En marge de la réunion des acteurs non étatiques sur l’agenda post-Malabo tenue sous le thème : “Exploiter la force collective : façonner ensemble l’avenir agricole de l’Afrique”, du 16 au 18 mai 2024, en Ethiopie, Sidwaya s’est entretenu avec Josephine Atangana, une agricultrice camerounaise. Dans cette interview, elle revient, sur le bilan de la Déclaration de Malabo sur la croissance et la transformation accélérées de l’agriculture…
(S) : Vous venez de participer à la réunion des acteurs non étatiques sur l‘agenda post- Malabo, organisée par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) et ses partenaires. Quels sont les objectifs de cette rencontre ?
Josephine Atangana (J.A.) : L’objectif est de mettre ensemble les acteurs non étatiques afin qu’ils apportent leurs contributions et avis sur l’agenda post-Malabo, qui vient d’être élaboré en vue de la prochaine déclaration de Kampala. Il s’agissait de définir ensemble les défis majeurs de l’agriculture en Afrique mais aussi faire des propositions pour la prochaine déclaration.
S : Concrètement, de quoi a-t-il été question durant ces trois jours d’échanges ?
J.A. : Nous avons évoqué les problèmes de l’agriculture africaine, notamment la question de la reconnaissance des petits paysans dans le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), la valorisation de ces agriculteurs et leur modèle de travail à savoir l’agroécologie. Nous avons également évoqué les questions d’investissements, infrastructurelles, la prise en compte des femmes et des jeunes, le changement climatique comme étant les plus grands défis auxquels les paysans font face. De manière globale, il a été question des systèmes alimentaires en Afrique, car l’agriculture et l’alimentation sont des éléments inter-reliés et à d’autres secteurs tels que le commerce, la santé, l’environnement, le transport, qui doivent être pris en compte dans le PDDAA.
S : La déclaration de Malabo est en train de s’achever. Quel bilan faites-vous de sa mise en œuvre ?
J.A. : Il y a quelques évolutions, notamment l’introduction de quelques indicateurs sur l’agroécologie. Nous espérons qu’à la prochaine phase, nous serons bien lotis. Nous avons constaté que quelques pays africains étaient sur la bonne voie. Mais globalement, surtout en Afrique centrale, nous avons encore besoin de faire plus en termes de financement directs de l’agriculture, d’investissements infrastructurels, de prise en compte des besoins des femmes, des jeunes en matière de financement, d’accès au foncier. Il y a un certain nombre de questions qui doivent être spécifiquement adressées, notamment la question de la protection de la semence locale qui est très importante et la prise en compte des cultures africaines dans l’agenda de nourrir l’Afrique. Car, nous avons l’impression que nourrir l’Afrique pour le moment est très orienté vers les importations et nous avons besoin que la production africaine soit plus prise en compte en termes de nourriture et de diversité.
S : La mise en œuvre de la déclaration de Malabo a-t-elle été un échec ou un succès ?
J.A. : C’est déjà bien que les Africains puissent se mettre ensemble pour discuter, d’avoir un agenda commun, cela est important. C’est déjà bon de de se mettre ensemble pour l’évaluer, le monitorer. Maintenant, on a besoin de plus d’effort en termes de contenu et d’investissements réels, de prise en compte du système alimentaire global et lui insuffler un esprit particulier, un esprit africain. Les résultats auxquels, la déclaration de Malabo s’est fixée n’ont pas été atteints et ce n’est un secret pour personne. Cela a été clairement dit par les rapports propres de l’Union africaine (UA). Ce n’est pas une information qui vient de l’extérieur.
S : Quels sont les défis du système alimentaire africain auxquels, les acteurs font face ?
J.A. : Il y a le respect du secteur agricole en tant qu’un secteur primordial pour l’Afrique au vu de la démographie galopante et de la grande employabilité de ce secteur, du potentiel économique que l’agriculture représente. On a l’impression que l’investissement dans ce secteur ne prend pas en compte réellement l’immense potentiel qu’il représente. On se retrouve donc avec des financements très limités, les infrastructures insuffisantes dédiées à l’agriculture, des femmes et des jeunes qui ne sont pas suffisamment pris en compte alors qu’ils constituent plus de 70% de la main d’œuvre agricole. On a aussi les questions telles que la grande ouverture vers les importations qui mine la production locale, la question du changement climatique, la non prise en compte de l’agroécologie.
S : La déclaration de Malabo tire vers sa fin. L’UA est en train de se pencher sur l’agenda post-Malabo. Quelles sont les attentes des agriculteurs africains dans ce prochain agenda ?
J.A. : Pour ce qui concerne l’agenda post-Malabo, notamment la prochaine Déclaration de Kampala et du prochain PDDAA, notre principale attente est l’augmentation des financements au profit de l’agriculture africaine. Il faudrait faire plus que les précédents 10% dans la Déclaration de Malabo, pour aller peut-être même à 20%, au regard de l’importance du secteur agricole dans notre continent. Nous attendons également la prise en compte significative de l’agroécologie comme étant le fondement de l’agriculture africaine, avec des financements particuliers, en l’occurrence la création d’une banque africaine pour l’agriculture.
S : Les rapports de l’UA disent que la Déclaration de Malabo n’a pas atteint les résultats escomptés, que faire pour ne pas retomber dans les mêmes travers pour les 10 prochaines années et quels devraient être les rôles des différentes parties prenantes ?
J.A. : C’est d’abord redonner à chaque partie prenante, notamment les petits paysans, l’importance qu’il doit avoir dans le processus. Il faut leur redonner la place dans les espaces de prises de décisions et dans les orientations qu’on donne à l’agriculture en Afrique. Cela est très important, il faut respecter la place des agriculteurs, des pêcheurs et des éleveurs dans tout le processus, qu’il s’agisse du domaine de la production, de la transformation qu’au niveau de la prise de décision. La deuxième chose est de construire le prochain agenda sur les principes et les valeurs de l’agroécologie. Car, l’agroécologie a, à la fois, une dimension pratique, politique et stratégique qui peut aider l’Afrique à s’en sortir par rapport aux challenges auxquels elle fait face dans le cadre du PDDAA.
S : Pour vous, l’agroécologie constitue une réponse structurelle aux problèmes de l’agriculture africaine ?
J.A. : L’agroécologie permet de lutter contre les changements climatiques, de s’y adapter mais aussi de préserver es terres agricoles. L’agroécologie permet également de préserver l’environnement, la biodiversité, les cultures locales et les systèmes semenciers locaux, car elle n’est pas orientée vers la monoculture. Avec l’agroécologie, nous avons la chance que l’Afrique puisse être souveraine, à travers notamment la mise en place des marchés de proximité, appelés encore marchés territoriaux. Elle a l’avantage d’augmenter significativement l’employabilité des femmes et les jeunes. Car les pratiques agroécologiques sont un système qui sollicite énormément de mains d’œuvres ; alors que l’Afrique a actuellement une grande jeunesse qu’il va falloir employer.
S : Vous avez parlé du rôle des parties prenantes, quel doit être celui de la femme dans l’agenda post-Malabo ?
J.A. : Pour ce qui concerne les femmes, la première chose serait qu’elles soient valablement représentées dans les espaces de prises de décision et d’orientation, car les problèmes qui les concernent demandent des solutions contextuelles en phase avec leur vécu, et seules les représentations féminines peuvent apporter des solutions à ces préoccupations. Par exemple, il y a le besoin de financements spécifiques pour les femmes. Elles ont des problèmes particuliers qui sont liés à leur statut dans l’agriculture. Par exemple, pour le moment, en Afrique, les femmes ont du mal à accéder au foncier, aux financements, car elles ne disposent pas de garanties, du fait de leur statut de femme. Sans oublier les problèmes d’éducation qu’elles rencontrent et leur difficile accès aux infrastructures et aux technologies pour combler leurs besoins en matière de production et transformation des produits agricoles.