Valorisation et protection de la propriété intellectuelle : « Protéger les créations locales pour éviter la concurrence déloyale », Directeur général de l’OAPI, Denis Bohoussou
L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) est une organisation intergouvernementale qui assure la protection des droits de propriété industrielle dans 17 Etats membres et contribue à leur développement. Les Etats membres de l’OAPI sont : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo à ce jour. La naissance de l’OAPI remonte au 13 septembre 1962, lorsque l’accord portant création de l’Office africain et malgache de la propriété industrielle (OAMPI) a été signé à Libreville, au Gabon, par douze chefs d’Etat et de gouvernement. Cet accord a été révisé, le 2 mars 1977 en République Centrafricaine, d’où la dénomination actuelle d’Accord de Bangui qui désigne le lieu de sa révision. L’Accord de Bangui a donné naissance à l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI). Le directeur général de l’OAPI, Denis Bohoussou, présente les missions de la structure.
S : Qu’entendez-vous par dessins et modèles industriels ?
Denis Bohoussou (D.B.) : Les dessins et modèles industriels désignent des objets du quotidien. Techniquement, ce sont des formes à deux ou trois dimensions, c’est-à-dire des dessins ou des objets physiques. Par exemple, ce sont les motifs des pagnes, la forme des chaussures ou d’une chaise, même le lit. Ce sont des dessins et des modèles industriels car ils sont à la base même de l’industrie. On commence par ces objets du quotidien, on peut les reproduire à l’infini et créer des dessins. En termes de propriété intellectuelle, cela désigne les objets de l’artisanat.
S : Comment évaluez-vous la sensibilisation des entreprises et des créateurs locaux à l’importance de protéger leurs dessins et modèles industriels dans les Etats de l’OAPI ?
D.B. : Cette activité que nous menons aujourd’hui à Ouagadougou, en marge du SIAO, vise à montrer que les dessins et modèles produits par nos artisans ont une valeur économique et cette valeur ne ressort que lorsqu’elle fait l’objet d’une protection juridique. Nous incitons donc les artisans à utiliser les outils de la propriété intellectuelle pour protéger leurs dessins et modèles industriels. Protéger signifie que l’Etat reconnaît officiellement que vous êtes le propriétaire de ce dessin et quiconque veut le reproduire doit vous payer des droits d’auteur. Si votre dessin n’est pas protégé, quelqu’un peut venir d’un pays lointain, reproduire et vendre sur le marché et vous faire une concurrence déloyale. Cette concurrence fait perdre de l’argent à l’artisan et à l’Etat, qui devra importer ce qu’il pourrait produire localement.
S : Quels sont les principaux obstacles auxquels les Etats membres de l’OAPI font face pour promouvoir efficacement les dessins et modèles industriels ?
D.B. : Le principal obstacle est la méconnaissance du système de la propriété intellectuelle. C’est pourquoi nous menons des campagnes de sensibilisation pour montrer que la propriété intellectuelle est un outil de développement. Ensuite, il faut convaincre les artisans qu’il est essentiel de protéger leurs créations, car copier leurs œuvres entraîne des pertes économiques. Enfin, les artisans doivent savoir que nous avons des bases de données de modèles qui peuvent les aider à améliorer leurs productions.
S : Quelles sont les initiatives les plus efficaces mises en place dans les pays membres de l’OAPI pour encourager les créateurs et les entreprises à enregistrer et protéger leurs dessins et modèles industriels ?
D.B. : Les initiatives de l’OAPI commencent par la sensibilisation. Ensuite, nous veillons à offrir des services de qualité à ceux qui souhaitent protéger leurs créations. De plus, nous offrons des incitations financières avec des coûts de protection très bas, permettant à un créateur de protéger plusieurs dessins à un prix abordable, ce qui encourage les créateurs à enregistrer leurs œuvres.
S : Les pays membres de l’OAPI ont-ils développé des politiques spécifiques pour favoriser la protection des modèles industriels dans certains secteurs clés ? Si oui, lesquelles?
D.B. : Il n’y a pas de politiques spécifiques développées par certains pays pour valoriser les dessins et modèles industriels, mais nous avons remarqué que certains pays concentrent la majorité des demandes de protection. Nous souhaitons que des Etats comme le Burkina Faso valorisent davantage leur potentiel en la matière.
S : Quels sont les obstacles juridiques auxquels les créateurs et entrepreneurs sont confrontés lorsqu’ils cherchent à enregistrer leurs dessins industriels dans la région de l’OAPI ?
D.B. : Il n’y a pas d’obstacles juridiques majeurs. Le seul obstacle est souvent le manque d’information. Les créateurs doivent savoir qu’ils peuvent se faire assister par l’OAPI pour protéger leurs dessins avant d’exporter leurs œuvres, afin d’éviter qu’elles ne soient copiées à l’étranger.
S : L’enregistrement des dessins et modèles industriels auprès de l’OAPI apporte-t-il un réel avantage économique aux créateurs et aux entreprises des Etats membres ? Pouvez-vous citer des exemples concrets ?
D.B. : Oui, cela apporte un réel avantage économique. Par exemple, pour une entreprise textile qui fabrique des pagnes, la valeur de l’entreprise repose sur son portefeuille de dessins et modèles. Si une entreprise hollandaise fabrique des pagnes, sa valeur économique repose sur la protection de ses dessins et non sur ses usines.
S : Quel rôle les nouvelles technologies, comme l’impression 3D ou la numérisation jouent-elles dans l’évolution et la protection des dessins et modèles industriels dans les Etats membres de l’OAPI ?
D.B. : Les nouvelles technologies, comme l’impression 3D, jouent un rôle crucial. Elles permettent de créer des objets plus facilement, à moindre coût et avec plus de précision. Il est important que les artisans utilisent ces technologies pour améliorer leurs productions.
S : Quels conseils donneriez-vous aux créateurs et entreprises des Etats membres pour accroître la compétitivité de leurs dessins et modèles industriels sur les marchés internationaux ?
D.B. : Je conseille vivement de protéger leurs créations à l’international, car si elles ne sont pas protégées, elles risquent d’être contrefaites. En protégeant leurs dessins, ils sécurisent leurs parts de marché en évitant la concurrence des contrefaçons.
S : Quel rôle voyez-vous pour l’OAPI dans l’harmonisation des législations et la promotion de la protection des dessins et modèles industriels dans les différents Etats membres ?
D.B. : L’OAPI accompagne les Etats dans l’élaboration des textes juridiques et incite à leur réforme lorsque cela est nécessaire. Par exemple, nous avons adhéré à un système international pour permettre la protection à l’étranger sans que les créateurs aient à se déplacer.
S : Comment l’OAPI pourrait-elle mieux soutenir les créateurs locaux à travers des programmes de financement, des incitations ou des partenariats avec le secteur privé ?
D.B. : L’OAPI dispose de programmes de financement pour la valorisation de la propriété intellectuelle. Nous lançons régulièrement des appels à manifestation d’intérêt et les projets retenus peuvent bénéficier de financements allant jusqu’à 150 millions CFA pour les petits projets et plus de 250 millions pour les grands projets industriels.
S : Quelles formes de coopération régionale pourraient être renforcées ou développées entre les Etats membres de l’OAPI pour stimuler l’innovation et la protection des dessins et modèles industriels ?
D.B. : L’OAPI collabore avec des institutions régionales comme l’UEMOA pour des actions complémentaires en matière de propriété intellectuelle, afin de renforcer la coopération entre les Etats membres.
S : Dans quelles mesures les dessins et modèles industriels peuvent-ils contribuer à la promotion d’une économie durable dans les Etats membres de l’OAPI, notamment en soutenant les industries locales comme l’artisanat et les énergies renouvelables ?
D.B. : L’expérience des pays asiatiques montre que l’artisanat, soutenu par les dessins et modèles industriels, peut être un pilier du développement économique. Si nos artisans sont mieux accompagnés, ils pourront produire davantage et de meilleure qualité, répondant ainsi aux besoins locaux et internationaux.