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Elie Kaboré, spécialiste des questions minières : « La fausse facturation commerciale fait perdre 288 milliards de dollars chaque année à l’Afrique »

Publié le jeudi 4 avril 2024  |  Sidwaya
Elie
© Autre presse par DR
Elie Kaboré, journaliste spécialisé dans le traitement de l’information sur le secteur minier.
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Elie Kaboré est journaliste et directeur de publication du journal minesactu.info, spécialisé dans le traitement de l’information sur le secteur minier. Dans cette interview accordée à Sidwaya, en marge de la IVe édition d’AFROMEDI, tenue à Abidjan du 19 au 21 mars 2024, M. Kaboré aborde l’ampleur des flux financiers illicites, leur impact sur le développement de l’Afrique et le rôle des journalistes dans la lutte contre ce phénomène.

S : Quelle est la situation des flux financiers illicites en Afrique en général et au Burkina, en particulier ?

Elie Kaboré (E.K) : Les Flux financiers illicites (FFI) sont des ressources d’argent dont les origines sont illicites et qui sont déplacées hors des frontières.
On retrouve deux composantes dont l’origine illicite qui peut provenir de la fraude fiscale, la fraude à la production, la contrebande, la contrefaçon, le vol, la corruption, l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, la rétro-commission, etc. et l’aspect transfert hors des frontières. Les FFI sont l’œuvre des multinationales qui transfèrent et dissimulent le plus souvent ces sommes dans des paradis fiscaux, c’est-à-dire des pays où la fiscalité et la divulgation des proprétaires de ces ressources ne sont pas contraignantes.

Il est difficile de quantifier de manière exacte la situation des FFI. Toutefois, des publications d’institutions donnent des orientations qui permettent de modéliser l’ampleur. La plus célèbre des publications est le rapport du Groupe de haut niveau sur les FFI en provenance d’Afrique publié en 2015 qui a estimé que l’Afrique a perdu plus de 1 000 milliards de dollars du fait des FFI au cours des 50 dernières années. Un chiffre qui équivaut à l’aide publique au développement reçue par l’Afrique pendant la même période. Sur ce montant, 65% provient des activités commerciales des entreprises, 30% des activités criminelles et 5% de la corruption.

C’est après la publication de ce rapport que l’Afrique a pris conscience du phénomène et des campagnes de lutte ont commencé.
Le rapport de de mars 2020 indique que la fausse facturation commerciale entre les Etats fait perdre 288,267 milliards de dollars chaque année à l’Afrique. La fausse facturation est la surévaluation ou la sous-évaluation des valeurs des marchandises à
l’importation et à l’exportation.

A travers cette technique, les entreprises transfèrent illégalement de l’argent à travers les frontières et cachent les gros bénéfices. Pour détecter cette fausse facturation, GFI compare les factures entre les pays et révèle des écarts.
Pour le cas du Burkina, l’audit en cours de la Cour des comptes pourra donner un aperçu pour ce qui concerne l’ampleur des FFI dans le secteur extractif. Pour vous donner quelques indications de FFI dans ce secteur, des avantages fiscaux sont accordés aux entreprises sous prétexte de les attirer.

Entre 2016 et 2017, les avantages fiscaux accordés au secteur minier s’élèvent à 95,084 milliards FCFA, soit 37,18% de l’ensemble des avantages accordés. Ces données proviennent des rapports d’évaluation des dépenses fiscales publiés par le gouvernement. Ce sont des manques à gagner qui profitent aux entreprises et aucune évaluation sérieuse n’est réalisée pour comprendre si les objectifs recherchés à travers ces avantages sont atteints.

J’ai publié une enquête en 2019 où j’ai évalué à 551,163 milliards FCFA, le manque à gagner du Burkina sur les taxes et les redevances minières en 10 ans. Sur ces 2 derniers exemples, vous vous rendez compte que ce sont nos propres textes qui favorisent cette évasion fiscale. Ces sommes d’argent qui échappent aux caisses de l’Etat sont transférées par les entreprises extractives vers d’autres pays.

S : Les avantages fiscaux étant légaux, peut-on les évoquer quand on parle de FFI ?

E.K : Une exonération fiscale est une subvention que l’Etat accorde à une entreprise en refusant de prélever normalement l’impôt. Ce que l’Etat n’a pas perçu devait servir à financer un aspect du développement par exemple, prendre l’équivalent en actions dans le capital pour récolter des dividendes plus tard, exiger un plan d’investissement en infrastructures, en somme créer de la valeur ajoutée avec cette subvention. Mais on remarque qu’en Afrique, on se contente de donner ces exonérations.

Au Burkina par exemple, le Code minier de 2003 fixe l’impôt sur les sociétés à 17,5% alors que le droit commun est à 27,5%. Les entreprises qui ont eu les permis sur la base du Code bénéficient de cette réduction de 10 points durant toute la vie du permis. C’est légal, mais l’Etat n’en profite pas et les entreprises comptabilisent comme un gain qu’elles peuvent transférer hors du pays au profit de ses actionnaires ou utiliser cet argent pour d’autres investissements.

Ces flux ne sont pas illégaux, mais sont considérés comme le fruit d’une évasion fiscale qui consiste à exploiter les insuffisances contenues dans les failles dans les textes nationaux et internationaux pour obtenir des avantages. Ils sont considérés comme des FFI parce que ce sont des opportunités de financement du développement que l’Afrique perd au profit de bénéficiaires établis hors de l’Afrique. De ce point de vue, une exonération fiscale est considérée comme des FFI. C’est la conception des choses.

S : Quel est l’impact de ces FFI sur le développement de l’Afrique ?

E.K : Les FFI font perdre à l’Afrique des ressources financières domestiques. Dans le classement 2022, de l’indice de développement humain, ce sont les pays africains riches en ressources extractives qui sont les plus pauvres dont la République démocratique du Congo, Guinée, Burkina, Centrafrique, Tchad. Ces pays ont un niveau d’endettement très élevé. Cela veut dire qu’au lieu de lutter contre les FFI et financer les déficits budgétaires et les investissements, ils préfèrent s’endetter.

Certains contractent les prêts dont le remboursement est réalisé soit directement en ressources naturelles en nature (pétrole, or, diamant, bauxite), soit par des revenus générés par lesdites ressources. Cela veut dire qu’au moment de l’extraction, la ressource n’appartient plus aux populations. Si ces prêts sont mal utilisés, il faudrait un autre prêt pour combler le vide.

Ces pays se retrouvent dans un cycle infernal d’endettement et de remboursement de la dette et sont souvent obligés de s’endetter pour faire face aux charges de fonctionnement comme le paiement des salaires. Le développement des pays passe en grande partie par la mobilisation des ressources internes auprès des plus riches pour créer une sorte de justice fiscale entre les citoyens. Une vraie lutte contre les FFI peut permettre aux pays de réaliser ces objectifs de développement.

S : Existe-t-il de mécanismes efficaces de lutte contre ces FFI sur le continent africain ?

E.K : Il existe plusieurs mécanismes efficaces de lutte contre ces FFI sur le continent africain. Des mécanismes au niveau national à travers les cadres légaux et réglementaires, des institutions et structures mises en place dans plusieurs secteurs dont les corps de contrôle, etc.
Au niveau sous régional, africain et mondial, des mécanismes existent et les pays font des efforts pour les intégrer dans leurs lois nationales ou intégrer ces initiatives. Les pays doivent être dans une posture d’adaptation de leur cadre juridique.

Les Codes miniers, pétroliers, des impôts, des douanes, etc. doivent être revus périodiquement pour adapter les contenus aux défis de l’époque. L’Afrique doit être moins généreuse dans ses contrats et conventions. Les régies de recettes doivent avoir les capacités humaines, techniques et matérielles pour faire face aux montages financiers complexes des multinationales. Les pays doivent exceller dans la coopération fiscale afin de pouvoir s’échanger rapidement les informations fiscales. Au niveau pays, il est important que des régies de recettes mettent plus l’accent sur les opérations de contrôle des entreprises et la poursuite des contentieux constatés.

Eviter les règlements qui font perdre des dizaines de milliards FCFA aux pays parce que l’entreprise est consciente qu’elle est en faute au moment de poser certains actes. Plusieurs dossiers dorment dans les tiroirs à la douane et aux impôts et il faudrait les conduire jusqu’au bout.
Le manque de sanctions ou la faiblesse des sanctions dans certains cas encourage les FFI. Pour lutter contre les FFI, l’Afrique doit aussi lutter contre les dysfonctionnements de l’Etat, qui font perdre des ressources aux Etats. J’estime qu’un meilleur suivi et un meilleur contrôle de l’activité économique est un bon début de lutte. Il faut de la volonté et se donner les moyens de réaliser.

En République démocratique du Congo par exemple, ITIE-RDC a évalué un contrat minier qui a révélé des pertes de ressources pour l’Etat. Le gouvernement a été obligé de renégocier le contrat qui a contribué à hausser des recettes de 4 milliards de dollars US (près de 2.500 milliards FCFA).

S : Quel doit être le rôle des journalistes dans la lutte contre les FFI ?

E.K : Le travail du journaliste consiste à collecter, traiter et diffuser des informations. Dans ce sens, les journalistes ont un rôle important dans la détection des doutes et des anomalies sur les FFI et dans la dénonciation.

S : Concrètement, comment les journalistes doivent-ils s’y prendre pour un meilleur
traitement de l’information liée aux FFI ?

E.K : Le journaliste peut utiliser les techniques adaptées comme l’investigation pour détecter et révéler ce qui est caché. L’investigation va au-delà du journalisme classique qui rend compte. Le data journalisme est le journalisme basé sur
l’utilisation des données et le fact checking basé sur la vérification des faits et de l’exactitude des chiffres et propos sont propices à ces sujets.

A travers ces outils, le journaliste peut aborder les FFI sous divers angles dont la provenance, l’ampleur, l’évolution, les motifs, causes ou facteurs favorisants, les acteurs impliqués, la destination, l’impact et les mesures réglementaires prises pour lutter contre. Mais, il se doit de respecter l’éthique et la déontologie du métier en vérifiant ses informations auprès de plusieurs sources crédibles.
Les journalistes doivent relever un certain nombre de défis dont le renforcement des capacités parce que le sujet est très technique. La spécialisation est un bon moyen pour se former.

Mahamadi SEBOGO
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