Le glaucome, qui est une cause courante de cécité, est une maladie qui affecte l’écoulement de l’humeur aqueuse, provoquant une élévation de la pression intraoculaire. Il est une maladie de l’œil associée à la destruction progressive du nerf optique. Pr Ahgbatouhabeba Zabsonre actuelle Présidente de la société burkinabè d’ophtalmologie et cheffe de service d’ophtalmologie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, nous donne plus d’explications.
S : Est-ce que vous pouvez nous donner une définition de la tension oculaire ?
Ahgbatouhabeba Zabsonre (A.Z.) : Il existe dans l’œil une pression qu’on appelle tension. Cette tension doit être normale. Sinon, soit l’œil est trop mou, soit il est trop dur, trop tendu.
Cette tension normale a une valeur comprise entre 10 et 21 millimètres de mercure.
Elle est due entre autres, au fait qu’il y a dans l’œil, une sorte de gel qu’on appelle vitré et il y a un liquide, l’humeur aqueuse, sécrétée de façon continue par une structure de l’œil appelé procès ciliaire. L’humeur aqueuse est en même temps excrétée, c’est-à-dire évacuée hors de l’œil.
L’humeur aqueuse est formée dans l’œil, et sort de l’œil. C’est l’ensemble vitré et humeur aqueuse qui permet d’avoir la tension de l’œil.
Le problème c’est quand ce qui est secrété ne peut plus sortir de l’œil, c’est à dire, n’est plus excrété. Cela entraine une augmentation de la tension oculaire.
S : Qu’est-ce qui est à l’origine de l’hypertension oculaire ?
A.Z. : L’humeur aqueuse est excrétée de façon continuelle. Et si l’excrétion ne se fait pas, la tension augmente. C’est là le problème. Et pourquoi l’excrétion ne se fait pas ?
Il existe une structure qui est comme un filet par laquelle l’humeur aqueuse, qui est tout le temps excrété, passe pour sortir de l’œil. C’est ce qu’on appelle le trabéculum. Dans le glaucome, ce trabéculum est altéré et l’humeur aqueuse ne peut plus s’évacuer hors de l’œil entrainant une hypertension oculaire.
Cette hypertension entraîne une pression sur le nerf optique et le détruit progressivement,
insidieusement. Cette atteinte du nerf optique se manifeste par une atteinte du champ visuel. Le champ visuel est l’espace perçu par les yeux regardant tout droit sans bouger. Ce champ visuel est atteint et petit à petit ce champ visuel diminue. Et donc progressivement le patient atteint perd son champ visuel mais ne se rend pas compte jusqu’à ce que survienne la cécité car le glaucome c’est le voleur silencieux de la vue. Cette maladie touche beaucoup de personnes et il y a des facteurs de risque dont l’âge. Plus on est âgé, plus on a la malchance d’avoir les mailles du filet qu’est le trabéculum qui vont se boucher et entrainer le glaucome. Mais, il y a aussi le fait d’être noir, c’est-à-dire mélanoderme. Les mélanodermes sont un facteur de risque. Le fait d’avoir des parents glaucomateux est un facteur de risque. Il y a aussi l’hypertension artérielle, le diabète, la myopie comme facteurs de risque. Il en existe encore d’autres.
S : Vous avez dit qu’il y a plusieurs personnes qui sont atteintes de glaucome. Quelles sont les statistiques des personnes atteintes par cette maladie au Burkina ?
A.Z. : Le professeur Nicolas Méda avait conduit une enquête dans la région de Koudougou et autres extensions. Et on avait trouvé environ deux cent des personnes atteintes de glaucome. Le Dr Sanou a dirigé une enquête dans la région Ouagadougou dans les différentes structures sanitaires publiques et privées et là il avait trouvé environ 4%. Donc en moyenne, il doit avoir 3% moyenne de personnes atteintes.
S : Est-ce-que l’hypertension oculaire et le glaucome sont similaires ?
A.Z. : Non ! L’hypertension oculaire est aussi un facteur de risque de glaucome. Le fait d’avoir une hypertonie oculaire (synonyme d’hypertension oculaire) est un facteur de risque. Mais on peut avoir une hypertonie oculaire sans avoir le glaucome : on parle d’hypertonie oculaire isolée. Mais parmi cette proportion de personnes qui ont une hypertonie oculaire isolée, pas mal développeront le glaucome après.
Il existe aussi le glaucome sans hypertonie oculaire appelé glaucome à pression normale ainsi il y a des personnes qui ont le glaucome sans hypertonie oculaire. Donc, on détecte leur glaucome sans hypertonie, pas par la tension oculaire, mais par l’examen ophtalmologique, précisément par l’examen du fond de l’œil et l’examen du champ visuel automatisé. C’est pour ça qu’au moins vers 40 ans, quand les gens ne voient plus bien de près, il est bon qu’ils viennent consulter pour savoir si leur examen ophtalmologique est normal ou s’il y a une hypertonie oculaire seulement, ou une hypertonie oculaire avec suspicion de glaucome ou pour ceux qui n’ont pas d’hypertonie oculaire rechercher un signe au fond d’œil qui va faire suspecter le glaucome. Quand il y a une suspicion, des examens de para clinique sont prescrits, les résultats de ces examens, nous permettent de poser le diagnostic de glaucome et alors le traitement peut être commencé.
S : Quels sont les signes de l’hypertension oculaire, comment on peut les reconnaître ?
A.Z. : Quand la tension n’est pas très élevée mais trop élevée pour le nerf, il n’y a aucun signe jusqu’à tomber aveugle par glaucome. Le glaucome est le voleur silencieux de la vue. Lorsque la tension est très élevée, il peut y avoir des céphalées. Les glaucomes touchant des personnes jeunes appelés glaucomes juvéniles, la tension oculaire est très élevée. Et ces jeunes-là présentent des violents maux de tête. Mais certaines personnes âgées aussi qui ont une tension très élevée ont des maux de tête.
Un autre signe est qu’autour des lumières, une couleur en arc-en-ciel peut être perçue. Ou le matin, il peut y avoir une vision floue temporaire. Et le nerf s’abîme progressivement jusqu’à ce que la cécité advienne.
S : Le glaucome est-il héréditaire ?
A.Z. : Il peut être héréditaire. Ceux qui ont un parent glaucomateux ont plus de risques d’avoir le glaucome. Il y a des études qui sont faites qui montrent qu’il y a des gènes qui peuvent être à l’origine d’un glaucome. Mais on peut ne pas avoir des parents glaucomateux et avoir un glaucome.
S : Est-ce qu’il existe un traitement pour l’hypertonie ?
A.Z. : Oui. C’est de diminuer la pression intraoculaire le plus souvent médicalement.
S : Peut-on prévenir le glaucome ou l’hypertonie oculaire ?
A.Z. : on ne peut pas prévenir l’hypertonie oculaire isolée ou liée au glaucome. On ne peut pas prévenir le glaucome.
Il n’y a pas vraiment de moyen de prévention du glaucome. Il semblerait qu’en mangeant assez de légumes verts, en faisant du sport, en n’utilisant pas des insecticides…, on aurait moins de risques d’avoir le glaucome. Faites-vous dépister tôt en allant consulter une fois l’année le médecin ophtalmologiste pour ne pas être aveugle. Le glaucome entraîne une diminution progressive du champ visuel qui se termine par la cécité incurable.
Nous avons par exemple la cataracte qui entraîne une cécité, mais on peut opérer la cataracte et ainsi guérir de la cécité liée à la cataracte. Mais la cécité liée au glaucome est incurable.
Quand le nerf optique est très atteint, c’est fini. On ne peut plus rien faire. Le problème du glaucome est qu’il entraîne une cécité incurable. Lorsque ça commence, c’est irréversible. C’est pourquoi, il faut se faire dépister tôt.
Quand les parents ont le glaucome, il faut au moins une fois par an, aller voir l’ophtalmologue pour le dépistage. Et dès que le glaucome commence, le traitement est débuté. Et qui dit traitement, dit dépense financière pour toute la vie.
C’est un traitement médical et un suivi à vie. Le traitement peut être chirurgical, mais il faut continuer à se faire suivre. Il y a des patients à qui l’on prescrit des collyres qui viennent une fois, deux fois, la pression oculaire s’améliore et ils sont perdus de vue ; ils continuent leur traitement sans se faire suivre. Mais quelquefois, le traitement n’est plus efficace et ils deviennent aveugles. Il faut se faire suivre pour qu’on puisse changer de traitement quand il le faut. C’est un traitement à vie, un suivi à vie.
S : Comment définit-on le glaucome ?
A.Z. : Le glaucome est une neuropathie optique progressive qui entraîne des lésions particulières que l’on voit au niveau de l’examen du fond de l’œil, au niveau de l’examen du champ visuel, et qui aboutit, sans traitement, à la cécité.
S : Et quelles en sont les causes ?
A.Z. : On ne connaît pas vraiment les causes. Il y a des causes héréditaires. Bon, il y a différents types de glaucomes. Il y a le glaucome primitif à angle ouvert, qui est le plus fréquent chez les mélanodermes, chez les Occidentaux. Le glaucome à angle fermé, qui est le plus fréquent chez les asiatiques. Et puis, il y a les glaucomes, secondaires, qui peuvent être dues à une cause bien déterminée comme le fait d’instiller pendant longtemps des collyres contenant des corticoïdes dans les yeux. A un moment donné, la personne va avoir le glaucome. On parle alors de glaucome secondaire à l’instillation oculaire de corticoïde. Un traumatisme violent peut entraîner un glaucome secondaire aussi. Il y a d’autres types de glaucomes, d’autres formes de glaucomes.
S : Quels sont les premiers signes d’un glaucome ?
A.Z. : Si c’est le glaucome primitif à angle ouvert, là il n’y a pas de signe. Mais parfois on peut avoir ces signes-là : quand la tension est très élevée, on voit que le matin, on voit moins bien clair. Et puis après, ça va mieux. Ou on voit des arcs-en-ciel autour des lumières ou on peut avoir des maux de tête.
S : Le fait de larmoyer peut être de glaucome ?
A.Z. : Il y a différents types de glaucomes. Il y a le glaucome congénital. Un bébé peut naître avec un glaucome. Là, il y a des larmoiements. Mais chez le bébé, il faut savoir qu’on fait plus vite de diagnostic, parce que la sclère (ce qui est blanc) est distensible. Donc, quand il y a la tension, l’œil grossit. Donc, les yeux des bébés sont gros. Et grossissent de plus en plus.
S : Quelles sont les complications ?
A.Z. : Les complications de glaucome, c’est la cécité. Il faut donc un dépistage précoce. Car il n’y a pas actuellement quelque chose qui préviendrait le glaucome. Mais un dépistage précoce pour un traitement précoce pourrait prévenir la cécité.
S : Au Burkina, on voit que les gens n’ont pas la culture d’aller chez l’ophtalmologue. Quels conseils avez-vous à donner au public pour vraiment éviter cette pathologie ?
A.Z. : Si dans la famille il y a des personnes qui ont un glaucome, il vaut mieux aller se faire consulter, quel que soit l’âge. Et régulièrement, chaque année. Maintenant, à partir de 40 ans, quand on commence à ne pas bien voir de près, c’est bon aussi d’aller se faire consulter par un ophtalmologue. Pour qu’on puisse détecter à temps un glaucome débutant.
Tout le challenge c’est de pouvoir commencer le traitement dès le début pour ne pas arriver à la cécité. Mais cela demande aussi des moyens financiers.
S : Combien de temps le glaucome peut faire avant d’arriver à la cécité ?
A.Z. : C’est variable. Ça peut mettre 5, 10, 20 ans. Il y a des personnes chez qui on a dépisté le glaucome mais qui n’ont pas voulu se faire traiter, alors, 5, 10, 20 ans après ils se retrouvent avec un glaucome au stade terminal.