La crise sécuritaire combinée au changement climatique réduit considérablement la productivité et les revenus agricoles des populations du Burkina Faso accentuant ainsi leur vulnérabilité alimentaire et économique. Ainsi, pour renforcer leurs moyens de subsistance, les populations de la région du Centre-Nord et les Personnes déplacées internes (PDI) qu’elles accueillent, développent des mesures d’adaptation à la variabilité climatique à travers la récupération des terres dégradées, les plantations d’arbres et la culture maraîchère.
Mercredi 15 mai 2024, il est 6h52mn. Le soleil commence à distiller ses rayons sur Guilla, un hameau de culture de la commune de Boussouma (Sanmatenga). En cette matinée de la Journée des coutumes et traditions, pendant que certaines populations rallient le palais royal de Boussouma pour assister à la cérémonie du rituelle afin d’implorer Dieu et les mânes des ancêtres pour une bonne campagne agricole et le retour de la paix au Faso, Kièmsé Bamogo, 45 ans, armé d’une pioche et d’une lance pierre, prépare déjà son champ de céréale situé au sud-ouest de cette bourgade. Un lopin de terre d’un hectare (ha) et demi offert sans contrepartie par son hôte et ami de longue date. Objectif : disposer des moellons le long des courbes de niveaux. A entendre cette Personne déplacée interne (PDI) venue de Barsalogho, les cordons pierreux permettent entre autres, de réduire l’érosion hydrique, de conserver et d’améliorer la fertilité des sols et d’augmenter l’infiltration des eaux de pluie. Il pratique aussi sur son champ le zaï et les demi-lunes associées à la fumure organique. « Sans ces techniques culturales, il est difficile de faire de bonnes récoltes sur cette terre dégradée », déplore Kièmsé Bamogo, le visage crispé. Pour cette campagne agricole, il compte emblaver du sorgho rouge et du petit mil. Sur le même terrain, il dit avoir récolté 2,5 sacs de 100 kg la campagne agricole précédente contre 4 sacs de 100 kg pour la campagne d’avant.
Un rendement qui ne couvre que trois mois des besoins alimentaires de sa famille forte de 16 membres. Selon le polygame de deux femmes, ce faible revenu agricole l’empêche d’assurer les besoins sanitaires et scolaires de ses 13 bambins. « A Barsalogho, sans pratiquer les techniques culturales sur mon champ de six ha, je récoltais à chaque saison agricole environ 26 sacs de 100kg de céréales », compare Kièmsé Bamogo, désespérément, un moellon entre les mains. Pour combler ce déficit alimentaire lié à la pauvreté des sols, le forgeron Bamogo fabrique des outils rudimentaires comme les couteaux, dabas, pioches, etc. pour les vendre. A un jet de pierre se trouve le champ d’un ha d’Idrissa Sawadogo, 32 ans, offert par son frère aîné. Sorti pour une aventure à Nadiagou (Pama), il est contraint de rentrer au bercail du fait de l’insécurité. Depuis deux ans, Idrissa vit dans son village natal, Guilla, avec sa femme et ses deux enfants. Avec la toute première pluie tombée dans la nuit du dimanche 12 mai, armé d’une daba, Idrissa aménage, lui-aussi, son lopin de terre en creusant manuellement des trous : le zaï. A l’écouter, cette technique permet de concentrer les eaux de ruissellement et les matières organiques dans ces trous où ils vont semer. Son champ est aussi garni de cordons pierreux.
Un seul repas par jour
Tout comme Kièmsé Bamogo, Idrissa Sawadogo cultive le sorgho et le petit mil avec un rendement saisonnier de 350 kg à l’hectare. « Ici, ce sont le sorgho et le petit mil qui réussissent sur la plupart des terres agricoles », justifie-t-il. De son avis, son rendement ne peut couvrir que ses besoins alimentaires de la saison sèche. A Nadiagou, Idrissa exploitait 4 ha de terres pour un rendement estimatif de 0,8 tonne/ha, soit 32 sacs de 100 kg. Pour joindre les deux bouts, il fouille les tuyaux de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA).
Dans son champ, Etienne Sawadogo (50 ans et père de sept enfants) et sa sœur s’activent à répandre la fumure organique. Réaffecté par l’Eglise catholique, ce catéchiste venu de Foubé-Bollé (Barsalogho) est bénéficiaire de 2,5 ha de terres récupérées. Un « geste » de la communauté hôte qu’il juge salvateur même s’il exploitait 6 ha de terre dans son village d’origine. A l’écouter, sa récolte ne lui permet d’assurer qu’un seul repas par jour à sa famille forte de 22 membres. « Vous voyez, c’est mon grenier comme ça. Actuellement, il est déjà vide (NDLR : 15 mai) alors que nous ne sommes même pas en début de la saison hivernale encore moins la période des récoltes », s’inquiète le catéchiste. Une situation qui rend sa famille plus vulnérable à la malnutrition. Il ajoute qu’à Guilla, les techniques de fertilisation des sols et de conservation des eaux sont beaucoup rependues. « C’est ici que nous avons appris les techniques culturales.
Avant, c’est à la télévision qu’on voyait des cultivateurs creuser le zaï et les demi-lunes dans leurs champs. Et on se disait qu’ils souffrent parce qu’au lieu de changer de champs, ils passent leurs temps à creuser des trous (rire). On pratiquait la jachère, parce que nous avons de grands espaces fertiles. Mais avec notre arrivée ici, nous avons compris que ces techniques sont importantes pour notre survie », lâche le catéchiste, avec un brin de tristesse. Il dit avoir constaté que dans sa localité d’accueil, l’irrégularité des pluies écourte la campagne agricole. « La saison d’hivernage passée, nous avons commencé les semis en début juin. Et ce, jusqu’à mi-juillet avant que les premières semences ne sortent. Tu peux semer trois fois sans que rien ne pousse du fait de l’irrégularité des pluies, de la forte chaleur et des ravageurs de semences. Ce qui fait que nous entrons véritablement dans la saison pluvieuse vers mi-juillet alors que les pluies finissent en mi-septembre. A l’approche des récoltes, l’arrêt précoce des pluies empêche les cultures d’atteindre la maturité », regrette Etienne Sawadogo. En attendant, le catéchiste compte sur ses caprins (4 chèvres et un bouc) que lui a donnés une ONG (APIL/Help) pour nourrir sa famille et améliorer son revenu.
Respecter le calendrier cultural
Durant ces trois derniers mois (mars, avril et mai), la région du Centre-Nord enregistre des températures oscillantes entre 40°C et 45°C, selon les services météorologiques. Cette forte chaleur est préjudiciable pour le mil, le sorgho, le maïs, le chou, la salade …, en fonction de la résistance variétale des cultures, car elle raccourcit leur cycle de culture et augmente l’évapotranspiration, selon les spécialistes. A Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord, de nombreuses plantes potagères crament sous le soleil ardent durant ces derniers temps. Boureima Ouédraogo, 65 ans, a perdu 160 planches de chou, une pépinière de 18 planches de salade et 34 planches d’oignon durant cette période de forte chaleur. Une perte estimée, selon lui, à 580 000 F CFA sans compter la perte d’eau, de la fumure organique et des efforts consentis. « J’ai tenté sans succès durant 45 jours de réaliser ne serait-ce qu’une seule pépinière de salade », pleure le polygame (2 femmes et 8 enfants). Notre interlocuteur dit avoir pris un groupe électrogène d’une valeur de 600 000 FCFA à crédit et comptait sur la vente de son chou pour rembourser.
Souleymane Nana, lui-aussi, n’a que ses yeux pour pleurer. Durant la même période, il a perdu 50 planches de chou (100 000 F) et 120 planches de tomate (350 000 F). « Depuis que je suis jardinier (41ans), je n’ai jamais vu cette chaleur excessive. Et comme on n’avait pas l’expérience sur les mesures d’adaptation, la majorité des jardiniers ont perdu leurs cultures », témoigne M. Nana, avec désolation. Boureima et Souleymane s’interrogent en vain sur comment rembourser les crédits des intrants agricoles et vivres contractés. Pour le chef de Zone d’appui technique (ZAT) d’agriculture de Kaya, Boureima Kiéni, cette situation s’explique par le non-respect du calendrier cultural et de la résistance variétale des cultures. « C’est bon de commencer à produire en octobre jusqu’en janvier, voire février. Là, vous n’êtes pas dans une période de risques liés à la forte chaleur, aux attaques parasitaires. Mais si les conditions du milieu sont réunies, on peut produire en tout temps », précise-t-il. Lors de notre passage dans leurs jardins, jeudi 16 mai 2024, la majorité des planches étaient au stade de repiquage pour dire qu’il s’agit un recommencement.
La malnutrition estimée à 9,2% en 2018 au Centre-Nord
Et ce, grâce à la pluie bienfaisante de la nuit du dimanche 12 mai dernier. Leur souhait le plus ardent est de bénéficier d’une formation sur la gestion de la variabilité climatique et d’une dotation en intrants agricoles résistant au mieux aux fortes chaleurs.
Pour le nutritionniste Tenwendé Sawadogo, en service à la Direction régionale en charge de la Santé du Centre-Nord, rencontré le 24 mai 2024, ce mauvais fonctionnement du secteur agricole du fait de la variabilité climatique plonge plus de 80% des populations du Burkina Faso dans une insécurité alimentaire et nutritionnelle et une pauvreté accrue puisque les produits agricoles constituent une source majeure de leurs revenus.
Selon ses explications, on parle de sécurité alimentaire et nutritionnelle lorsqu’on peut assurer à tout moment, à l’ensemble des populations un accès équitable à une alimentation équilibrée, suffisante et saine. Or, le déplacement massif et forcé (insécurité) des paysans vers les villes laissant derrière eux leurs zones de production et la pauvreté des terres dans les zones d’accueil combinés à la cherté des intrants agricoles compromettent l’atteinte à l’autosuffisance alimentaire. Le nutritionniste définit cette notion comme la capacité d’une entité (pays ou région) à produire autant d’aliments que sa population en consomme, que ce soit en kilocalorie, en volume ou en valeur. Selon le spécialiste, la situation nutritionnelle de la population du Burkina Faso reste fragile et est exacerbée par les effets de la sécheresse, les phénomènes météorologiques irréguliers liés au changement climatique et à l’insuffisance d’accès aux services sociaux de base. De son avis, le taux de la malnutrition globale est passé de 11,1% en 2015 à 8,2% en 2018 au niveau national contre 10,4% en 2015 à 9,2% en 2018 au Centre-Nord. Le Centre-Nord, poursuit-il, connait un retard de croissance qui est passé de 31,8% en 2015 à 28,2% en 2018 alors que l’insuffisance pondérale était de 25% en 2015 et est actuellement de 18,7%.
« Le taux d’anémie était de 51% chez les femmes enceintes en 2010 et 41% chez les Femmes en âge de procréer (FAP). Pourtant les moyennes nationales sont de 58% pour les Femmes enceintes et femmes allaitantes (FEFA) et 46% pour les FAP », détaille Tenwendé Sawadogo. De son avis, près d’une femme sur deux est anémiée et 97% des ménages ont une consommation adéquate d’iode dans la région du Centre-Nord contre 96% pour le niveau national. Dans cette situation, les enfants sont les plus exposés. Selon la Classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire (IPC), au total, il est estimé que près de 480 000 enfants âgés de 6 à 59 mois souffrent de malnutrition aiguë au niveau des 37 provinces analysées entre août 2023 et janvier 2024. Le nombre de cas de Malnutrition aiguë sévère (MAS) attendu s’élève à plus de 113 500. Quant aux FEFA qui souffrent de malnutrition aiguë, l’estimation s’élève à presque 131 500.
17 248, 25 ha de terres récupérées
Pour renforcer les moyens d’existence des populations affectées par la crise humanitaire et le changement climatique pour leur insertion socioéconomique, l’Etat et ses partenaires investissent dans la récupération des terres dégradées. Ainsi, de 2020 à 2022, dans la région du Centre-Nord, l’Association vision action développement (AVAD) a récupéré 17 099,25 ha de terres dégradées, clôturé 5 ha d’espace pour la production maraîchère et protégé 64,5 ha de berges au profit de 49 122 bénéficiaires (PDI et hôtes) dont
23 575 femmes, selon son coordonnateur général, Boukaré Bamogo. De même, à Guilla, de 2022 à 2024, les ONG Help/APIL ont aménagé 149 ha de terres en cordons pierreux, zaï et demi-lunes au profit de 149 producteurs (PDI et hôtes), selon le chargé du projet Soonré à l’ONG APIL, Inoussa Ouédraogo. M. Bamogo indique que ces initiatives permettent aux populations de renforcer leur productivité agricole et de régénérer d’autres terres qui jadis étaient impropices à l’agriculture. Selon le coordonnateur général de l’AVAD, au-delà d’assurer leurs revenus agricoles, c’est une autre dimension sociale qui se développe autour de ces travaux communautaires : la solidarité. « Au cours des récupérations des terres, les PDI et hôtes travaillent sur le même site. Ils se partagent l’eau, la nourriture, les outils aratoires et même des idées. Toute chose qui renforce le vivre-ensemble et la cohésion sociale », se réjouit-il. La plupart des terres récupérées sont octroyées sans aucune contrepartie pour le principe d’humanité. Le chef de Gourounga (quartier de Guilla) a concédé 5 ha repartis entre Etienne, Kièmsé et Idrissa.
« Nous avons estimé que l’Homme doit toujours être au service de l’autre au moment de sa souffrance. Si tu ne le fais pas, à ton tour, personne ne te soutiendra. C’est une loi naturelle », enseigne le garant de la tradition. Selon le Conseiller villageois de développement (CVD) de Guilla, Boukaré Sawadogo, 95% des PDI bénéficiaires des maisons et terres agricoles sont des inconnus. « Nous menons aussi des plaidoyers auprès des projets pour leur formation en métiers porteurs et dotation en caprins », informe le CVD. Cependant, l’accès aux terres agricoles reste toujours une préoccupation majeure dans la région du Centre-Nord. Pour Boukaré Bamogo, cela s’explique par la dégradation avancée des terres, l’insuffisance de terres fertiles, le surpeuplement des zones d’accueil et l’inaccessibilité des terres fertiles sous contrôle des groupes armés. Pour absorber les chocs liés aux effets du changement climatique et à la crise humanitaire, nos interlocuteurs suggèrent entre autres, la plantation et protection des arbres pour freiner la vitesse du vent violent qui détruit les cultures aux stades de montaison ou maturité, la pratique des techniques culturales pour fertiliser le sol et lutter contre l’érosion hydrique, la production du compost pour augmenter la productivité agricole et régénérer naturellement le couvert végétal et l’utilisation des semences améliorées à cycle court et rendement élevé.