Le Centre-Ouest est la quatrième région qui enregistre un taux élevé de séroprévalence au VIH/SIDA avec 0,8% après le Centre, les Hauts-Bassins et le Sud-Ouest, selon les chiffres de 2023. La « maladie du siècle » continue de s’y développer, à l’abri du matraquage médiatique. La proximité de son chef-lieu, Koudougou, avec la capitale Ouagadougou et les nombreux événements culturels et autres ateliers et séminaires qu’il accueille, les pratiques culturelles (lévirat …), l’orpaillage, la précarité et bien d’autres sont des conditions propices au développement du SIDA.
Mercredi 10 octobre 2023, il est 9h. Nous sommes à Réo au siège de l’Association pour la promotion de la jeunesse du Sanguié (APROJES). En face de nous, deux femmes porteuses du virus. Rien ne laisse deviner en elles, le mal dont elles souffrent.
« Cela fait 30 ans que je vis avec le SIDA », révèle l’une d’elles. Au début, dit-elle, c’était difficile, car, il n’y avait pas de traitement, notamment les Antirétroviraux (ARV). Aussi, elle a dû faire face à la stigmatisation de sa communauté. Aujourd’hui, la cinquantenaire est sous traitement ARV. Elle s’est remariée à un séropositif et consacre sa vie aux actions communautaires. La seconde, également séropositive, assiste la première dans les activités de sensibilisation sur le VIH/SIDA. Comme ces deux femmes, elles sont nombreuses les Personnes vivant avec le VIH/SIDA (PV/VIH) dans la région du Centre-Ouest.
En effet, selon les statistiques de la direction régionale du Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le SIDA et les maladies sexuellement transmissibles (SP/CNLS-IST) du Centre-Ouest, la région compte plus de 8 000 PV/VIH, soit un taux de prévalence de 0,8 % contre 0,6% sur le plan national en 2022. Ce chiffre a connu une légère baisse lors du dernier bilan du Plan régional multisectoriel (PRM) de lutte contre le VIH, le SIDA et les IST de 2023 t à Koudougou, le 21 février 2024. Il passe ainsi à 5 416 PV/VIH réparties entre les neuf files actives que compte la région.
Selon le chef d’antenne du SP/CNLS-IST du Centre-Ouest, Moussa Kaboré, ce chiffre peu reluisant classe la région au rang de 4e après le Centre, les Hauts-Bassins et le Sud-Ouest. Cela est d’autant plus inquiétant, soutient-il, que de nouveaux enrôlés sont régulièrement enregistrés au cours des activités de campagne de dépistage. Ce chiffre, poursuit-il, reste encore plus élevé au sein des populations clefs avec un taux de 7,1%. Il s’agit notamment des prisonniers, des travailleuses du sexe, des personnes déplacées internes, des personnes handicapées, des consommateurs de drogue, etc. «Quand on suit l’évolution du nombre de personnes enrôlées, on se dit qu’il y a un danger et il faut que quelque chose soit fait », insiste-t-il.
Koudougou, ville-carrefour
Ainsi, les nouvelles infections en milieu de soins s’établissent à 517 personnes et en milieu communautaire, à 120 personnes en 2023, selon les dernières statistiques du SP/CNLS-IST du Centre-Ouest établies.
En raison de sa proximité (environ 100 km) avec la capitale Ouagadougou, la ville de Koudougou est constamment ralliée par des fonctionnaires et autres ONG pour les différents ateliers et séminaires. « Pour trouver une chambre dans les auberges ici, il faut s’y prendre tôt », révèle un client d’une auberge au quartier Burkina qui a requis l’anonymat.
Le manque de logements est plus criant pendant le dernier trimestre de l’année, ajoute-t-il. Un autre client, Salam Ouédraogo, relate sa mésaventure pendant une de ses missions à Koudougou. «Nous sommes arrivés à Koudougou autour de 19h. Nous avons parcouru pratiquement toutes les auberges de la ville, sans trouver de chambre. C’est finalement autour de 21 h que nous avons eu un logement dans une villa de trois pièces, à 5 000 F CFA, la nuitée par chambre », révèle M. Ouédraogo.
Cette floraison de l’hôtellerie accompagnée par le développement de la prostitution inquiète Moussa Kaboré. « Koudougou est un carrefour avec un complexe hôtelier florissant. Donc, c’est un milieu de jeunes qui viennent travailler ici et qui veulent aussi prendre du plaisir », rappelle-t-il. Pour lui, il n’est pas rare de voir dans des hôtels des photos de filles qui proposent leurs services aux différents clients. Koudougou est également un carrefour à destination de plusieurs villes et pays frontaliers.
« De là, on peut rejoindre rapidement les frontières à moins de 150, 200 km, tout au plus », renseigne le chargé de suivi de l’Association active plus (ACTI +), Opio Bayili. Selon M. Bayili, cette proximité avec les différentes frontières fait que la ville accueille de nombreux transporteurs en transit. « Nos actions actuelles et futures sont orientées vers la cible, car, on enregistre beaucoup de contaminations au sein des transporteurs », ajoute M. Kaboré.
La région du Centre-Ouest abrite également de nombreuses manifestations culturelles. On dénombre plus d’une dizaine de festivals pour la seule ville de Koudougou. En effet, la situation géographique de la région a favorisé la naissance de grandes manifestations socio-culturelles à l’image des Nuits atypiques de Koudougou (NAK), du 21 de Réo (lorsque le jour du marché coïncide avec un dimanche), de la fête de l’igname à Léo. A cela, il faut ajouter la forte concentration des grandes écoles, l’université de Koudougou qui drainent du monde venu d’horizons divers avec des mœurs différentes.
« Tous ces évènements sont des moments de rencontres de jeunes et adultes pouvant engendrer des escapades sexuelles à risques », révèle le chef d’antenne du SP/CNLS-IST du Centre-Ouest, Moussa Kaboré. L’étudiante en 1re année de Mathématiques-physique-chimie-informatique (MPCI), Zénabo Ouédraogo, abonde dans le même sens. Pour elle, la plupart des étudiants inscrits à l’université à Koudougou sont venus d’ailleurs.
« Lorsqu’il n’y a personne pour dire ne fait pas ceci ou cela, certains se croient libres et veulent expérimenter tout ce qu’ils ne faisaient pas avant. Du coup, ils tombent dans le vagabondage sexuel et ne font plus attention à rien », déplore-t-elle.L’étudiant en fin de cycle en mathématiques, Yacouba Coulibaly, natif de Banfora, accuse les conditions de vie difficiles.
« A cause du manque de moyens financiers, certains trouvent qu’enlever 200 F CFA pour acheter un préservatif, c’est du gâchis. Donc, ils préfèrent passer directement à l’acte », déplore-t-il. Pour lui, l’absence de petits boulots pour les étudiantes surtout peut conduire certaines d’entre elles à la prostitution.
L’or et le sexe
Le chargé de suivi de ACTI +, Opio Bayili, ne dit pas le contraire, estimant que la « précarité économique » de la ville de Koudougou jette beaucoup de filles dans la prostitution. « Il faut reconnaître que c’est une ville économiquement morte. Il n’y avait qu’une seule unité industrielle, Faso Fani qui, malheureusement, est fermée », dénonce-t-il. Selon lui, la fermeture de cette unité de production industrielle à créer le désarroi auprès des parents d’élèves qui n’arrivaient plus à inscrire leurs enfants dans les écoles. D’où la naissance des ‘’cours du soir’’ pour accueillir les élèves déscolarisés. Pour lui, l’absence de perspectives économiques des parents à entrainer beaucoup de filles dans la prostitution.
« A partir de là, Koudougou est devenue une ville où tout se vend, s’achète et le sexe n’y échappe pas », ajoute-t-il. Pour lui, cette situation s’est davantage aggravée avec l’arrivée massive des personnes déplacées internes. Pour le chef d’antenne du SP/CNLS-IST, Moussa Kaboré, la pauvreté a aussi poussé beaucoup de jeunes dans l’orpaillage, avec le boom de l’or. « Or, la pratique de l’orpaillage est liée au sexe. Il y a une conception véhiculée dans le milieu qui veut que quand vous sortez du trou et que vous avez des rapports sexuels sans protection avec une fille, cela vous donne plus de chance d’avoir de l’or. Cela, en
faisant fi des maladies sexuellement transmissibles comme le SIDA », précise M. Kaboré.
Les plans « Bizi »
La conséquence de cette conception est que les sites d’orpaillage sont devenus des lieux de débauche et de propagation de la maladie, avec des filles de joie qui viennent de partout pour se faire de l’argent. « Les orpailleurs dépensent sans compter dans le sexe pour se donner le maximum de chance d’avoir l’or », confie-t-il. A cela, Moussa Kaboré ajoute la dépravation des mœurs. En effet, soutient-il, le relâchement des mœurs fait que le sexe est devenu accessible de telle sorte que les jeunes veulent s’essayer.
M. Bayili accuse l’éducation des enfants. Il regrette que le sexe soit devenu tellement banal à Koudougou du fait que les parents ont démissionné de leur rôle d’éducateur. « Aujourd’hui, les parents ont démissionné de l’éducation des enfants où tout simplement l’ont confiée à l’école. Ce qui n’est pas évident », s’insurge-t-il.
De l’avis de M. Kaboré, ce relâchement des mœurs s’est accéléré avec les pratiques de nouvelles relations sexuelles, encouragées par Internet. « La prostitution a pris également une nouvelle forme avec les Technologies de l’information et de la communication (TIC)», indique-t-il. Il cite les plans « Bizi » qui consistent pour les filles à proposer leurs services en ligne ou encore les partouzes, où des filles louent des chambres d’hôtels « pour proposer le sexe », le temps de rentabiliser leurs « investissements ».
Ces pratiques, fait-il savoir, « se moquent bien des moyens de protection, notamment les préservatifs ». Il faut aussi ajouter les pratiques sexuelles intergénérationnelles qui se développent de plus en plus dans la région. Il y a aussi la prolifération des maquis avec les serveuses, classées parmi « les travailleuses du sexe ». « Il y a des débits de boissons ici à Koudougou qui comptent plus de serveuses que de clients », ironise M. Bayili.
A ce « cocktail », Moussa Kaboré greffe la consommation des stupéfiants également répandue dans le milieu juvénile. «Aujourd’hui, l’alcool et la drogue sont répandus dans le milieu des jeunes. Et quand on utilise la drogue ou l’alcool à un certain niveau, on est obligé de pratiquer des rapports sexuels non contrôlés. Conséquences, soit ce sont des grossesses non désirées, soit ce sont les maladies », mentionne le chef d’antenne régionale du SP/CNLS-IST.
Lévirat-stigmatisation-religion
Les pesanteurs socio-culturelles sont toujours vivaces dans la région du Centre-Ouest, selon les acteurs qui font savoir que le premier réflexe de bon nombre de malades n’est pas d’aller vers un centre de santé pour se faire consulter. « Ces malades ont tendance à privilégier d’autres voies comme le recours aux féticheurs et aux charlatans. Beaucoup de nos parents qui revenaient malades de l’étranger pensaient qu’on leur a jeté un sort. Donc, ils privilégient d’autres solutions au détriment des centres de santé », déplore le coordonnateur de l’Association pour la promotion de la jeunesse du Sanguié (APROJES), Ousmane Bationo.
Pour lui, cela peut expliquer en partie la situation sérologique de la région. Il ajoute que le phénomène du lévirat est aussi un facteur dans la persistance du VIH/SIDA. « Nous avons une forte communauté en Côte d’Ivoire. Lorsque certains décèdent, leurs femmes de retour au pays se remariaient avec un membre de la famille sans faire d’ examens médicaux pour s’assurer de son état de santé », relève M. Bationo. Ce comportement, renchérit-il, est à l’origine à la propagation du VIH/SIDA au sein de la communauté.
Le chargé du programme transmission mère-enfant du VIH/SIDA à l’Association fraternité Wendbenedo (AFW), Louis Bago, pointe également du doigt la stigmatisation, le rejet et le bannissement par la société des personnes vivant avec le VIH. A son avis, cela fait que certains malades sous ARV se découragent et abandonnent les traitements.
« Cela constitue un danger pour lui, pour sa communauté et ne permet pas
également l’élimination rapide de la transmission mère-enfant », se désole M. Bago. Selon lui, le facteur religieux contribue également dans ce désistement. « La religion est beaucoup ancrée à Koudougou. Il y en a qui disent qu’avec la prière on peut guérir du VIH », poursuit-il.
« Le SIDA se nourrit de l’ignorance »
La médecine a beaucoup évolué dans le traitement du SIDA, rassure le major du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de la maison d’arrêt et de correction de Koudougou et responsable de l’Association de lutte contre le VIH (ADAPMI), Adama Congo. Il confie que le test du VIH/SIDA est aujourd’hui disponible partout et de même que les ARV. « Le VIH/SIDA se nourrit toujours de l’ignorance. Sinon on a atteint un niveau où personne ne devrait encore transmettre ou mourir de la maladie », insiste le chef d’antenne régionale du SP/CNLS-IST.
L’abandon du matraquage médiatique autour du VIH/SIDA contribue aussi à nourrir cette ignorance, croit savoir M. Bayili. Il y a aussi cette représentation sociale du préservatif au sujet duquel des personnes continuent de véhiculer des fausses informations, foi de M. Kaboré. « Ils disent que le virus du VIH/SIDA a été inoculé dans les préservatifs », regrette le chef d’antenne du SP/CNLS-IST du Centre-Ouest. A cela, il faut ajouter la faible connaissance de l’utilisation des préservatifs.
«Il y a également des gens qui n’ont pas cette compétence de vie courante. C’est-à-dire la capacité de dire oui ou non lorsque son partenaire ne veut pas utiliser les préservatifs », poursuit le SP/CNLS-IST. Pour lui, le manque d’informations justes peut constituer un frein à l’éradication de la pandémie, car, « avec l’évolution de la science dans le traitement du VIH/SIDA, une PV/VIH qui suit correctement son traitement développe au bout de six mois une charge virale indétectable. En d’autres termes, elle ne peut plus transmettre le virus à une autre personne ». Il appelle donc à la poursuite de la lutte, au risque de plomber les efforts déjà consentis et de voir le VIH/SIDA reprendre du terrain.
Désiré NIKIEMA
Des initiatives locales pour contrer la pandémie
Face à la situation sérologique de la région du Centre-ouest, des acteurs au niveau local se sont constitués en associations pour lutter contre le VIH/SIDA. Parmi elles, figurent l’association des personnes vivant avec le VIH/SIDA de Réo dénommée « Yija ». Pour aider à la sensibilisation, à la conscientisation, deux personnes ont mis en place l’association « Yija ». La première est coordonnatrice et la deuxième, animatrice. Les jeunes ne sont pas en reste dans la lutte contre le VIH/SIDA à Réo.
De l’avis du coordonnateur de l’APROJES, Ousmane Bationo, une jeunesse en bonne santé est un gage pour un bon développement humain durable. Pour atteindre sa cible, l’association exploite les avantages des nouvelles technologies. L’association ACTI + a été aussi créée en 2022 pour faire face aux difficultés d’approvisionnement en médicaments à Koudougou et celles liées à la prise en charge des maladies opportunistes dans les années 2000. Selon son chargé de suivi, Opio Bayili, les premiers fondateurs de l’association sont des personnes vivant avec le VIH/SIDA. L’AVO de la région du Centre-Ouest mise sur les Activités génératrices de revenus (AGR) pour accompagner les veuves dans leur autonomisation. La présidente de l’AVO est Ester Yaméogo.
L’AFW de Koudougou a été créée en 2006 par une infirmière. Elle mène des actions de sensibilisation pour un changement de mentalité vis-à-vis du VIH/SIDA. Le coordonnateur de AFW est Stéphane Kaboré. L’association « Songnam » du chef coutumier de Isouka de Koudougou a décidé d’agir depuis la base pour un changement de comportement. Elle a orienté ses actions en direction des chefs coutumiers et traditionnels et compte en son sein plus de 400 chefs traditionnels. Pour la plupart de ces associations, c’est surtout le désir d’être utiles à leur communauté qui les anime.
Selon le chef d’antenne régionale du SP/CNLS-IST du Centre-Ouest, Moussa Kaboré, l’on dénombre plus d’une centaine d’associations actives dans le domaine de la lutte contre le VIH/SIDA dans la région. A l’entendre, cet engagement communautaire a permis d’infléchir la courbe au niveau de la région. Cependant, le manque de financement des différentes structures peut plomber les efforts et provoquer un regain de la pandémie, regrette-t-il. Le principal bailleur de fonds reste l’Etat à travers le SP/CNLS-IST, confie-t-il. Mais, les subventions se réduisent car les priorités de l’Etat ces dernières années sont plus orientées vers la crise sécuritaire et humanitaire, regrettent les associations de lutte contre le VIH/SIDA.