Malgré tout, cela fut possible. A 230 kms de Ouagadougou, un nom, une ville. Titao. Elle plie mais ne rompt pas. Dans cette ville située à la lisière du Sahel des hommes et des femmes se battent pour la survie. Zoom sur la résiliente «cité du phacochère» où des noms d’emprunt remplacent les identités réelles au regard de la situation sécuritaire.
Reportage.
Il est 4h30mn à Titao ce mercredi 6 mars 2024.
Des voix de muezzins retentissent. La ville se réveille. Des bruits de balais par-ci. Des bruits de marmites par-là. Les femmes reprennent le ménage dans les cours. Dans les ruelles, des hommes se dirigent vers la mosquée pour la prière du matin. A l’avant des fidèles, dans la mosquée, l’imam. Les jambes croisées, il psalmodie quelques versets coraniques. Quelques minutes plus tard, il termine en remerciant le Tout Puissant pour une nuit encore gagnée. Ici, les nuits se succèdent, mais ne se ressemblent pas du fait du terrorisme.
En effet, l’ennemi terroriste n’est jamais loin. Les forces de sécurité veillent au grain. Peu à peu, la lueur chasse la pénombre. Les rues reprennent leur animation habituelle.
Site de Aka. Un quartier populaire au sud de la ville. Les classes grouillent de monde. La plupart des effectifs sont pléthoriques, au-delà de la centaine. Tout a pourtant commencé timidement, se rappelle Isaac, lauréat de l’excellence nationale 2023. Il fait partie des pionniers de l’initiative «Sauver l’école au Loroum». En rappel, décembre 2021 a été marqué par une épidémie de fermeture des écoles dans le pays. C’est alors qu’une initiative vit le jour : «Sauver l’école au Loroum». Des enseignants bravent la menace terroriste. Ils restent. L’initiative prend de l’ampleur. Le comité de crise de Titao accompagne l’idée. Des fils et filles de la localité la soutiennent. Des ONG humanitaires mettent les leurs.
Les autorités locales «apportent du sel» à la sauce pour «Sauver l’école au Loroum». On recrute des enseignants communautaires. Les initiateurs réaménagent les écoles et les classes existantes en des sites d’éducation. Février 2021, les cours débutent mais timidement. L’initiative permet aux élèves du CM2 de se présenter à l’examen du CEP. Taux de réussite : 68,18% en 2022 et 94,38% en 2023, 99,10% en 2024.
Aka ou maintenir la flamme allumée d’une éducation
Aka, quartier d’Isaac et de ses collègues. De jeunes enseignants volontaires. Ils ont la tâche de conduire plus d’un millier d’élèves. Malgré les difficultés rencontrées, ils portent la mission. «Nous avons décidé de rester après le départ de l’Administration pour appuyer nos frères et sœurs abandonnés à leur propre sort», dit Isaac. Un combat. Les chiffres édifient. 1505 élèves. 5 classes de CP1. 3 classes de CP2. Les besoins sont loin d’être satisfaits.
«Des parents continuent de nous envoyer des enfants », souligne-t-il. La difficulté ? «Nous avons la volonté, mais nous sommes confrontés à des problèmes de tables-bancs et de salles de classe», affirme le volontaire. Conséquence ? «Les enfants sont assis à 3 ou à 4 voire à 5 pour les tout-petits.» Cette donne semble être une adrénaline pour lui. Sourire aux lèvres, il rassure : «C’est intéressant et encourageant à la fois car, à peine quatre jours de classe que les élèves de CP1 savent se tenir debout et dire «Bonjour Monsieur». Passion et courage. «Nous sommes déterminés à donner le meilleur de nous-mêmes», lance-t-il. Une expérience enrichissante.
La preuve ? De bons résultats aux sessions des examens du Certificat d’Etudes Primaires de 2022 et 2023. La Circonscription d’Education de Base de Titao I, délocalisée à Ouahigouya, compte poursuivre les ouvertures de sites. Objectif : satisfaire la demande dans la ville. En plus des 5 sites déjà ouverts, 3 autres sont au programme si l’évolution de la situation sécuritaire le permet.
Autre lieu, même ambiance studieuse. Le Lycée provincial. Seul site de regroupement des élèves du secondaire. Des étudiants en fin de cycle viennent à la rescousse de l’éducation dans leur province natale. Une initiative endogène. En cette matinée, le soleil poursuit inexorablement son ascension dans le ciel. Quelques coups de vent sec annoncent le retour de l’Harmattan. Des groupuscules d’élèves dans la cour.
La majeure partie en classe. Des voix d’enseignants-volontaires retentissent, entrecoupées souvent de celles d’élèves. Les cours ont bien débuté. Ismaël, un autre lauréat du prix d’excellence 2023. Il fait le tour des classes. A l’appel de l’initiative « Sauver l’école au Loroum », Ismaël, professeur certifié des lycées et collèges, retourne à Titao. Comme Isaac, il décide de coordonner l’action des jeunes étudiants volontaires. Son management permet d’engranger de bons résultats scolaires à l’examen du brevet d’études du premier cycle, session 2023. Taux de réussite : 66,52%, largement au-dessus de la moyenne nationale.
Ce qui lui a valu les reconnaissances de la Nation à la journée de l’excellence nationale à Ouagadougou. A la tête des 24 enseignants volontaires, Ismaël rebelotte. Il est conscient des défis à relever malgré les difficultés logistiques et techniques. «Nous manquons énormément de rames de papier. Les professeurs sont obligés de recopier souvent les devoirs et les exercices au tableau.», explique-t-il. Son appel : «Nous souhaitons qu’on puisse nous doter de ces fournitures nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement». Les yeux pétillants malgré la charge, il salue les initiatives sporadiques de personnes de bonne volonté.
A travers des cotisations, elles donnent des coups de pouce. «Mais c’est insignifiant, car avec un effectif de 1178 élèves, les besoins sont énormes», souligne l’éducateur. Cri du cœur entendu. La municipalité et la Croix Rouge font don d’une lampe solaire et d’un kit scolaire à chaque élève. Joie immense.
Du côté des agriculteurs …
Le soleil est au zénith. La forte canicule s’installe. Les habitants se mettent à l’ombre des rares arbres et des hangars de fortune. De petites jarres d’eau trônent soigneusement au pied des arbres.
Les réfrigérateurs se sont arrêtés depuis le blocage de la route nationale desservant la localité. La rareté et la cherté du carburant et l’insécurité conduisent au rationnement. Pour avoir le moindre litre, il faut montrer patte blanche. Présenter sa carte nationale d’identité. Le sabotage de la ligne électrique par les groupes armés terroristes depuis mars 2022 rend la situation délicate. Pas d’électricité. Une fois la nuit tombée, ce sont les torches des téléphones portables qui prennent le relais ou tout simplement, on fait avec l’obscurité. Certains moulins tournent.
D’autres mettent la clé sous le paillasson. A la Maison de la femme de Titao, des groupements de femme gèrent un moulin. Il offre l’opportunité aux plus nantis de moudre le grain. Les autres utilisent la meule ou le pilon. Faute de moyens financiers.
Côté nord de la ville. Une fraicheur particulière. Sur les berges du barrage de Titao, des femmes et des hommes s’activent dans le maraîchage. Des repiquages par-ci, des arrosages par là. La campagne sèche est en marche, malgré la situation sécuritaire. Une binette dans la main droite, l’herbe dans l’autre, Moussa, un jeune producteur maraîcher nettoie une planche d’oignon.
Il se rappelle de cette date douloureuse. 23 décembre 2021. Tout a basculé. Les producteurs dans l’impasse. Le vaillant combattant Ladji Yôrô venait de tomber dans une embuscade tendue par les terroristes. Il est mort. «Ce jour-là, je ne pouvais pas m’imaginer que la ville allait survivre. Quand la nouvelle est tombée le lendemain, la ville a commencé à se vider. Car notre protecteur, Ladji Yôrô est tombé», rappelle-t-il. Il écrase une larme, soupire. «Mais petit à petit nous avons pu nous relever. Aujourd’hui, nous arrivons à poursuivre nos activités de production grâce à la veille des Forces de Défense et de Sécurité.» Espoir. Cependant, des préoccupations demeurent.
L’écoulement des produits issus du maraîchage. «Nous n’arrivons pas à écouler les produits, car nous ne parvenons pas à les acheminer à Ouahigouya. L’année passée, la pomme de terre et l’oignon ont pourri dans nos mains.» Sa proposition ? «Il faut organiser des convois spéciaux pour enlever les productions. Sinon, il sera difficile pour les producteurs de tenir encore longtemps», explique Moussa. Autre problème : «Outre cette situation, l’approvisionnement à temps en semences pose également problème. Il faut attendre les convois, et souvent le délai de mettre les semences en terre est largement dépassé et le niveau de remplissage du barrage, faible».
La crise exacerbe des goulots existants
Les problèmes de ravitaillement et d’écoulement constituent les véritables goulots d’étranglement pour les initiatives socio-économiques. Coopérative Somdouya de Titao.
Une dizaine de femmes attelées sur des machines tissent des étoffes. A côté, des pagnes Faso-danfani empilés dans une armoire. «Même si ça ne marche pas, je ne peux pas abandonner et m’asseoir», confie Zourata, une artisane, la trentaine trempée. « Avant, je pouvais faire une recette de 100 à 150 mille francs le mois, mais maintenant, comme les étrangers ne viennent plus, je me débrouille pour juste assurer la pitance». Son vœu le plus absolu, «c’est l’ouverture de la route et la reprise du trafic.» Non loin de là, un atelier de soudure.
L’un des rares encore fonctionnels dans la ville. Ici, on fait de la soudure. Le gestionnaire profite faire de la glace. Il met aussi au frais de la boisson avec l’énergie du groupe électrogène. Selon Alassane, c’est une technique de résilience. Il n’y a pas assez de marché de soudure.
Les chantiers de construction sont en berne. «Nous ne travaillons pas tous les jours. Lorsque nous démarrons le groupe pour souder, nous mettons l’énergie à profit pour faire fonctionner le congélateur afin d’amoindrir les coûts de production », explique-t-il. Résultat : «Cela nous permet d’avoir de l’eau glacée et des boissons fraiches à vendre et, faire la soudure à la fois. C’est cette combinaison d’activités qui nous permet de tenir.» Avant de tourner dos, il lance : «Il faut tenir la ville coûte que coûte».
18h. Soirée ordinaire. Affluence minime, contrairement aux grandes affluences d’antan. Avant la crise, le commerce aux abords des voies battait son plein à la même heure. La rue se vide. Quelques retardataires, qui à pied, qui à bicyclette, se hâtent de rejoindre le domicile. 18h30mn. Les rues sont déjà désertes. Sûrement mais lentement, la pénombre, aidée par les angoisses du couvre-feu, finit par faire taire les voix des enfants. Les coups de pilons des ménages s’écrasent les uns après les autres. La ville tombe dans un calme plat. Silence de cimetière.
Ainsi survit l’emblématique ville de Titao. Cité des activités d’envergure nationale, il y a quelques années. Fête de la pomme de terre, Semaine de l’école, Semaine de l’excellence scolaire… Ces moments de beaux souvenirs ont cédé le pas à la résilience. Titao se bat et refuse de mourir. Malgré les multiples difficultés, la ville reste debout. Elle plie mais ne rompt pas.