Au Burkina Faso, les élèves albinos font face à de nombreux défis dans leur parcours scolaire, notamment la discrimination, le manque de ressources et des problèmes de santé liés à leur albinisme. Ces obstacles contraignent certains à abandonner les bancs. A l’occasion de la Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme célébrée chaque 13 juin, Sidwaya est allé à la rencontre des acteurs.
Il est 8 heures 17 minutes, ce lundi 22 avril 2024 au quartier Kalgondin de Ouagadougou. En ce début de matinée, la chaleur s’est faite déjà sentir. Au siège de l’Association des femmes albinos du Burkina (AFAB), Guemilatou Bara, une jeune fille d’une vingtaine d’années, atteinte d’albinisme se tient devant la porte, le regard stoïque, mais empreint de tristesse. Elle vient de subir une intervention chirurgicale suite à un cancer de la peau.
La maladie l’a contrainte à abandonner les bancs à l’âge de 14 ans. Ce mal est l’un des principales causes de mortalité chez les personnes atteintes d’albinisme. La jeune fille soutient que depuis la survenue de ce « tueur silencieux », son objectif premier, c’est de recouvrer la santé. « Au début, c’était juste une petite plaie que je n’ai pas trop pris en compte, ignorant que cela pouvait être une lésion précancéreuse. Au fur et à mesure, elle a évolué et c’est là que j’ai informé la famille qui a fait part de ma situation à la présidente de l’AFAB », confie Bara. Cependant, elle ne baisse pas les bras. Elle compte reprendre le chemin de l’école après sa guérison.
Comme Guemilatou Bara, Djemilatou Kinda, la vingtaine révolue, fut également contrainte de surseoir à ses études en 2e année de communication à l’université de l’unité africaine (Ex-IAM). Pour Mlle Kinda, les raisons sont entre autres, le manque de moyens financiers et le problème de la vue.
« Durant mon parcours, les difficultés étaient surtout liées à la vision. Mais avec le temps, j’ai pu m’adapter. A un moment, j’ai voulu arrêter l’école parce que je n’arrivais plus à circuler avec la moto », explique-t-elle. Des difficultés qui n’entament en rien la détermination de Djemilatou Kinda qui suit des formations en lien avec son domaine en entendant de meilleures conditions pour « valider » sa licence. Contrairement aux deux précédentes, Masso Rayana Ouattara, élève en classe de CP2 est très bien incluse au sein de son école.
Elle dit avoir le soutien de ses enseignants et camarades. « Ma maîtresse sait que je ne vois pas bien au tableau. Pour cela, elle me laisse m’asseoir où je veux. Ma camarade me soutient lorsque j’en ai besoin », relate la petite.
Ce problème de vision contribue tout de même à la chute de ses rendements scolaires. « Au premier trimestre, avec mes verres correcteurs, j’ai été 13e. Malheureusement, au 2e trimestre, je les ai cassés. J’ai régressé pour me retrouver au rang de 22e », clame-t-elle.
Avancées et défis
Chargé de programme au sein de l’Association des femmes albinos du Burkina, Adama Guéné, affirme que beaucoup d’enfants albinos n’ont pas la chance de la petite Ouattara. Ils sont généralement victimes de stigmatisation et de discrimination. « Les enfants albinos sont souvent victimes de moqueries, de railleries et certains de leurs camarades refusent de s’asseoir à leur côté.
Ce qui pousse certains à abandonner l’école », précise M. Guéné. Institutrice et personne atteinte d’albinisme, Edith Bamouni a, dans sa classe, une élève atteinte d’albinisme. Elle soutient que ce sont les mêmes problèmes qu’elle rencontre. « Elle est souvent victime de moqueries et de stigmatisations de la part de ses camarades.
Ce qui la stresse et la démotive à venir à l’école », témoigne-t-elle.
Au Burkina, l’inclusion éducative des personnes atteintes d’albinisme est un défi et ce, malgré les progrès réalisés. Maïmouna Dené, présidente de l’AFAB, avoue qu’en matière d’inclusion éducative, des mesures sont prises pour intégrer les enfants albinos dans le système éducatif. Toutefois, dit-elle, des défis persistent, notamment en ce qui concerne la sensibilisation des familles et des enseignants à la malvoyance des enfants albinos. « Tous les enfants atteints d’albinisme sont malvoyants.
Mais, cela n’est pas connu de toutes les familles, ni de tous les enseignants. Les écoles qui reçoivent ces enfants doivent comprendre que chaque enfant albinos à des degrés de malvoyance différents. Il faut permettre à l’enfant de s’asseoir à une place qui lui convient. La vision des personnes atteintes d’albinisme n’est pas forcément améliorée en les plaçant devant le tableau », martèle la présidente de l’AFAB.
Elle précise que lorsqu’un enfant nait, les familles sans expérience de l’albinisme éprouvent déjà des difficultés. Ce qui les fait hésiter quand vient le moment de l’envoyer à l’école. « L’AFAB mène des sensibilisations à l’endroit des familles, mais aussi auprès des autorités », rassure-t-elle. Une sensibilisation qui se résume à l’organisation des rencontres auxquelles sont invitées des personnes atteintes d’albinisme qui ont réussi malgré les difficultés en vue d’encourager les enfants à se préparer mentalement. « Nous rencontrons des difficultés parce que cela nécessite des moyens pour se déplacer et sensibiliser », relève Mme Dené.
Aujourd’hui avec la politique de l’éducation inclusive, les responsables
d’écoles prennent en compte l’inclusion. Mais la présidente pense que le département de
l’éducation peut mieux faire, en mettant à la disposition du corps enseignant, des documents pédagogiques avec de gros caractères. Aussi, en recensant toutes les personnes atteintes d’albinisme pour intégrer leur nombre dans les programmes de développement.
Le soutien, un volet important
Si, ces dispositions permettent aux personnes atteintes d’albinisme de trouver leur place dans la société, certains parents estiment que la famille est le cadre par excellence pour l’épanouissement de leurs enfants. Ainsi, de l’avis de Safiatou Ouattara, la mère de Masso Rayana Ouattara, l’amour et le soutien des parents sont des éléments essentiels pour renforcer l’estime de soi de l’enfant atteint d’albinisme, car, tout commence en famille.
« A la maison, si l’enfant est aimé et encouragé, cela le met en confiance. Il faut que les parents leur montrent qu’ils sont des enfants comme les autres », conseille Mme Ouattara. Partageant sa propre expérience, le pharmacien, Arsène Tuoyé, se remémore ses défis rencontrés en tant que personne atteinte d’albinisme qui sont les problèmes de vision et la stigmatisation. « Il a fallu beaucoup de détermination et de soutien de la part de ma famille et de mes amis pour surmonter ces obstacles.
J’ai dû travailler dur pour financer ma scolarité, notamment en cultivant la terre et en m’occupant de divers emplois, ce qui m’exposait souvent au soleil », étale M. Tuoyé. Il plaide pour l’accompagnement des personnes atteintes d’albinisme avec des bourses d’études pour leur permettre de poursuivre normalement leur cursus scolaire. « Je demande au gouvernement et à ceux qui sont capables d’offrir des bourses et des aides financières aux étudiants atteints d’albinisme à ne pas lésiner sur les moyens », souhaite-t-il.
Au ministère en charge de l’éducation nationale, des stratégies spécifiques qui prennent en compte toutes les personnes en situation de handicap existent depuis 2018. Selon l’agent en service à la direction de la promotion de l’éducation inclusive, Maïmouna Sanou, cette stratégie 2018-2022 met l’accent sur la sensibilisation à travers des symposiums et la formation des acteurs pour l’accès et le maintien de tous les élèves en situation de handicap, y compris, ceux atteints d’albinisme.
Dans cette stratégie, note-t-elle, les enseignants ne sont pas en reste. Ils bénéficient de formations afin de faciliter l’apprentissage des élèves albinos, notamment en matière de positionnement en classe et d’utilisation des craies de couleur pour faciliter la lecture. « Ces actions sont appuyées par les ONG, les structures privées en attendant la nouvelle stratégie », précise Mme Sanou.
Gustave KONATE
Depuis 2014, le 13 juin de chaque année est célébré comme la Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme. Cette année, l’accent est mis sur une décennie d’effort déployé pour améliorer la vie des personnes atteintes d’albinisme au sein des communautés locales et nationales.
Depuis son institution, cette Journée a permis de sensibiliser le public sur les défis auxquels sont confrontées ces personnes, notamment la discrimination, la marginalisation et les problèmes de santé liés à leur condition. Au niveau local, des initiatives sont mises en place pour promouvoir l’inclusion et la protection des personnes atteintes d’albinisme. Des campagnes de sensibilisation sont menées pour lutter contre les stéréotypes et les préjugés.
Des programmes d’éducation et de santé sont aussi développés pour répondre aux besoins spécifiques de cette communauté. Les gouvernements de nombreux pays ont également pris des mesures concrètes pour améliorer les conditions de vie des personnes atteintes d’albinisme. Des politiques publiques sont mises en place pour garantir l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à l’emploi.
Malgré les progrès réalisés au cours de ces dix dernières années, les personnes atteintes d’albinisme continuent de faire face à de nombreux défis dans de nombreuses régions du monde. Elles sont toujours victimes de discrimination, de violence et de marginalisation, et leur accès à l’éducation, aux soins de santé et à l’emploi reste souvent limité. La Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme est l’occasion de réaffirmer notre engagement à créer un monde plus inclusif et équitable pour les personnes atteintes d’albinisme. Nous devons continuer à sensibiliser, à lutter contre la discrimination et à soutenir les initiatives qui visent à améliorer leur vie.