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Cancer de l’enfant et de l’adolescent : « 20 à 25% des patients abandonnent le traitement », Dr Gabrielle Chantal Bouda, oncopédiatre

Publié le mardi 3 septembre 2024  |  Sidwaya
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© Autre presse par UNICEF/Mark Naftalin
En Guinée, des enfants, encadrés par un adulte, jouent à l’extérieur dans le village de Meliandou dans la préfecture de Guéckédou, dans la région de Nzérékoré.
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Le cancer de l’enfant et de l’adolescent ne concerne pas une seule maladie. C’est un ensemble de maladies qui sont variées. Elles touchent les enfants ou adolescents parfois jusqu’à 18 ans. D’une façon générale, ce sont des cancers plus rares, ils représentent 1 à 3 % des cancers. Mais, ils sont la deuxième cause de décès après les accidents en Europe dans cette même tranche d’âge. Selon l’OMS, 80 % de ces cancers sont enregistrés dans les pays à ressources limitées où le taux de survie est d’à peine 20%. Ces maladies se heurtent à un traitement et à une prise en charge très complexe. Le point avec Dr Gabrielle Chantal Bouda, oncopédiatre, chef du service d’oncologie pédiatrique du CHUYO.

Sidwaya (S.) : Quelle est l’ampleur des cancers de l’enfant et de l’adolescent au Burkina ?
Gabrielle Chantal Bouda (G.C.B.) : Le cancer de l’enfant et de l’adolescent prend de l’ampleur de nos jours. Selon les prévisions, sur la base de la population burkinabè, on s’attendrait à enregistrer 800 à 1200 nouveaux cas de cancer chez les enfants et les adolescents de 0 à 18 ans chaque année. Dans la pratique, nous avons en moyenne 250 (registres hospitaliers) nouveaux cas annuels répertoriés dans les 3 hôpitaux de prise en charge que sont Charles de Gaulle et Yalgado à Ouagadougou et Souro Sanou à Bobo-Dioulasso. C’est dire qu’il y a encore beaucoup de cas qui ne parviennent pas dans les structures de traitement. C’est pourquoi, nous attirons l’attention de l’opinion publique et des autorités sanitaires sur un problème réel et qui passe inaperçu. Il y a une vingtaine d’années, nous avions 10 à 20 cas par an. Aujourd’hui, nous avons en moyenne 10 nouveaux patients par mois à Yalgado sans compter les anciens. Au moment où nous parlons, il y a 20 hospitalisés pour une capacité de 28 lits. Par moments, nous atteignons la trentaine de patients, aussi nous prenons des lits en pédiatrie général pour combler le manque. Le flux de malades est constant.

S. : Quels sont les signes de ces cancers ?
G.C.B. : Parlant de signes ou de symptômes de la maladie, cela dépend du type de cancer. Selon le type de cancer, le tissu ou l’organe qui est atteint les signes varient.

S. : Quels sont les différents types de cancers chez les enfants et les adolescents ?
G.C.B. : Il y a 5 principaux cancers qui constituent environ 75% des cancers de l’enfant et l’adolescent chez nous. Ce sont : le lymphome de Burkitt, le plus fréquent (30%) dans notre pays est un cancer des ganglions et du sang. Il se voit souvent entre 7 et 10 ans. La manifestation principale est la tuméfaction (une grosseur ou une masse) qui peut apparaitre à différents endroits du corps, mais les localisations principales sont le visage et le ventre. Ce sont des enfants qui viennent avec une mâchoire gonflée, un visage déformé. Souvent, les parents relatent un mal de dent et même une chute de dents les jours ou semaines précédents. Au niveau du ventre, les parents décrivent une augmentation de volume (gonflement) depuis quelques semaines à 2 à 4 mois. Cette augmentation s’accompagne ou est précédée parfois de douleurs.

C’est une maladie qui se développe très rapidement si bien que, quand les patients viennent, les tumeurs sont déjà très volumineuses. Ces 2 endroits peuvent être atteints en même temps et d’autres parties du corps peuvent aussi être atteintes (les membres, le système nerveux et la moelle osseuse qui fabrique le sang). Le second cancer est celui de l’œil (15%) qu’on appelle rétinoblastome. C’est un cancer des nourrissons et des jeunes enfants, habituellement, avant l’âge de 5 ans. Un des signes d’alerte est une tâche blanche dans l’œil. C’est une tâche qui brille la nuit lorsque qu’il y a une source de lumière qui passe devant les yeux de l’enfant (comme l’œil de chat). En ce moment, l’enfant n’a pas mal, il est comme les autres enfants avec juste la tâche blanche dans l’œil. Sa vision peut être perturbée et il peut trébucher ou se cogner contre les obstacles parfois. Et, c’est un signe d’alerte que tout le monde peut voir. Il peut ne pas être constant au début et ne se voit que dans certaines positions du regard. Le deuxième signe pour ce cancer, c’est l’enfant qui louche. Un enfant qui regardait normalement puis subitement, il commence à regarder de travers, parfois on pense qu’il le fait exprès. C’est parce qu’il a des problèmes pour voir et l’œil s’adapte en louchant. En dehors de ces 2 signes, à un stade plus avancé, l’œil peut rougir, grossir et devenir douloureux. Le cancer du rein (néphroblastome) est le troisième type de cancer (15 %) que l’on rencontre ici.

Là, c’est le rein qui gonfle avec une augmentation du volume du ventre qu’on peut constater. Parfois, certains enfants peuvent présenter du sang dans les urines. Les leucémies aigües sont classées dans le 4e type de cancer (dans les mêmes proportions que les 2 précédents). Leur diagnostic est vraiment très difficile parce que les leucémies aiguës ont des signes assez communs à beaucoup de maladies qu’on rencontre dans notre contexte. On peut avoir des fièvres à répétition ou prolongées. Ce sont des enfants qui sont traités plusieurs fois pour paludisme grave ou des infections. Ils sont souvent sujets à des anémies à répétition avec des transfusions (ce qui peut se voir aussi dans le paludisme et la dengue). Cette anémie peut être aggravée par des saignements parce que la leucémie peut donner des saignements. Parfois, des ganglions apparaissent au niveau du cou, des aisselles ou ailleurs sur le corps. Ces enfants manquent souvent d’appétit et maigrissent. Certains patients ont des douleurs aux os ou aux articulations et cela peut faire penser plus à un rhumatisme ou à la drépanocytose. Tous ces signes peuvent prêter à confusion avec d’autres maladies. C’est leur répétition, leur persistance malgré les traitements habituellement efficaces qui doivent alerter sur la possibilité d’une leucémie. Un examen de sang (NFS) peut donner une orientation.
Le dernier type de cancer que nous avons et qui est beaucoup moins fréquent que les autres est un type de lymphome appelé maladie de Hodgkin. Il se manifeste par un gonflement au niveau des ganglions du cou dans la majorité des cas. L’évolution est plus lente et longue. Ce n’est pas douloureux au début, et à la longue, le patient développe d’autres ganglions ailleurs et d’autres signes comme l’amaigrissement, la fièvre et le corps qui gratte.
Il y a d’autres cancers qui sont moins fréquents.

S. : Quelles sont les personnes à risques pour ces différents types de cancers ?
G.C.B. : De façon générale, il n’y a pas de profil particulier. Mais quand vous avez un cancer dans votre famille, globalement, vous avez plus de risques de faire le cancer. Cela ne veut pas dire que vous le ferez forcément. Il y a très peu de cancer chez l’enfant dont l’origine est génétique (moins de 5%), en dehors du cancer de l’œil, où, il y a des formes familiales, les autres types de cancers qui surviennent de façon sporadique. Il y a quelques rares cas où on retrouve une prédisposition génétique ou un problème d’immunité qui fait que l’enfant a plus de risques parce que l’organisme ne se défend pas bien. Habituellement, il y a plusieurs des facteurs qui concourent au déclenchement du cancer.

S. : Comment se fait la prise en charge des différents types de cancer ?
G.C.B. : La prise en charge se fait à Ouagadougou sur deux sites. Pour les lymphomes et le cancer de l’œil, la prise en charge se fait à Yalgado. Pour les leucémies et les cancers du rein, la prise en charge est faite à Charles-de-Gaulle. Quel que soit le type de cancer, le cheminement est le même. Il faut recevoir le patient, faire l’interrogatoire, l’examiner et en fonction de ce qu’on trouve, les examens de radiologie, d’anatomie pathologique et de laboratoire sont demandés. Ils permettent non seulement de confirmer le cancer mais également de déterminer son étendue (l’extension ou métastases). Tout cela permet de classifier le malade pour proposer un traitement.

S. : Quelle est le circuit médical d’un patient (enfant ou adolescent) atteint de cancer ?
G.C.B. : Dès que le patient est reçu, il peut être hospitalisé et nous demandons les examens. Il peut aussi être vu à titre externe dans un premier temps. Le patient est géré entre le service d’oncologie pédiatrique qui est son site principal où il reçoit la chimiothérapie et les autres services (ophtalmologie, imagerie, anatomie pathologique, laboratoires, chirurgie et autres services spécifiques). Parfois, il peut être nécessaire que le patient soit déplacé sur un autre site pour un examen ou un acte spécifique. Entre les traitements, il y a des périodes de repos et pour ceux qui habitent loin, nous avons une maison d’accueil à Zogona (quasi à mi-distance entre les 2 hôpitaux) où ils peuvent séjourner entre les traitements. La maison s’appelle « YEELBA ».

S. : Ceux qui sortent reviennent-ils pour le suivi ?
G.C.B. : Oui certains reviennent pour le suivi, pas tous malheureusement. Le rythme de suivi varie selon le type de cancer

S. : Quel est le coût estimatif de traitement du cancer ?
G.C.B. : Depuis 2005, nous sommes appuyés par le Groupe franco-africain d’oncologie pédiatrique (GFAOP) pour les médicaments. Il nous donne des anticancéreux et interviennent dans la formation et d’autres aspects. Mais, nous recevons de moins en moins de molécules et la charge pour les parents des patients est de plus en plus importante. Pour prendre l’exemple du lymphome de Burkitt qui est le plus fréquent, son traitement dure entre 4 à 5 mois et il faut compter entre 1 500 000 à 2 000 000 F CFA. Ce coût prend en compte, les examens, les anticancéreux en complément et les autres médicaments. A cela, il faut ajouter toutes les contraintes liées à la maladie de l’enfant. En effet, pour un enfant malade, il y a au moins un parent qui cesse toute activité (travail et autres occupations) pour 5 mois au moins, pour les soins. Pour les leucémies, c’est encore plus chère, parce que pour le traitement dure 2 à 3 ans.

S. : Au vu de toutes ces charges, est-ce que les parents arrivent à suivre le traitement de leurs enfants jusqu’au bout ?
G.C.B. : Disons que 20 à 25% des patients abandonnent le traitement pour des raisons financières essentiellement. Les parents sont vite à bout et arrêtent les soins. En effet, ce n’est pas à la portée du Burkinabè moyen. Il y a de bonnes volontés qui apportent leur aide et cela permet de traiter certains.

S. : Est-ce que le gouvernement est au courant et apporte-t-il sa part contributive ?
G.C.B. : Nous pensons que le gouvernement et particulièrement le ministère de la Santé, à travers la direction de la lutte contre les maladies non transmissibles est assez sensibilisée. L’incidence des cancers de façon générale augmentent y compris chez les enfants et adolescents et c’est la première cause d’évacuation sanitaire si je ne me trompe. En oncologie pédiatrique, nous espérons bénéficier des mesures annoncées dans le cadre de la prise en charge des cancers et souhaiterions que la spécificité de ces cancers soit prise en compte. Pour l’instant, il n’y a pas de subvention spécifique (ce que nous appelons de tous nos vœux). Nous la souhaiterions totale pour les anticancéreux (qu’il faut disponibiliser) et tous les bilans pour tous les patients. A terme, une assurance maladie serait une solution.

S. : Vous avez dit que les produits n’existent pas. Qu’est ce qui explique cela ?
G.C.B. : Il faut souligner d’abord que les anticancéreux sont une arme majeure pour le traitement des cancers de l’enfant et de l’adolescent. Ce sont des cancers dont la majorité se traite et se guérit par chimiothérapie. Ce n’est pas que les médicaments n’existent pas mais, ils sont peu disponibles. C’est assez complexe. Les anticancéreux sont des médicaments très spécifiques et comme ce sont des maladies relativement rares, ce n’est pas comme le paludisme par exemple. La centrale d’achat des médicaments ne commande pas ou très peu ces molécules et les pharmaciens en privé évitent de commander ces types de médicaments qui coûtent cher, au risque de ne pas pouvoir les écouler.

S. : Quel est le taux de survie de ces malades du cancer de l’enfant et de l’adolescent ?
G.C.B. : Le taux de survie pour le cancer de l’œil est pratiquement de 99% en Europe parce que le diagnostic et le traitement sont faits tôt et très souvent, les enfants conservent la vision. Chez nous, la moitié des patients qui arrivent sont à un stade où l’on ne peut pas les guérir (métastases). Parmi ceux qu’on peut guérir, certains abandonnent. Nous avons un taux de survie très faible pour ce qui est du cancer de l’œil (autour de 30%). Pour les lymphomes de Burkitt, 2/3 des patients arrivent tard, la survie moyenne est autour de 60%.
On ne peut ni éviter ni prévenir la majorité des cancers de l’enfant et de l’adolescent. Donc, la seule arme à notre disposition, c’est de faire le diagnostic précocement pour avoir plus de chance de les traiter avec succès.

S. : Est-ce que vous rencontrez des difficultés dans le traitement de ces patients ?
G.C.B. : Nous rencontrons beaucoup de difficultés. Nous en citerons quelques-unes. La première difficulté est d’arriver d’abord à convaincre les parents à faire tous les examens jusqu’au bout pour avoir la preuve du cancer. Il arrive que cela soit très difficile, très long et très couteux.
La deuxième difficulté qui peut être liée à la première, c’est que, arrivé au diagnostic, il y a
des abandons de traitement pour des raisons financières mais également pour d’autres de considérations.
Nous avons aussi un besoin en personnel. Il manque du personnel formé en oncologie pédiatrique dans nos unités de prise en charge. Nous sommes 4 oncopédiatres pour le moment dans le pays (3 à Ouaga et 1 à Bobo). C’est très insuffisant. Il en est de même pour le personnel infirmier. Une autre difficulté est que nous recevons les patients très tardivement, ils viennent à des stades qui dépassent nos possibilités de traitement pour guérir. Enfin, le manque de médicaments anticancéreux est un frein majeur pour la prise en charge.

S. : Avez-vous un conseil à l’endroit des parents et à la population en général ?
G.C.B. : J’invite les parents à vraiment consulter au plutôt dès qu’ils constatent qu’il y a une boule qui apparaît sur le corps d’un enfant, qu’ils saisissent la formation sanitaire la plus proche. Il en est de même d’une tache blanche constatée dans l’œil ou d’un œil qui louche. Lorsque vous avez un enfant qu’on dit tout le temps maladif (fièvre ou anémie répétée ou des douleurs osseuses), il faut toujours consulter pour que des investigations soient faites pour éliminer ou confirmer un cancer. L’appel n’est pas seulement adressé aux parents mais, c’est aussi à l’endroit du personnel de santé pour qu’ils soient plus attentifs aux principaux signes du cancer chez l’enfant et l’adolescent. Qu’au moindre doute, le patient soit référé dans des structures sanitaires de référence en l’occurrence Yalgado, Charles-de-Gaulle et Souro-Sanou pour une meilleure prise en charge.

S. : Quelles sont les améliorations que vous suggérez pour la bonne prise en charge ?
G.C.B. : Nous demandons aux autorités d’améliorer les plateaux techniques des hôpitaux pour permettre un diagnostic rapide et fiable, d’œuvrer à disponibiliser les anticancéreux et les autres médicaments indispensables (anti douleurs, antibiotiques) pour la prise en charge des cancers en général et ceux de l’enfant et de l’adolescent en particulier, de nous aider à faire des sensibilisations et à diffuser les informations sur les cancers de l’enfant et de l’adolescent à l’endroit de la population, de nous appuyer pour la formation personnelle de santé à tous les niveaux en vue de procéder à des diagnostics précoces. En effet, la formation de base n’est pas suffisante, il faudra subventionner de façon complète la prise en charge des enfants et adolescents souffrant de cancers, d’améliorer les conditions de prise en charge dans les hôpitaux. En effet, il faut des cadres spécifiques pour une bonne prise en charge car ce sont des malades très fragiles. Cela pourrait consister à construire ou à réhabiliter et équiper les locaux existants.

S. : Comment voyez-vous l’avenir pour un traitement contre le cancer des enfants et des adolescents au vue de toutes ses contraintes au Burkina Faso ?
G.C.B. : Nous avons beaucoup d’espoir pour l’avenir car les choses se sont améliorées depuis le début de la prise en charge organisée en 2005. Des choses ont été faites et sont faites, mais nous devons aller de l’avant car nous n’avons pas le choix. Il faut les diagnostiquer tôt et les traiter efficacement ; car ce sont des cancers dont on peut guérir pour une grande partie, comme c’est le cas pour les 5 principaux cités plus haut.

Interview réalisée par : Wamini Micheline OUEDRAOGO
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