Dans quelques jours, les musulmans du monde entier vont commémorer la fête de Tabaski. Cette fête encore appelée « fête du mouton », est d’ordinaire, une aubaine pour les commerçants de petits et gros ruminants. Ces derniers voient leur chiffre d’affaires se décupler. Mais, contrairement aux années antérieures, cette édition de l’Aïd el Kebir se présente des plus moroses au Burkina Faso. C’est du moins ce qu’a constaté Minute.bf dans certains marchés à bétails de la ville de Ouagadougou.
Jeudi 13 juin 2024, il est 09h05. Nous sommes à la Patte d’oie, plus précisément sur le site Cissin 2020 de la Société nationale d’aménagement des Terrains urbains (SONATUR). En cette approche des fêtes, ce site est envahi par des commerçants de ruminants en tout genre qui y exposent leurs bétails, espérant appâter des clients. L’espace grouille de bêtes par endroits. Alors que certains sont occupés à nourrir leurs animaux, d’autres, quant à eux, sont en pleine discussion avec des clients sur le prix des moutons.
Notre approche suscite du mouvement. L’on accourt vers celui qui semble être un potentiel client. « Bonjour. Que voulez-vous ? Venez par ici si c’est un mouton que vous cherchez », nous lance-t-on de toute part. Nous déclinons notre identité de Journaliste et très vite, les petits sourires sur les visages disparaissent. Le petit monde qui s’était formé autour de nous se disperse, déçu de ne pas avoir affaire à un client.
La situation sécuritaire pointée du doigt
Nous nous dirigeons vers un groupe de commerçants. Le premier à qui nous nous adressons nous redirige vers un autre. C’est Moumouni Nikiema. Depuis quelques années, il convoie des moutons de Dori vers Ouagadougou. Et quand venaient les fêtes, c’était la moisson pour lui. Mais cette année, les clients se font attendre. « Le marché en tout cas, ça ne va pas. Les bêtes ne s’achètent pas vraiment. Par jour, si on a trop vendu c’est un seul mouton. Ça ne va vraiment pas », nous lâche-t-il, la mine renfrognée. Pour M. Nikiema, le marché des moutons est morose au Burkina Faso depuis quelque années. Une situation qu’il dit imputer à la crise sécuritaire qui sévit dans le pays.
Alors que nous discutons avec lui, une voiture se gare juste à nos côtés. Le commerçant nous laisse en plan et court vers celui qui semble être un client. Ce dernier descend et se dirige vers le troupeau de moutons. Des discussions s’engagent entre lui et les commerçants autour d’un bélier. Nous nous mettons en retrait. Les tractations sont rudes. Après quelques minutes d’échanges visiblement infructueux, le client se retourne et fait mine de repartir à son véhicule. Il est vite rappelé par M. Nikiema. « Venez ! On va s’entendre. Il faut prendre au prix que tu as proposé », lance-t-il au client, à contrecœur. Marché conclu, le mouton est embarqué dans le coffre du véhicule.
Les clients jugent les prix exorbitants
Le client, c’est Rasmané Ouédraogo. Chauffeur de véhicule, il a été commissionné par son patron pour acheter un bélier en prélude à la fête de Tabaski. Et finalement, le Bélier lui a couté la somme de 200 000 FCFA. Il trouve le prix des moutons relativement élevé. « Vous avez vu vous-même qu’au dernier moment j’ai failli laisser tomber et partir. Les moutons sont chers. On veut fêter mais à cette allure ce n’est pas facile », déplore-t-il. Il affirme cependant comprendre la raison de cette cherté. Lui-aussi pointe du doigt la situation sécuritaire du pays. « Ce n’est pas la faute des commerçants. Moi je les comprends. C’est le pays même qui est difficile », admet-il priant pour le retour de la paix au Burkina Faso.
Si les prix des moutons sont jugés exorbitants, c’est au regard de la conjoncture qui a affecté presque tous les pans de la vie économique du Burkina Faso. La situation nous est expliquée par Ousmane Tondé, un autre commerçant installé sur le site de la SONATUR. A l’en croire, le son de maïs utilisé pour nourrir les moutons a doublé en terme de coût, et les moutons également sont devenus rares dans les villages en raison du déplacement des populations.
« Aujourd’hui, les moutons manquent même dans les villages. La situation a fait que beaucoup d’éleveurs se sont déplacés. Donc on ne trouve plus les bêtes comme avant. Aussi, le son de maïs est devenu cher. La boîte de Yoruba fait 10 000 FCFA. Vous comprenez que la situation est difficile », a-t-il expliqué. Chez lui aussi, les clients se font rares. Faute de marché, il s’est même replié sous une des tentes dressées par les mendiants qui occupent le site de la SONATUR. « Que Dieu nous aide seulement. Si la situation ne change pas, je risque d’arrêter cette activité (la vente des moutons ndlr) », nous lâche-t-il, désespéré.
Une clientèle rare au marché à bétail de Cissin
Nous quittons le site de la SONATUR pour rallier le marché à bétail du quartier Cissin. C’est l’un des sites de référence en matière de commerce des ruminants dans la ville de Ouagadougou. Et habituellement, à l’approche des fêtes, le marché grouille de moutons mais aussi et surtout, de clients. Cependant, contrairement aux années antérieures, c’est un espace presque vide qui nous accueille. Ici aussi, la morosité se conjugue au présent.
Par manque de clients, les commerçants se sont aussi repliés sous leurs hangars. « Il n’y a pas de marché. C’est mou. Les gens viennent mais trouvent que les prix des moutons sont chers. Ça ne va pas. Vous-même vous voyez qu’il n’y a aucun client. Cette année, la morosité du marché est vraiment inquiétante. Il fut un temps où quand tu venais ici, il n’y avait même pas d’espace pour garer. Mais aujourd’hui il n’y a rien », déplore Idrissa Ouédraogo dont les béliers sont venus de Fada N’Gourma et Pouytenga. Le prix de ses béliers varie entre 50 000 FCFA et 300 000 FCFA. Il y en a de toutes les qualités et les tailles.
Un peu plus loin, Salfo Sawadogo a aussi attaché ses moutons, une vingtaine. Si lui aussi déplore la morosité marché, il dit comprendre cependant la situation actuelle. « Nous-même nous félicitons les clients. Actuellement le marché est cher. Il faut le reconnaître. Avant on pouvait prendre 2 ou 3 millions pour aller en province et faire de bonnes affaires. Mais aujourd’hui ce n’est plus possible. Si tu n’as pas au moins 10 millions, n’essaie pas. Tout est devenu cher. Le prix des moutons est devenu cher. Que Dieu nous aide tous », admet-il priant que la situation s’améliore.
Pour information, la fête de l’Aïd el Kebir sera célébrée le 16 juin prochain. Cette fête musulmane commémore la force de la foi d’Ibrahim (Abraham) à son Dieu, symbolisée par l’épisode où il accepte de sacrifier, sur l’ordre de Dieu, son fils Ismaël. Le sacrifice du mouton est une recommandation de l’islam en souvenir de cette dévotion d’Ibrahim à son Dieu.