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Études et services publics : Ce difficile alliage qui stresse les étudiants-fonctionnaires

Publié le jeudi 7 novembre 2024  |  Minute.bf
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© Autre presse par DR
Études et services publics : Ce difficile alliage qui stresse les étudiants-fonctionnaires
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Bien que quasi absents des salles de cours, ils figurent souvent parmi les meilleurs à l’issue des semestres. Inscrits à l’Université Joseph KI-ZERBO, ils concilient carrière professionnelle et études universitaires. Eux, ce sont les « étudiants fonctionnaires ». Entre absences aux cours, organisation millimétrée et sacrifices personnels, ils doivent jongler entre leurs obligations de service et les exigences académiques. Si certains réussissent à se maintenir dans ce double cursus avec persévérance, d’autres peinent à suivre le rythme, contraints d’abandonner en chemin. Plongée dans la réalité complexe de ces travailleurs-étudiants!

Jeudi 25 juillet 2024. L’horloge affiche 12h. Nous sommes à l’Université Joseph KI-ZERBO. C’est l’heure de la pause. Les amphithéâtres du temple de Zogona régurgitent du monde de toute part. Bientôt, la voie menant au Restaurant universitaire (RU) central est prise d’assaut. Difficile de se frayer un chemin, des étudiants se bousculent. C’est l’appel du RU. Dans ce méli-mélo de jeunes silhouettes, il y a Denise Sibané. La quarantaine bien sonnée, elle se distingue des autres étudiants par son visage mature et son allure sûre. Elle fait partie de ceux que l’on appelle communément ici, « étudiants fonctionnaires ».

Enseignante en service à Zitenga dans la province de l’Oubritenga, Denise est aujourd’hui inscrite en Master 2 de Linguistique. C’est en 2018 qu’elle a décidé de poursuivre des études universitaires, après 25 années de services dans l’enseignement primaire. Aux dires de la jeune dame, le chemin n’a pas été rectiligne. Plusieurs obstacles se sont dressés, mais elle est arrivée, en dépit des difficultés, à atteindre son premier objectif, la Licence. Après la Licence qu’elle a obtenue en 2021, elle a entrepris de poursuivre au Master. C’est d’ailleurs dans le cadre de la préparation de son mémoire qu’elle est présente ce jeudi matin sur le campus. « Je prépare actuellement mon Master et comme il y a une soutenance dans le même domaine que j’aborde, je suis venue suivre. Peut-être que les critiques vont me permettre d’améliorer mon document », confie-t-elle.

Sacrifice et volonté, les deux armes de Sibané
Si aujourd’hui, cette fonctionnaire est parvenue à ce niveau, c’est au prix de milles sacrifices. De ses confidences, c’est un travail de Sisyphe que de vouloir poursuivre les cours tout en étant fonctionnaire. Les difficultés, dit-elle, sont colossales, et le temps, toujours insuffisant. « C’est le sacrifice et la volonté, sinon ce n’est pas facile. Vous savez que les cours à l’université se font dans la journée, du lundi au vendredi, alors qu’à l’école aussi l’enseignement c’est dans la journée. Donc, il faut bien s’organiser pour ne pas que l’un empiète sur l’autre. C’est très harassant de suivre les deux lièvres. Mais on réussit quand même à jongler », avoue-t-elle.

Pour concilier efficacement les deux occupations, plusieurs conditions sont à respecter selon les explications de Sibané. La première et principale, affirme-t-elle, c’est l’autorisation de la hiérarchie. Il faut d’abord avoir l’aval de l’administration avant de songer à entreprendre quoi que ce soit en la matière. Puis, dit-elle, il faut se trouver un correspondant, c’est-à-dire un étudiant assidu et régulier aux cours. Lequel aura pour charge d’expliciter les cours hors des salles de classe. Et enfin, il faut nouer de bons termes avec le délégué de promotion pour ne rater aucune information sur l’actualité de la promotion.

« D’abord, avoir la permission de nos supérieurs hiérarchiques. C’est la base avant de commencer. Nous essayons ensuite de contacter des étudiants qui sont nos correspondants et nous prenons des cours avec eux. Lorsqu’il y a des devoirs qui sont programmés, par des appels téléphoniques et des messages WhatsApp, on demande des explications sur les cours qu’on n’a pas compris quand on lit les supports de cours. Le jour du devoir aussi, il faut encore aller déposer une demande chez nos supérieurs hiérarchiques, question d’avoir le temps pour composer et puis repartir », explique-t-elle.

Mais, à l’en croire, les choses ne sont pas toujours aussi simplistes. Certains professeurs ne sont pas souvent compréhensifs. Il y en a, dit-elle, qui ne tolèrent pas les absentéistes. Ainsi, les « étudiants fantômes » comme on les appelle, se voient sanctionner pour leurs absences. Toute chose qui a, à plusieurs reprises, impacté la moyenne finale de la fonctionnaire. « Mais il faut faire avec, quitte à revenir en session pour se rattraper. On n’abandonne surtout pas », lance-t-elle, la détermination dans le regard.

Apprendre pour mieux servir
Comme Denise, Marie Tambanga poursuit également des cours à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Après 17 années de services dans l’enseignement, elle a décidé, il y a trois années de cela, d’ajouter une nouvelle corde à son arc en s’inscrivant au département des Sciences du langage.

Ainsi, quand viennent les dates des évaluations, elle navette entre la ville de Koupela où elle sert, et Ouagadougou, qui abrite son université. Si elle a décidé de poursuivre les cours nonobstant son âge avancé, c’est qu’elle est consciente des avantages que lui offrent le diplôme universitaire, surtout dans le domaine qu’elle a choisi.

Enseignante, elle dit vouloir se perfectionner pour mieux servir la nation burkinabè. « Le cursus universitaire nous aide à avoir une ouverture d’esprit, à mieux enseigner au primaire et aussi à faire des concours professionnels. Pour certaines nominations par exemple, on exige des diplômes universitaires. Ce sont des atouts également qui peuvent nous faire évoluer dans notre métier », indique-t-elle.

L’autre avantage de la formation universitaire, aux dires de Marie Tambanga, c’est son impact sur la qualité de l’enseignement. Une formation par exemple dans le domaine des Sciences du langage, permet à l’enseignant d’acquérir, selon elle, des compétences qui seront utiles aux tout-petits dans les salles de classes.

« Il est vrai que nous ne sommes pas tous les jours présents en salle, mais ce que nous acquérons comme connaissances ici, nous réinvestissons cela dans nos salles de classes. Et, ce n’est que bénéfices pour les enfants », affirme-t-elle, appelant les différents acteurs de la chaîne éducative à la compréhension.

C’est aussi l’invite de Mahamadi Ilboudo, un autre étudiant fonctionnaire sur le campus de Zogona. Etudiant en première année de Lettre modernes, il cite pour principale difficulté le refus de la hiérarchie. Pour lui, l’opposition de certains supérieurs hiérarchiques frise la jalousie. Sinon, pense-t-il, aucune personne ne doit faire entrave au désir d’apprendre de son semblable. « En fait, ils se disent que si on apprend et qu’on obtient nos diplômes, on peut venir les dépasser. Pourtant, personne ne les a empêchés de suivre également des cours. La vie elle-même est un perpétuel apprentissage. Alors, pourquoi vouloir empêcher des personnes d’aller apprendre surtout que ça n’empiète aucunement sur le service? La loi elle même autorise cela », a-t-il martelé, déplorant le manque de compréhension de certains supérieurs.

Il n’a pas pu tenir…
Si des étudiants fonctionnaires à l’image de Denise, Marie ou encore Mahamadi, réussissent à tirer leur épingle du jeu, ce n’est pas le cas chez tous. En effet, la volonté seule ne suffit pas. Il faut en plus, du sacrifice mais aussi et surtout de la patience et de la persévérance. Vincent Sama n’a pas pu tenir.

Professeur certifié des écoles en service depuis 10 ans dans la région du Centre-ouest, il a entrepris de poursuivre des études universitaires en Lettres modernes, mais s’est très vite ravisé à l’issue du premier semestre en raison de la difficulté de la chose. Il croyait pourtant réussir le pari quand il s’inscrivait en 2017, au temple de Zogona. Selon ses confidences, les raisons de son abandon sont multiples. Elles vont des déprogrammations récurrentes des évaluations sur le campus au chevauchement des années académiques. « Ce qui m’a découragé, ce sont les déprogrammations répétitives des devoirs à quelques jours des compositions. Vous vous imaginez quelqu’un qui prend une autorisation d’absence avec ses supérieurs hiérarchiques pour venir composer un devoir et quand il arrive à Ouagadougou, automatiquement on lui dit que le devoir a été reprogrammé à une date ultérieure. C’est-à-dire que tu as, non seulement, fait un déplacement inutile, mais aussi, ton autorisation d’absence n’a servi à rien. C’est compliqué », déplore-t-il.

A cela s’ajoutent, affirme-il, les incompréhensions avec les supérieurs hiérarchiques liées aux autorisations d’absence successives. Une autre difficulté, à l’en croire, c’est le retard au niveau de l’université Joseph KI-ZERBO. Aux dires du jeune fonctionnaire, il était devenu quasi impossible pour lui de poursuivre en raison de la lenteur du cursus en Lettres modernes. Tous ces obstacles ont inévitablement ébranlé sa détermination et lui ont valu en 2019 de suspendre son projet de poursuivre ses études universitaires. Mais, qu’à cela ne tienne, M. Sama assure avoir toujours l’ambition de renouer avec l’Université. « Je vais reprendre. En tout cas, ça me tient beaucoup à cœur. Je dois obtenir coûte que coûte un diplôme universitaire. », promet-il.

Le délégué, une aide inestimable…
Au campus de Zogona, si les étudiants fonctionnaires parviennent à suivre la cadence universitaire, c’est en grande partie grâce à leurs correspondants, mais aussi et surtout, grâce aux délégués de promotions. Véritables facilitateurs dans l’espace universitaire, les délégués constituent l’interface entre l’administration, les enseignants et les étudiants. Les informations relatives aux programmes des cours et des évaluations, leur sont communiquées à destination de leurs camarades. Ils sont donc les sources officielles auprès des étudiants en général et surtout, de leurs camarades fonctionnaires. Daniel Millogo est délégué de promotion en faculté d’Histoire et archéologie. Pour aider les fonctionnaires qu’il appelle affectueusement « grands frères », il affirme avoir développé plusieurs initiatives aussi bien en ce qui concerne la programmation des cours que des évaluations.

« En tant que délégué, moi personnellement je tiens toujours compte d’eux dans la programmation des évaluations. Quand un devoir doit être programmé, c’est vrai que c’est l’avis de la majorité qui compte, mais on essaie d’établir un programme qui tienne compte de ces personnes qui sont en province. Moi, personnellement, je fais tout pour qu’on programme les devoirs les samedis afin de leur permettre de venir composer. Quant aux cours, dès qu’on finit un module, on leur fait parvenir les supports via les compagnies de transport pour qu’ils puissent se mettre à jour. Quand ils lisent et qu’ils ne comprennent pas, on voit avec les camarades pour les accompagner avec des explications. C’est vrai qu’on ne peut pas tout faire, mais en tant que délégué, c’est ce que je fais pour les encourager », explique M. Millogo qui félicite ces étudiants fonctionnaires pour leur engagement dans la recherche de la connaissance.

Comme ces étudiants de l’Université Joseph KI-ZERBO, de nombreuses personnes font le choix de poursuivre les études même après avoir décroché un emploi dans la fonction publique. Ni l’âge, ni les occupations, n’ébranlent leur détermination à apprendre et à se perfectionner davantage. Échelon après échelon, elles poursuivent, encore plus déterminées après chaque étape franchie.
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