Elle s’appelle en réalité Halizata Sanou mais a choisi d’exercer sa plume avec la signature de Hadiza Sanoussi. Autrice prolixe et de talent, elle a ainsi signé huit œuvres entre 2012 et 2019. Des romans pour la plupart, mais aussi une biographie consacrée à feu Bernard Lédéa Ouédraogo, parue en 2013 aux éditions L’Harmattan Burkina. Alors lorsque Hadiza Sanoussi s’essaye pour la première fois aux contes, sa plume légère nous plonge admirablement dans cet univers fantastique et tellement généreux en leçons pour la vie…
.... Et la voix s’élève au lointain, invitant au rassemblement autour du feu. Contrairement à la belle chanson de Manu Dibango dans laquelle « la grand-mère a préparé un bon poisson aromatisé » pour un savoureux soir au village, femmes, hommes et enfants se retrouvent ici, à Liptougou, pour une instructive séance de contes.
La nuit s’étend donc sur le village et Hadiza Sanoussi nous invite à écouter des « Contes, légendes et sagesses » de Liptougou. Chut !
Dans cet ouvrage dédié notamment à « toutes les grands-mères qui n’ont plus le loisir de raconter des contes à leurs petits-enfants à la belle étoile », la plume très accessible de l’autrice nous amène de devinettes en leçons de morale. Et entre les deux, ces histoires qui édifient sur les valeurs ancestrales, les interdits, la droiture… Tout cela se passe à Liptougou, cette commune rurale et chef-lieu du département de Liptougou, dans la province de la Gnagna, région de l’Est du Burkina.
Des histoires captivantes
À Liptougou comme ailleurs dans nos contrées africaines, on aimerait bien savoir pourquoi le coq chante le matin et comment le chien a été domestiqué. On aimerait bien connaître l’histoire de « Banyara, la fille unique » et avoir le fin mot du pacte qui lie « la femme et le baobab »… Ces légendes nous instruisent sur la vie en société et nous donnent des clés pour agir avec intelligence et sagesse. Au total, quatorze contes et légendes meublent cet ouvrage de 65 pages édité fin 2023 par Ceprodif grâce à l’appui du groupe Sopam, et qui se lisent d’un trait, tellement les histoires sont captivantes !
On apprend ainsi, par exemple, qu’il advint un jour où… « le soleil se fâcha et refusa de se lever le lendemain », à cause d’un différend avec la pluie.
Le soleil se fâcha tellement fort qu’il resta sourd aux supplications de tous : les griots, les chefs coutumiers, les musulmans, les chrétiens. Personne n’a réussi à infléchir la position du roi Soleil, sauf le coq qui chanta son cocorico trois fois. « Ah, la demande du coq m’a beaucoup plu ! », s’exclame alors l’astre du jour qui se remit à apparaître. Alors, chaque matin, « tant que le coq ne chante pas, le soleil ne se lève pas ».
L’écriture de Hadiza Sanoussi dans cette première œuvre qu’elle consacre aux contes et légendes est simple, accessible, compréhensible de tous. En plus, dans une démarche pédagogique, chacune des quatorze histoires est précédée d’une devinette et sanctionnée par une leçon de morale. Le coq et le soleil nous apprennent ainsi que « dans la vie, chacun a son importance ». Il est donc souhaitable de le savoir, de l’intégrer dans ses comportements et dans ses rapports avec l’autre afin d’accorder à chacun la place qui lui revient.
« La méchanceté se paie très cher… »
De même, il faut le savoir, « la méchanceté se paie très cher ». Et pour n’avoir pas compris cette loi de la nature, la première femme du chef, qui a passé son temps à martyriser sa coépouse muette dont elle ne connaissait pas l’histoire, en a payé le prix fort.
La troisième femme du chef avait, en effet, dû sortir du ventre de sa mère, au pied d’un baobab, pour l’aider à porter un panier rempli de pains de singe qu’elle ne pouvait pas transporter toute seule.
Une fois la corvée terminée, la fille retourne dans le ventre de sa mère avant de naître normalement deux jours plus tard. Elle dit alors à sa mère : « Maintenant que je suis dehors, je ne parlerai pas jusqu’au jour où je serai très fâchée. »
Elle resta donc muette et devint la troisième femme du chef. Mais poussée à bout par la première épouse de leur mari, le jour est arrivé où la muette fut très fâchée et entreprit donc de parler.
Elle raconta ainsi par le menu tout ce que lui a fait subir la méchante femme dès le lendemain de son arrivée dans ce foyer : pagnes déchirés, incitation à la renvoyer, etc. Pourtant, face aux réticences de sa maman qui avait argumenté qu’« une femme muette n’est pas bien pour un chef », lui a tenu à l’épouser et à la garder malgré les manigances de sa première épouse.
Mais lorsque cette dernière a échangé le fils de la muette contre la fille de la deuxième épouse, qui sont nés en même temps, au point de souhaiter la mort de l’indésirable, la muette a vu rouge et a donné de la voix. « Si vous ne croyez pas que cet enfant est le mien, qu’on amène son cadavre. Je vais l’enjamber trois fois. S’il ne se lève pas, c’est qu’il n’est pas mon fils ! » Et la parole de la muette s’accomplit pour le bonheur de tout le village duquel la vieille femme méchante a finalement été bannie. Décidément, « la méchanceté se paie très cher », tôt ou tard…
En nous plongeant ainsi dans cet univers magique des contes, légendes et sagesses, Hadiza Sanoussi nous ramène à ces richesses endogènes qui doivent continuer de rythmer le quotidien dans nos différentes communautés.
C’est un ouvrage truffé de leçons pour la vie et qui révèle qu’au-delà de ces histoires incroyables se cache une vérité immuable : le bien triomphe toujours et le mal, perturbateur à souhait, finit par s’évanouir.
Peintre contemporaine
Écrivaine de son époque, Halizata Sana, née à Botou (425 kilomètres de Ouagadougou) d’un père burkinabè et d’une mère nigérienne, adore peindre, sous son nom de plume Hadiza Sanoussi — en référence à ses origines nigériennes — les maux qui minent la société dans laquelle elle vit. « Du train-train quotidien aux problèmes sociopolitiques que traverse le monde », tout est matière à réflexion pour l’écrivaine, qui s’est d’ailleurs interrogée, dans Et Yallah s’exila (éditions JEL, 2010) « sur la place de Dieu dans tous ces mouvements extrémistes qui prétendent le servir ».
Elle produit aussi un témoignage poignant sur les dramatiques inondations qui ont endeuillé plusieurs familles au Burkina Faso dans Ciel dégagé sur Ouaga (Harmattan Burkina, 2012).
Scrutatrice de l’évolution des sociétés africaines, Hadiza Sanoussi invite constamment à la réflexion et à la prospective. C’est ce qu’elle fait magistralement dans Les deux maris (éditions Moreux, 2001 ; éditions L’Harmattan Burkina, 2009) et Devoir de Cuissage (éditions JEL, 2005). Pour sa part, Halizata Sanou, titulaire d’une maîtrise en géographie et d’un master 2 en développement, est également, depuis le 13 janvier 2022, docteure en sciences de l’information et de la communication.