tirées des rencontres de Koudougou, lesquelles sont à placer sous le double signe du dialogue et de l’apaisement. Car, partenaires et non adversaires, tous les acteurs doivent s’efforcer d’améliorer le climat de travail au sein de notre université. Si l’on tient au succès du système LMD (Licence, Master-Doctorat), un véritable toilettage des esprits s’impose à tous les niveaux. La raison doit l’emporter car, un minimum d’apaisement est indispensable, et tout le monde doit s’y atteler.