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Marché à bétail de Fada N’Gourma : une matinée dans le poumon économique résilient

Publié le mercredi 8 mai 2024  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Un troupeau de bœufs qui perturbe régulièrement la circulation à Ouagadougou
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Mis en place en 1970 et aménagé en 2006 à hauteur de 720 millions F CFA par le gouvernement burkinabè, sur financement de la Coopération suisse, le marché à bétail de Fada N’Gourma est l ‘un des plus grands carrefours commerciaux d’animaux de la sous-région ouest-africaine. Poumon économique de la région de l’Est, il attire, chaque dimanche, des milliers de vendeurs et d’acheteurs du Burkina, mais aussi des pays voisins. En plus d’être source d’emplois et de revenus pour les populations, ce marché atypique génère également des recettes pour la commune. Immersion dans cet « centre commercial » résilient malgré le contexte sécuritaire difficile.

Dimanche 21 avril 2024. Nous sommes au marché à bétail de Fada N’Gourma, situé à la sortie est de la ville, sur la nationale n°4, route Fada-Kantchari. Il est 5h30mn. Les portes du marché sont encore closes. Mais déjà au parking à motos, le nombre d’engins laisse entrevoir que ce jour est particulier. Les portes d’entrée des parcs des gros ruminants, des ânes et des petits ruminants grouillent d’animaux. Les bêlements et meuglements se mêlent à l’incessant vrombissement des camions arrivant sur l’aire de stationnement. Les bouviers, munis de bâtons, tiennent au calme les animaux. « Les bâtons qu’ils tiennent coûtent 1 000 F CFA », nous confie notre guide, Aboubakar Combary.

Arrêtés autour des troupeaux avec des cordes, des enfants, dont l’âge est compris entre 12 ans et plus, surveillent le mouvement des animaux. Ils sont en majorité déscolarisés du fait du terrorisme. « La plupart sont des enfants déplacés internes. Ils attendent qu’un animal s’échappe pour l’attraper. S’ils y parviennent, le propriétaire leur paie 5 000 F CFA », relate M. Combary. Dans l’attente de l’ouverture du marché, un âne quitte le groupe et prend la clé des champs. Un enfant, qui visiblement n’attendait qu’une telle occasion, se lance à sa poursuite. Quelques minutes plus tard, l’animal est rattrapé et maîtrisé, non pas sans difficulté. « Ce n’est que le début. A la sortie des animaux, le spectacle est ahurissant », fait savoir notre guide. Non loin de là, malgré les nuages de poussière qui envahissent les lieux avec l’arrivée des animaux et des camions, un restaurant « par terre » vient d’être dressé. Les clients, adultes et jeunes, prennent « allègrement » leur petit-déjeuner. « Ici, on ne parle pas d’hygiène, pourvu que le ventre soit plein », a-t-on envie de dire. A environ 40 mètres du fameux restaurant, un groupe d’animaux s’abreuvent. « Avec les coupures d’eau pouvant aller souvent jusqu’à une semaine, l’abreuvement des animaux est le souci majeur des propriétaires d’animaux ici », précise Aboubakar Combary. Cependant, la solution est trouvée par d’autres acteurs du marché. Convoyé dans des bidons de 20 litres, le liquide précieux est vendu entre 100 et 200 F CFA le bidon.

Il est 6 h 00. Les portes du « centre commercial à bétail » s’ouvrent ! Les animaux commencent leur entrée dans le marché. Comme s’ils savaient le sort qui leur est réservé, certains se montrent moins coopérants. Ils sont trainés de force à l’intérieur. Dans un tel capharnaüm, des personnes indélicates ne manquent pas. « Je suis venu avec quelqu’un car, on nous a signalé la présence d’ animaux volés dans le marché », nous expose un lieutenant de police qui croyait s’adresser à un membre du comité de gestion du marché. A 8h30mn, les agents chargés des transactions s’installent. Le marché s’ouvre enfin au public. A l’intérieur règne la cacophonie. Difficile de se frayer un passage. Acheteurs et courtiers (personne chargée de faciliter la vente) discutent. « Dans ce marché, pour pouvoir vendre facilement, il faut forcément passer par ces courtiers », murmure le gestionnaire du marché, Koudrègma Birba. La chaleur est accablante en ce début de journée. Les vendeuses d’eau, de boissons énergisantes et de jus de tous genres se faufilent entre les animaux. « Attention. Ici tu n’es pas à l’abri d’un coup de patte ou de corne », nous met en garde notre photographe, Issa Compaoré. Dans cette ambiance, chacun entend faire de bonnes affaires en cette journée. Venu de Bobo-Dioulasso, Souleymane Traoré trouve que les animaux s’achètent moins chers par rapport à la ville de Sya. « J’ai l’habitude de payer entre 20 et 40 têtes de bœufs à un coût compris entre 150 000 et 200 000 F CFA, et même avec les taxes et les frais de transport, nous arrivons à en tirer un bénéfice », avoue-t-il. En revanche, son collègue Eliasse Bonkoungou, venu de Ouagadougou, a un autre son de cloche. « Nous avons l’habitude de fréquenter plusieurs marchés, notamment Dori, Kaya, Djibo, Yamba …, mais avec la situation sécuritaire, il n’y a que les marchés de Fada N’Gourma et de Pouytenga qui sont encore fonctionnels. Ce qui fait que les prix ont grimpé. Quand je viens, j’achète souvent 10 à 20 têtes. Mais jusque-là, je n’ai pu payer que deux », déplore-t-il.

Des documents obligatoires
Yaya Diallo est exportateur d’animaux vers la Côte d’Ivoire. Il convoie au mini- mum une trentaine d’animaux par marché vers le pays d’Houphouët-Boigny. Pour lui, du prix des animaux en passant par celui des produits et l’aliment pour bétail, tout a augmenté. « Nous payons des animaux de 400 000 F CFA. Pour les convoyer jusqu’à destination, il nous faut acheter de l’aliment pour la route, payer des taxes communales et des frais de transport qui s’élèvent parfois à 350 000 F CFA le camion. Au final, lorsqu’on arrive en Côte d’Ivoire, on ne peut plus gagner grand-chose », confie M. Diallo. Contrairement à ce dernier, Oumarou Sana, acheteur-vendeur, trouve que les prix sont abordables. « J’ai pu acheter plus d’une vingtaine de têtes de petits ruminants pour envoyer au Bénin. Mais d’ici la fermeture, je verrai si je peux en trouver d’autres », soutient-il. Exportateur d’animaux vers le Ghana, Kassoum Sawadogo n’a toujours pas pu se procurer des petits ruminants alors que l’heure de fermeture du marché s’approche.

« Nous allons nous rendre au marché de Pouytenga pour voir si nous allons trouver quelque chose», se console-t-il. Dans ce marché à bétail, le désordre ambiant qui règne laisse croire que rien n’est structuré. Et pourtant, même si l’entrée sur l’aire du marché est gratuite, vendeurs et acheteurs doivent s’acquitter de taxes avant de sortir. Amadou Akolado Maïga est collecteur de la mairie, courtier et président de la Fédération générale des marchés à bétail de la région de l’Est, membre de l’association Barké. Il a hérité ce travail de son père dans les années 78. Selon lui, deux documents sont obligatoires pour sortir du marché. « Lorsque tu achètes un animal, il te faut un certificat d’achat qui permet de savoir dans quel marché tu l’as acheté et qui te l’a vendu. Ainsi, si quelqu’un vient déclarer que cet animal est volé, on fait appel au vendeur pour gérer le litige. Ce document coûte 1 000 F CFA », détaille M. Maïga. Le deuxième document est relatif aux autres taxes. « Au niveau des gros ruminants pour se procurer le document, l’acheteur doit débourser 2 600 F CFA, soit 1 500 F CFA pour la mairie comprenant la taxe de stationnement (1 000F/tête) et le certificat d’origine (500 F). 500 F/tête reviennent au comité de gestion et l’association Barké gagne 100 F », souligne-t-il.

La rente des courtiers
Outre ces taxes, le vendeur et l’acheteur doivent s’acquitter de la somme de 2 000 F CFA comme frais de courtage. « En tant que courtier, cette somme nous revient de droit. Au temps fort du marché, on pouvait avoir plus de 100 000 F CFA par marché. Mais aujourd’hui, nos recettes ont baissé. Nous nous retrouvons souvent avec moins de 50 000 F CFA », confie Kaldou Dicko, collecteur au marché malgré son âge avancé (au moins 75 ans). Il précise que cette somme est répartie en trois. Soit 45% pour lui, 45% pour les courtiers et 10% pour l’agent chargé de dresser le certificat qui est par ailleurs son fils. Dans le box des petits ruminants, excepté les tarifs, les principes sont les mêmes. « Nous avons une centaine de collecteurs qui dressent les certificats dans le marché. Dans chaque carnet, il y a 50 certificats donc 10 000 F CFA par carnet. Lorsqu’ils arrivent à tout vendre, le collecteur perçoit 2 000 F CFA, son patron prélève 4 000 F CFA et l’association 4 000 F CFA », relate le vice-président de l’association Souglimani en charge de la gestion du box petits ruminants, Kadré Maïga. Là aussi, l’acheteur et le vendeur doivent en plus des 2 000 F CFA, verser chacun, 300 F CFA, soit 600 F CFA comme taxe à la commune. Pour certains acteurs, ces taxes pèsent lourdement sur le prix des animaux.

« Avant, les recettes de la commune dans le marché étaient insignifiantes. 150 F CFA par tête dans les box bovins et asines et 80 F CFA dans le box petits ruminants », nous informe, le régisseur de recettes de la commune de Fada N’Gourma, Dieudonné Ouoba. Ainsi, pour donner un souffle au budget communal, la délégation spéciale, dès son installation le 29 juin 2022, à sa première session extraordinaire tenue le 18 octobre 2023, a adopté une délibération portant institution de taxes diverses au marché à bétail de Fada N’Gourma au profit du budget communal. « Avec la nouvelle décision, aux box bovins et asines, nous percevons 500 F CFA/tête. Du côté des petits ruminants, la commune encaisse 200 F CFA/tête », mentionne M. Ouoba. Cette révision est appréciée positivement par certains acteurs qui pensent que si cela peut aider la commune à se développer, ils sont prêts à s’y acquitter. « Si ce que nous versons est utilisé à bon escient pour le bien de la commune, nous sommes prêts à payer », convient Eliasse Bonkoungou. Aujourd’hui, c’est au moins 4 millions F CFA que ce marché génère dans la vente des gros et petits ruminants par jour de marché, au profit du budget local, foi de M. Ouoba. Du côté des asines, c’est environ 250 000 F CFA que la commune engrange à chaque marché. « Nous percevons 25 F CFA/tête de volaille vendue. Mais jusque-là, nous n’avons pas pu capitaliser cette contribution », signale le régisseur.

« Si nous détectons une épidémie … »
Dans la région de l’Est, l’insécurité est surtout marquée par le déguerpissement des populations de leur localité et le vol de bétail. Pour que le marché à bétail ne serve pas de lieu de recel des animaux volés, des mesures sont prises à tous les niveaux, notamment au niveau des services vétérinaires. Ainsi, pour faire venir un animal au marché, le propriétaire doit se munir d’un certificat d’origine et d’un laissez-passer zoo- sanitaire. Selon la cheffe de poste vétérinaire de Fada N’Gourma, Adjaratou Sankara, ces documents permettent d’attester la provenance des animaux et leur état de santé. « Mais, il y a des petits malins qui ne veulent pas prendre le laissez-passer zoo-sanitaire qui coûte seulement 1 000 FCFA et qui leur donne du même coup droit au certificat d’origine de la mairie », déplore Mme Sankara. Présente à chaque marché, elle vient s’assurer que les animaux qui sont parqués sont bien portants. « Si nous détectons une épidémie, nous sommes obligés de fermer le marché. C’est pourquoi, la veille, nous inspectons les animaux déjà parqués et le jour du marché également, pour nous assurer que tout est conforme pour leur admission au marché », révèle Mme Sankara.

76 928 têtes vendues au 1er trimestre 2024

Malgré cette situation d’insécurité dans la région, le trimestre écoulé a connu une nette augmentation du nombre d’animaux vendus dans le marché. 76 928 têtes, toutes espèces confondues au premier trimestre de 2024 contre 32 009 têtes en 2023, selon le gestionnaire des lieux, Koudrègma Birba. Pour lui, cela est dû non seulement à la fermeture des autres marchés dans la zone, mais aussi, aux mesures mises en place pour contrer le terrorisme.

« Le bétail ne peut quitter la zone sans documentations. Donc, beaucoup pour se conformer passent par notre marché. Ce qui a du coup augmenté sa fréquentation », argumente, M. Birba. Premier dans la sous-région en termes de modernisation infrastructurelle, de fréquentation et de nombre d’animaux, le marché connait tout de même quelques difficultés liées à l’entretien de l’infrastructure, au manque de dispositifs sanitaires et à une sous-exploitation. « La gestion du marché n’est pas maximisée, car il n’y a pas de marchés secondaires. Entre deux dimanches, on aurait pu avoir d’autres activités en créant un autre rendez-vous pour d’autres produits », regrette Koudrègma Birba. Mais en attendant, il est 11h30, alors que le soleil est presque au zénith. Quelques gros camions stationnés autour du marché accueillent leurs premiers passagers. Les animaux affaiblis sont trainés de force dans les camions par les jeunes valides. Cette journée agitée terminée (ndlr, le marché ferme à 12h00), place au point des recettes de part et d’autre, et rendez-vous est pris pour dimanche prochain pour un autre jour de marché.
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