A Bobo Dioulasso, des enseignants ont reçu une formation afin d’éduquer les élèves et les jeunes par la culture. Cette initiative, menée par l’association SITALA qui signifie « une seule race » en langue dioula, vise à utiliser la culture comme un outil éducatif et un levier de transformation sociale. Découverte d’une initiative innovante !
L’éducation par la culture est cette approche qui vise à intégrer les traditions et les valeurs locales dans l’éducation des jeunes. Le concept est développé par l’association SITALA, qui signifie « une seule race » en langue dioula. Il s’appuie sur des ateliers de percussion, de danse, de chant, de teinture bogolan et de théâtre, les jeunes apprennent à se reconnecter avec leurs racines culturelles tout en développant des compétences. Mamadou Kouloubaly Besrmert est le président de SITALA et l’initiateur du projet.
Artiste accompli avec quatre albums à son actif, M. Kouloubaly Besmert est originaire de Bobo-Dioulasso. Il confie avoir grandi au rythme des sonorités de sa terre natale, influencé à la fois par les traditions musicales burkinabè et les icônes de la musique africaine. Il dit être convaincu que la culture est un levier puissant pour éduquer et transformer des vies.
A son avis, dans la tradition africaine, des valeurs fondamentales telles que la parenté à plaisanterie, le respect envers les personnes et l’environnement occupent une place centrale. Voilà pourquoi, explique-t-il, à travers leurs programmes, ils apprennent aux enfants l’importance de leurs racines culturelles, tout en les préparant à devenir des citoyens responsables et engagés.
Dans ce sens, le président de l’association soutient qu’en 2016, 180 élèves de six écoles des arrondissements 1, 4 et 5 de Bobo Dioulasso ont bénéficié des ateliers de formation par la culture. « Face aux résultats encourageants, les promoteurs ont relancé l’initiative en 2018 et 2019 dans quatre arrondissements de Bobo avec huit établissements scolaires », confie-t-il.
Pour garantir une mise en œuvre efficace, SITALA travaille en collaboration avec des professionnels de l’éducation pour développer des méthodologies adaptées. Pour ce faire, l’association sollicite l’expertise des leaders coutumiers afin de former les enseignants. « La formation des enseignants est cruciale pour transmettre nos traditions aux élèves.
Avec les leaders coutumiers, nous avons intégré des thèmes comme le civisme, la parenté à plaisanterie, et la cohésion sociale dans nos cours », explique la responsable des enseignants des Circonscriptions d’éducation de base (CEB) impliquées dans le projet Fatoumata Barro. « Ainsi les objectifs visés par le projet dépassent la simple transmission de compétences artistiques.
Les enseignants formés sont appuyés par des animateurs de SITALA pour orga-niser des activités artistiques axées sur des valeurs traditionnelles. Lesdites activités s’appuient sur des fiches méthodologiques élaborées par des inspecteurs de l’éducation, afin d’assurer une transmission cohérente et structurée des savoirs et des valeurs », soutient l’enseignante. Pour Mme Barro, les élèves ne font pas qu’interpréter des rôles. Ils s’imprègnent des valeurs que véhiculent ces pratiques.
« En rejouant par exemple une scène de mariage traditionnel, ils assimilent des notions de respect, d’entraide, et de solidarité », souligne-t-elle. Selon Boukari Pamtaba, psychologue de l’éducation, l’initiative est bénéfique à plusieurs égards. Pour lui, intégrer les traditions locales dans l’éducation permet de préserver et valoriser notre patrimoine tout en répondant aux besoins éduca-tifs actuels.
« Cela renforce le lien entre les jeunes et leur identité culturelle, essentiel à leur développement personnel et social. », précise-t-il. M. Pamtaba relève en outre que cette approche stimule la créativité, l’imagination, renforce la mémoire, améliore la concentration et favorise la coordination motrice ainsi que la communication non verbale.
Un laboratoire de transformation sociale
Depuis ses débuts, le projet a concerné des centaines d’enfants, tant au Burkina Faso qu’en Europe. « Grâce à SITALA, j’ai appris à jouer du balafon, mais surtout j’ai découvert des valeurs essentielles comme le respect des anciens et l’harmonie avec la nature. Cette expérience m’a profondément enrichi », témoigne Alex Palm, élève de 5e. Cependant, à partir de 2020, des difficultés liées à la pandémie de COVID-19 et des engagements non respectés par certains partenaires locaux ont impacté le projet.
« Nous avions des conventions avec les mairies pour la formation des enseignants, mais elles n’ont pas toujours été respectées. Nous avons dû continuer avec nos propres moyens.
Malgré cette persévérance, le projet a été ralenti, et certaines activités ont été temporairement suspendues», déplore M. Kouloubaly. En 2021, faute de financement, SITALA a réorienté ses efforts vers les orphelins de guerre, en orga-nisant des camps de
vacances axés sur le civisme et l’enseignement culturel. Le promoteur de l’initiative Mamadou Kouloubaly Besmert, ne se laisse pas abattre par ces difficultés. Fort de son engagement, il prépare une relance du projet avec de nouveaux partenaires.
«Pour 2025, nous sommes déjà en discussion avec certains partenaires. Mais avec un soutien technique des autorités, nous pourrions non seulement couvrir toutes les écoles de Bobo-Dioulasso, mais également étendre cette initiative à l’ensemble du Burkina Faso », espère-t-il. L’innovation de SITALA ne se limite pas aux salles de classe. Depuis 2015, l’association a étendu ses activités à des environnements plus difficiles, notamment les prisons. Le projet en milieu carcéral vise à offrir aux jeunes détenus des formations artistiques, leur donnant une chance de réinsertion réussie.
Ainsi, chaque année, pendant un à deux mois, Mamadou Kouloubaly Besmert et son équipe se rendent à la Maison d´arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso ( MACB) pour travailler avec les mineurs incarcérés. Ce programme continu offre aux jeunes une formation artistique intensive, incluant la musique, le théâtre et les arts visuels. « Nous apportons des bagages culturels aux jeunes en prison pour qu’ils aient une chance de réinsertion réussie.
Nous découvrons des talents cachés et les aidons à se développer. Ce projet est une lueur d’espoir pour ces jeunes, il leur offre une nouvelle vision de leur avenir » détaille l’artiste. Pour le coordinateur régional de la confédération nationale de la culture des Hauts-Bassins, par ailleurs administrateur culturel, Sié Armelle Kam, l’éducation par la culture est « utile ». Selon lui, le travail abattu par le SITALA à la MACB est bien plus qu’un simple atelier créatif. « Il s’agit d’un travail profondément utile qui apporte une lumière d’espoir à ces jeunes, souvent margina-lisés et oubliés.
L’art devient un moyen de réhabilitation, un vecteur de réinsertion sociale », affirme-t-il. En 2023, grâce à un fonds de développement, le projet a pu enregistrer un CD avec les jeunes talents découverts à la MACB. Pour M. Kam, ce genre d’initiative contribue également à briser les préjugés autour des jeunes détenus et à leur offrir une seconde chance. « L’art permet à ces jeunes de redécouvrir leur potentiel, de reprendre confiance en eux, et de se projeter dans un avenir meilleur. C’est un outil puissant pour la reconstruction personnelle et collective », déclare-t-il. En septembre 2024, SITALA prévoit étendre ce programme aux femmes détenues, ouvrant ainsi de nouvelles opportunités pour leur réinsertion.
Bâtir des ponts entre continents
L’une des initiatives les plus remarquables de Mamadou Kouloubaly Besrmert est la création de jumelages entre la commune de Bobo-Dioulasso et diverses communes européennes. Ces échanges culturels visent à renforcer les liens entre le Burkina Faso et l’Europe, tout en promouvant la richesse de la culture burki-nabè à l’étranger. Les initiatives de l’association SITALA dans ce sens ont permis de mettre en place des coopérations significatives entre plusieurs arrondissements de Bobo-Dioulasso et des communes européennes.
Parmi les réalisations notables, on compte la réception d’équipements médicaux, de véhicules, et d’autres matériels essentiels pour le développement local. En effet, grâce à ces jumelages, les arrondissements 1, 3, 4, 5, et 6 de Bobo-Dioulasso ont bénéficié de nombreux échanges et partenariats fructueux. Ces partenariats vont bien au-delà des simples échanges de matériels. Ils ouvrent des portes pour les jeunes Burkinabè, leur offrant la possibilité de découvrir d’autres horizons et d’élargir leurs perspectives.
Issa Sanou, ancien secrétaire général de la Mairie de l’arrondissement 5 de Bobo-Dioulasso, souligne que l’association a su tirer parti de ses contacts pour servir le pays. « En 2017 et 2018, trois arrondissements, dont l’arrondissement 5, ont envoyé des missions en France dans le cadre de la coopération décentralisée, notamment dans le domaine des échanges interculturels.
L’objectif était de créer un cadre de développement en s’appuyant sur la culture comme levier. Il s’agissait de valoriser nos richesses socio-culturelles pour impulser le développement », assure M. Sanou. Cependant, cette coopération a parfois été freinée par le manque d’autorisation de la mairie centrale.
« A l’époque, nous avions de nombreuses opportunités dans divers domaines, mais elles n’ont pas pu aboutir faute de soutien administratif.
En tant qu’arrondissement, nous avions besoin de certaines autorisations de la mairie centrale pour les concrétiser, mais malheureusement, elles n’ont jamais été délivrées », regrette Issa Sanou, ancien secrétaire général de la mairie de l’arrondissement 5 de Bobo-Dioulasso.
Ambassadeur de la culture burkinabè
Parallèlement à son travail en faveur de Bobo-Dioulasso, Mamadou Kouloubaly Besrmert, s’est également imposé comme un ambassadeur de la culture burkinabè sur la scène internationale. Depuis le début des années 2000, il travaille sans relâche pour promouvoir les traditions et le mode de vie burkinabè à travers des concerts, des expositions, et des collaborations artistiques en France, en Italie, et en Allemagne.
« La culture burkinabè a beaucoup à offrir au monde », atteste-t-il. Nous avons, poursuit-il, des histoires à raconter, des traditions à partager, et c’est un honneur pour moi de pouvoir représenter notre pays sur la scène internationale. Selon lui, ces échanges ne se limitent pas à des événements artistiques, mais incluent également des partenariats avec des écoles, des universités, et même des maisons de retraite, où la culture burki-nabè est partagée et célébrée.
Toujours en quête d’innovation, Mamadou Kouloubaly Besrmert prévoit d’élargir encore les programmes de SITALA, avec un accent particulier sur l’éducation par la culture. « Nous voulons continuer à innover et offrir de nouvelles opportunités aux jeunes », affirme-t-il. SITALA s’est ainsi lancé dans un projet ambitieux, la création d’un centre culturel et éducatif à Bobo-Dioulasso. Ce centre sera un lieu de création, de transmission et d’échanges culturels où les jeunes pourront se reconnecter à leurs racines tout en développant leur potentiel.
« Ce projet dépasse nos seules ambitions, il s’agit de construire un avenir meilleur pour les générations futures » conclut Mamadou Kouloubaly Besrmert, soulignant que l’association est ouverte à toutes les contributions, aussi bien des particuliers que des institutions de bonne volonté. Grâce à ces initiatives, SITALA espère non seulement valoriser et préserver la culture burki-nabè, mais aussi offrir aux jeunes générations des outils solides pour leur épanouissement personnel et leur réussite future.