Le dimanche 16 juin prochain, les musulmans du monde vont célébrer l’Aïd el Kébir ou la Tabaski. Au Burkina, les fidèles s’apprêtent aussi à vivre ces moments de célébration et de spiritualité. Dans cette interview que l’imam Nouhoun Bakayogo du CERFI et de l’AEEMB nous a accordé, il nous parle de l’importance de cette fête pour le monde musulman, sans occulter les spéculations annuelles sur les prix des bêtes à immoler et surtout formule des vœux pour un Burkina de paix et de solidarité.
Sidwaya (S) : Dans deux jours, les musulmans vont célébrer la fête de Tabaski. Quel est le sens de la Tabaski pour les musulmans ?
Nouhoun Bakayogo (N.B.) : La Tabaski est une fête de remerciements parce qu’elle nous rappelle cet engagement que le père du monothéisme, celui que Dieu a choisi comme étant un confident pour lui à la surface de la terre qu’est Ibrahim ou Abraham, selon les écritures saintes et bien qu’étant prophète, un privilégié à la surface de la terre, n’avait malheureusement pas eu d’enfant jusqu’à un âge très avancé. Il a fait le vœu au Seigneur des cieux et de la terre que s’il lui donnait un enfant, il l’immolerait en remerciement au Seigneur des cieux et de la terre. Effectivement, Dieu va lui donner un enfant, Ismaël. En ce moment, Ismaël qui était né de la deuxième épouse d’Ibrahim se trouvait en terre de La Mecque en ce moment. Alors qu’ Ibrahim vivait auparavant à Jérusalem. Lorsque Ismaël est né, Abraham continuait à faire les allers et retours. Au moment où l’enfant avait atteint l’âge de la compagnie disent les écritures, Dieu va lui faire voir en songe qu’il est en train d’immoler cet enfant. Il va en informer son enfant qu’effectivement, il a vu en songe en train de l’immoler, donc une exhortation de Dieu. Il s’est rappelé qu’il avait fait un vœu. Une fois qu’il a informé son enfant, ce dernier aussi soumis à Dieu va dire, mon papa, fait ce que Dieu te recommande. Au moment où l’enfant et son père s’apprêtaient à exécuter cette injonction divine, Dieu va faire venir un bélier à la place de l’enfant qu’ Ibrahim va immoler.
Cela est resté une tradition dans le monothéisme. Mieux, quand le prophète Mahomet va arriver, il va dire que cela fait partie des rites obligatoires donc du Hadj, le 5e pilier de l’Islam qui est d’immoler une bête à l’occasion de son pèlerinage. Pour les non pèlerins, c’est une recommandation pour eux d’immoler une bête pour se souvenir de cet acte de soumission ultime d’Ibrahim qui était prêt à immoler son unique fils d’alors pour plaire à Dieu. Donc, c’est une fête pour remercier Dieu d’avoir remplacé l’immolation humaine par une immolation de bête. C’est véritablement le fond de la fête de Tabaski, accompagné naturellement avec beaucoup d’autres éléments d’adoration que sont la prière et les invocations.
S : Cette année, sous quel signe le musulman doit-il placer cette fête ?
N.B. : Il n’y a pas un signe particulier, mais le premier signe d’abord, c’est le remerciement pour le fait que Dieu nous a tous gardés en vie. Tabaski est une fête où on fait revivre la solidarité, la fraternité humaine. Nous ne devons pas oublier ceux qui n’ont pas les moyens de fêter comme nous , notamment les déplacés internes, toutes ces personnes qui sont privées de leurs résidences normales. Nous pourrions dire que c’est une commémoration dans la solidarité.
S : Revenant au mouton de sacrifice, quelles doivent être les caractéristiques de l’animal à immoler et le dispatching à faire après son immolation ?
N.B. : C’est bon de clarifier cela pour le fait que la recommandation première porte sur le mouton, donc un bélier. Lorsque c’est un mouton, la condition de validité, il faut que non seulement, qu’il soit sain, pas malade, ne soit pas coupé de corne, d’oreille, amputé des jambes. Mais surtout, il doit remplir la condition d’âge. Le minimum pour le mouton, c’est un an. Le prophète Mahomet a dit ce qui peut embellir au mieux ce jour, est un mouton blanc et qui mange dans le noir, qui regarde dans le noir et qui marche dans le noir. Donc, un mouton tout blanc qui a des tâches noires au niveau de son mufle,des yeux et des pattes. On peut aussi immoler un chameau, seul ou à plusieurs, jusqu’à 14 personnes. Si, on veut immoler un bœuf, le troisième type d’animal qui est recommandé en dehors du mouton, du chameau, il faut qu’il ait deux ans révolus. On peut immoler un bœuf seul ou à sept personnes. Si, vous n’avez pas les moyens, vous pouvez immoler une chèvre ou un bouc. Mais, il faut qu’il ait un an révolu.
S : Comment faire le dispatching de la viande ?
N.B. : La viande est répartie en trois parties. Idéalement, une première partie pour sa famille, une deuxième pour les nécessiteux et la troisième pour des cadeaux à des amis, à des alliés, etc. Mais si vous avez une famille nombreuse, il n’est pas interdit de tout manger parce que la première offrande, c’est celle offerte à sa famille. Mais, si vous avez les moyens suffisants, vous pouvez immoler des moutons et donner en aumône. S : De plus en plus, l’on constate une exagération dans la fixation du prix du mouton par des commerçants souvent musulmans. Quel est votre ressenti face à cette situation ? N.B.: Au débat du ressenti, c’est plutôt des recommandations. Ma suggestion pour ceux qui renchérissent les prix, c’est de comprendre qu’en réalité, Tabaski, c’est une fête de la miséricorde. C’est par miséricorde que Dieu a donné un bélier à notre père Ibrahim en remplacement de son fils. Le commerce est permis en Islam. Mais, l’exagération n’est pas recommandée parce que ce n’est pas la quantité d’argent en réalité qui fait le bonheur, mais c’est la « baraka » qu’il y a. Donc, si on renchérit le prix et qu’on empêche des personnes de bourses moyennes d’accéder à cette immolation, en réalité, on ne les aurait pas aidées, sinon qu’on leur aurait fait du tort. Cela n’est pas bien. Ce qu’on recommande, c’est de rester dans le juste milieu, faire le commerce en n’exagérant pas. On va gagner en miséricorde de la part du Seigneur et espérer la bénédiction dans les bénéfices que l’on va gagner à l’occasion.
S : Que dit l’écriture sainte dans ce sens ?
N.B. : Ce que l’Islam recommande de façon générale, c’est la miséricorde dans le commerce. On ne doit pas oublier qu’en Islam, ce n’est pas la quantité d’argent qui fait le bonheur, mais la bénédiction (baraka). Avoir un bénéfice moyen avec la « baraka » est bien mieux qu’avoir des bénéfices colossaux sans « baraka ». Ce qui est décommandé que les écritures disent clairement, il ne faut pas mentir en faisant du commerce. Au nom de Dieu, j’ai payé à tel prix alors que ce n’est pas vrai, c’est du mensonge. Dans le commerce, on n’exagère pas,on ne ment pas pour vendre.
S : Selon les prescriptions islamiques, quelles sont les personnes pour lesquelles immoler un mouton est une obligation et celles qui en sont exceptées ?
N.B. : L’obligation d’immoler est faite d’abord pour les pèlerins. Elle fait partie des rites du pèlerinage. Celui qui pendant le pèlerinage ne fait pas son immolation, en réalité, il lui a manqué quelque chose qu’il doit compenser. En revanche, celui qui n’est pas en pèlerinage, c’est une recommandation. Le prophète a dit qu’on ne fait pas une meilleure adoration le jour de la fête plus que le fait d’immoler un animal. Parce que chaque poil de l’animal est une bénédiction. C’est énorme comme récompense et on peut même immoler le lendemain ou le surlendemain de la fête. Normalement, tout adulte croyant doit immoler. Mais, un chef de famille qui n’a pas les moyens, il n’est pas obligé d’immoler. En termes clairs, il n’est pas dit d’aller s’endetter pour immoler ou de forcer pour le faire lorsqu’on n’a pas les moyens.
S : Pour un fidèle qui a les moyens et qui refuse de sacrifier un mouton, que dit l’Islam ?
N.B. : Il se serait fait du tort énormément parce que les bénéfices qu’il y a ne sont pas à égaler à l’argent qu’il va débourser. Pour un mouton à 100 000 ou 150 000 francs F CFA, tu peux avoir des bénéfices de telle sorte que chaque poil est une bénédiction. En réalité, il se serait fait du tort. Souvent, l’on dépense plus que l’argent du mouton à des fêtes ou à des occasions données. Pourquoi ne pas le faire au moment où la recommandation te donne des bénéfices énormes comme celle-là. Au-delà de la joie qu’on répand dans sa famille, des liens de solidarité que l’on fait en donnant de la viande de l’immolation aux nécessiteux, aux pauvres autour de nous, on récolte énormément de bénédictions en immolant un animal ce jour-là.
S : Il y a deux années de cela, une image d’une femme immolant un mouton lors de la Tabaski a fait le tour des réseaux sociaux. Une femme est-elle autorisée à immoler un mouton de Tabaski ?
N.B. : Ce n’est pas interdit. La femme peut bien immoler si elle sent le besoin, si elle a le courage. Mais, la recommandation que le prophète a fait à son épouse Aïcha, il lui a dit, va assister à l’immolation de ton animal. Il ne lui a pas dit d’aller immoler forcément. Mais, si elle est prête à immoler, il n’y a pas de mal en cela. Ce qu’on doit comprendre, en immolation, il ne s’agit pas d’un abattage de sorte qu’on tue l’animal n’importe comment. Non. Ce qui fait que dans l’immolation, il y a des règles. Premièrement, on ne doit pas faire souffrir l’animal. On doit aiguiser suffisamment le couteau de sorte qu’au bout d’un aller- retour du couteau, l’animal est mort. Egalement, on ne prend pas le couteau pour le brandir devant l’animal en disant, on va te manger…Il ne s’agit pas de faire peur à l’animal, mais plutôt de l’offrir à Dieu. Immoler, c’est lui trancher le cou, mais ce n’est pas de le faire souffrir.
S : Tabaski 2024 se déroulera encore avec des milliers de Burkinabè déplacés. Quelle doit être l’attitude des musulmans face à ces personnes en cette période de fête ?
N.B. : Tabaski va se dérouler dans un contexte où effectivement certains de nos frères de la Nation sont déplacés dans leur propre pays, ils ne sont plus chez eux. Ils sont dans des conditions contraignantes. Il est bon qu’on fasse acte de solidarité, parce que la Tabaski, c’est aussi le moment de faire montre de sa solidarité et de sa compassion. Autant Dieu a eu de la miséricorde vis-à-vis de nous en remplaçant l’immolation d’un être humain par l’immolation d’un bélier, on doit aussi savoir faire montre de notre solidarité vis-à-vis de ceux qui, aujourd’hui, se retrouvent en situation de détresse en partageant avec eux, en ayant une pensée pieuse pour eux et qu’on ne les oublie surtout pas dans nos invocations.
S : Quels sont vos vœux pour les musulmans et le Burkina ?
N.B. : A tous les musulmans du Burkina, je leur souhaite de très bons moments de l’Aïd el Kébir en commençant par le jeûne de Arafat, à continuer avec les invocations de Dieu. Je les exhorte à ce qu’ensemble, nous communions pour implorer davantage notre Seigneur de la miséricorde pour qu’il fasse revenir la paix, la sécurité, la sérénité dans notre pays. Pour le Burkina, que le Dieu de la miséricorde étende sa main sur le pays, le Sahel, sur l’Afrique, sur le monde entier. Que les guerres se taisent et que les cœurs se parlent et qu’on retrouve la paix et la sérénité entre nous pour mieux vivre sur la terre de Dieu avant de le rejoindre dans le paradis.