Toujours prise en charge en pédiatrie au lieu d’être dans le fil actif adulte, les adolescents infectés du Virus de l’immunodéficience humaine (VIH), âgés de 15 à 24 ans, peinent à faire face à leur situation. Les pédiatres, de leur côté, assurant jusque-là leur prise en charge par manque de formation adaptée pour leur accompagnement psychosociale, ne savent plus à quel saint se vouer. Face à ces difficultés, certaines structures ont décidé de prendre à bras-le-corps la problématique. Nous sommes allés à leur rencontre.
Nafi, Moussa et Alizéta (noms d’emprunt) font partie des 400 jeunes adolescents et adultes qui ont eu la chance d’être pris en charge par l’Association espoir pour demain (AED) dans le quartier Bolibanna, au secteur 18 de Bobo-Dioulasso. Suivis depuis la petite enfance par les médiatrices de l’association, dans les centres pédiatriques de la ville de Sya, ils ont été transférés à l’AED dès l’âge de 15 ans, afin de bénéficier d’une prise en charge adéquate du fait de leur passage de l’enfance à l’adolescence. « Ici, nous avons créé un cadre qui leur permet de se sentir en famille grâce à l’accompagnement des médiatrices, des psychologues et des médecins », indique le secrétaire général de l’AED, Jacques Sanogo. Malheureusement, tous n’ont pas cette chance de transition dans leur prise en charge.
Estimés à environ 3 300 jeunes adolescents et adultes encore en pédiatrie, selon le Réseau pour une plus grande implication des personnes infectées et affectées par le VIH/SIDA dans la lutte contre le VIH/SIDA au Burkina (REGIPIV-BF), leur transition semble ne pas encore à l’ordre du jour. « De nos jours, on retrouve encore des jeunes de 15 à 24 ans et parfois plus qui sont dans les fils actifs pédiatriques alors qu’ils n’ont plus les mêmes problèmes que les enfants », fait marquer le coordonnateur du REGIPIV-BF, Adama Ouédraogo. Ainsi, pour leur apporter l’appui nécessaire, un projet pilote de transition a vu le jour en 2019 et exécuté au Burkina Faso et au Sénégal avec le soutien d’Expertise France. « Mais, c’est le Burkina qui a la plus grosse cohorte avec 130 adolescents pour la première phase et 30 autres pour la deuxième phase », précise M. Ouédraogo.
Piloté par le REGIPIV-BF, ce projet dont l’objectif est de permettre aux jeunes toujours en pédiatrie, de transiter sans grande difficulté vers les sites adultes, a défini trois volets pour y parvenir. Il s’agit des volets clinique, recherche et communautaire. Dans le premier volet, les adolescents infectés passent des mains des pédiatres à celles des médecins. Mais avant, ils suivent une préparation spécifique. « Nous informons trois à six mois avant ce passage l’ensemble des parties que sont les jeunes, les parents et les médecins des sites adultes, afin qu’ils s’impliquent dans le processus pour faciliter la transition », explique Dr Arthur Sawadogo, moniteur du projet. Une préparation nécessaire, selon lui, car avant la mise en place de ce système, le constat était que le jeune, une fois sur le site adulte, s’il n’a pas été bien accueilli, « soit il a tendance à vouloir revenir en pédiatrie, soit il ne revient même plus aux consultations au niveau du site adulte ».
Créer un environnement familial
En charge des enfants à la pédiatrie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), le professeur Caroline Yonaba, pour avoir travaillé durant plusieurs années avec eux, justifie ce refus par la peur de se confier à un visage étranger mais aussi, par le fait qu’à ce niveau, les bilans de santé sont financièrement pris en charge par le malade. « Pourtant, malgré leur âge, lorsqu’ils tombent malades en pédiatrie, ils sont entièrement pris en charge, car nous avons des partenaires qui nous accompagnent. C’est pourquoi au début de ce projet, il était d’abord question à notre niveau, de travailler à ce qu’ils acceptent d’aller dans les services adultes malgré les charges que cela va entrainer », appuie-t-elle. Pair éducateur dans le processus, Ahmed Congo qui est passé par la même situation confirme que cela est compréhensible.
« Pour un jeune qui s’est vu suivre depuis son enfance par un personnel qui a su créer un environnement familial où, il se sent à l’aise, aimé, protégé, en sécurité et un jour, on lui dit qu’il n’est plus habilité à bénéficier des services de cette famille et que par conséquent, il doit aller dans une autre famille, cela n’est pas facile », fait-il observer. Médiatrice à l’Association espoir pour demain, Adja Tounkara, qui joue l’interface entre les formations sanitaires et l’association rassure que tant que cette confiance n’est pas établie, aucune transition ne peut s’effectuer. « Nous avons perdu un adolescent parce qu’il a refusé de se confier au médecin et ne prenait pas les produits », se souvient-elle.
Aussi, pour faciliter cette intégration qui est la priorité dans le projet, plusieurs approches furent développées dans le volet clinique. Il s’agit de la visite du site adulte, de la prise de langue avec les médecins qui les auront désormais en charge, mais aussi, des services annexes. « Tout cela, pour leur permettre de s’habituer au fil adulte et de se familiariser avec le personnel soignant », soutient Dr Arthur Sawadogo. Il y a également les groupes de parole organisés chaque trimestre pour leur donner l’occasion de se côtoyer, d’apprendre avec d’autres jeunes et de se soutenir mutuellement.
« Là, ils sont soutenus par des jeunes modèles appelés pairs éducateurs que nous avons choisis sur le site adulte dont le rôle est d’abord de rassurer les adolescents qu’ils ne seront pas seuls mais aussi, leur faciliter le contact avec les agents soignants dans leur nouveau centre de suivi », précise le moniteur. Pour Ahmed Congo, pair éducateur dans le cadre du projet transition, l’accompagnement des jeunes se fait sur tous les plans de sorte à faciliter leur intégration et leur maintien dans les centres adultes. Cette phase préparatoire dure douze mois, selon M. Sawadogo, à l’issue de laquelle, les jeunes passent dans les mains des médecins du site adulte. Dans le second volet (volet recherche, ndlr), Dr Sawadogo rassure qu’il est consacré à la collecte des données qui seront valorisées à la fin du projet.
Deux associations pour mieux porter la voix
Mis en place pour permettre aux jeunes concernés de pouvoir se mettre en association pour porter le plaidoyer auprès des décideurs, le volet communautaire a permis la création de deux associations. Il s’agit de l’association des Jeunes pour la lutte contre le VIH (JLV) et l’association des Jeunes orphelins infectés et affectés par le VIH (JOIA).
« Dans l’environnement des associations, nous avons constaté qu’il n’y a pas d’association de jeunes infectés dans la lutte contre le VIH. Or, nous avons besoin d’eux pour prendre la parole devant des décideurs pour décliner leurs besoins », remarque le moniteur. Après trois ans d’exécution, l’ensemble des parties sont unanimes quant aux résultats. Dr Arthur Sawadogo relève qu’au plan clinique, les preuves sont palpables car à 12 mois de suivi, 94% des jeunes ont éliminé leur charge virale. Au plan communautaire, il affirme que les deux associations vont contribuer à l’animation de la vie collective et à l’organisation de cadres permettant aux différents membres de pouvoir s’exprimer, de renforcer leur estime de soi et de se redonner confiance.
« Déjà, celle qui a pris la parole lors de la commémoration de la journée du SIDA 2023 est un pur produit d’une de nos associations », relève-t-il (voir encadré, ndlr). Pour le Pr Yonaba du CHU-YO, ce projet fut un soulagement au regard des difficultés qu’ils éprouvaient quant à la prise en charge des adolescents.
« Nous n’avons pas reçu de formation pour la prise en charge des adultes. Aussi, tout ce qui concerne la santé reproductive, les pathologies des adultes et beaucoup d’autres aspects, nous n’arrivons pas à gérer. Malheureusement, il n’y a pas non plus de documents formels qui nous expliquent comment on doit préparer nos jeunes pour la transition», déplore Pr Caroline Yonaba. Abou Yéré, l’un des bénéfi-ciaires, se réjouit du fait que le projet ait pris en compte plusieurs aspects de leur vie. « Avant, je partais juste à l’hôpital pour mes médicaments. Mais aujourd’hui, je peux échanger avec vous. Je sais désormais comment vivre en société, en famille …
Mobiliser plus de fonds
Et le plus important, j’ai compris que même avec la maladie, je peux fonder une famille », déballe le jeune Yéré. Il salue également l’accent mis sur l’auto-emploi en vue de leur permettre de créer leurs entreprises.
D’un coût de plus de 111 millions F CFA (environ 172 000 euros), cette phase pilote a été exécutée dans cinq centres de santé, à savoir les pédiatries Charles de Gaulle, de Tengandogo, de Bogodogo, de Pissy et de Kossodo. Malgré les difficultés organisationnelles, la circonscription du projet dans la région du Centre, la limitation des ressources, le déplacement des parents d’enfants infectés et l’affectation des médecins soignants, notamment, le coordonnateur du projet, Adama Ouédraogo, pense qu’au regard des résultats qu’il trouve satisfaisants, la vulgarisation du projet sur toute l’étendue du territoire va permettre de réduire encore plus la séroprévalence qui est actuellement de 0,6% au Burkina Faso.
« D’ores et déjà, quelques bases sont jetées car la situation est urgente et plusieurs enfants sont toujours en attente d’accompagnement. Avec les bailleurs, nous essayons de mobiliser des fonds pour les accompagner. Nous serons à N’Djamena les jours à venir avec le réseau d’enfants VIH en Afrique, pour faire le point sur la transition avec les bailleurs et voir dans quelle mesure on peut poursuivre le plaidoyer pour davantage mobiliser les ressources », confie M. Ouédraogo. Et pour ceux qui n’auront pas la prise en charge complète à l’issue de la phase pilote, le coordonnateur préconise qu’au moins deux pairs éducateurs formés soient installés dans les différentes régions par l’Etat pour les accompagner.