L’insuffisance rénale, l’altération des fonctions du rein, fait trembler plus d’un dans la région du Centre-Est. Rien qu’en 2023, près de 1000 cas dont 59 décès ont été enregistrés dans le seul centre hospitalier régional de Tenkodogo. A ce jour, personne, même pas la direction régionale en charge de la santé, ne sait les causes de cette flambée qui suscite moult interrogations. Reportage !
Tout commence en 2001, lorsque Sarah (nom d’emprunt) fait le diabète. A cette époque, la sexagénaire est suivie par des médecins généralistes au Centre hospitalier régional de Tenkodogo. A chaque fois qu’elle se rend à l’hôpital pour le contrôle, son médecin soignant prend sa tension et lui prescrit des médicaments contre le diabète. En 2021, elle constate l’apparition d’œdèmes aux pieds. Après être hospitali-sée pour cause du palu-disme, le mal rénal est dia-gnostiqué chez elle à l’issue d’un bilan de santé. A l’ins-tar de Sarah, de nombreuses personnes souffrent de cette pathologie. C’est le cas de S.K., ressortissante de Dialgaye dans le Kourittenga qui traine l’insuffisance rénale depuis 2018. « Je suis sous dialyse deux fois par semaine, notamment les jeudi et dimanche », confie-t-elle. Agée de 25 ans, S.K. explique avoir eu des œdèmes aux pieds depuis 2016. « Au début, je réalisais que la vie n’avait plus de sens. Mais aujourd’hui, j’ai réussi à tout surmonter », laisse-t-elle entendre. Cette jeune célibataire ignore exactement l’origine de son mal. Toutefois, elle croit savoir que son échec au Baccalauréat y est pour quelque chose.
« Ma maladie est peut-être due au stress après mon échec au Baccalauréat en 2016, suivi de l’hypertension dont je souffrais », estime-elle. Affaiblie, la dialysée résiste difficilement au moindre problème de santé. « Comme je n’ai plus les deux reins qui fonctionnent normalement, même le paludisme est une épreuve pour moi, si bien qu’il faut à chaque fois aller voir un néphrologue », se désole-t-elle. Si pour le commun des mortels, les patients qui se rendent au service de néphrologie souffrent forcément d’insuffisance rénale, force est de constater que ce n’est pas toujours le cas chez tous les malades. C’est l’exemple de Safi (nom d’emprunt) qui était à son rendez-vous de contrôle, ce 20 décembre 2023 au Centre hospitalier régional (CHR) de Tenkodogo. Agée de 12 ans, elle débute sa maladie en 2020 avec un gonflement au visage, au ventre et aux pieds. Ce sont des symptômes néphrologiques, selon le jargon des spécialistes de la maladie rénale. Pour le moment, Safi est dans l’antichambre de l’insuffisance rénale. Si elle n’est pas bien prise en charge, cette mala-die peut survenir d’un jour à l’autre, précise la néphrologue, Dr Arlette Palm. « Ma fille a bénéficié d’un traitement ayant montré son efficacité. Après, elle a fait plusieurs rechutes. Depuis trois mois que l’enfant prend ses médicaments, l’on constate que son corps ne s’enfle plus », nous confie sa mère.
L’eau des forages pointée du doigt
Certains pointent du doigt la qualité des eaux de forages d’être à l’origine du taux élevé de l’insuffisance rénale dans le Centre-Est. En effet, on dénombre plus de 7 300 forages privés et 72 unités de production d’eau préemballée dans la région, d’après les statistiques de la direction régionale de l’Eau et de l’Assainissement.
Mais de l’avis de son premier responsable, Albert Koumsongo, les causes des maladies rénales dans sa circons- cription administrative qui seraient liées à la qualité de l’eau ne sont pas avérées. Du reste, il précise que dans la région, l’eau « potable » fournie à la population est assurée par l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) dans les grands centres, notamment Tenkodogo, Pouytenga, Koupèla, Zabré, Garango, Ouargaye et Bittou. « La qualité de l’eau dans ces localités est suivie rigoureusement par l’ONEA à travers des analyses dans des laboratoires », relève-t-il. Au niveau rural, à écouter M. Koumsongo, les populations de la région s’approvisionnent aux fora-ges équipés de pompes manuelles, des Adductions d’eau potable simplifiées (AEPS) et des Postes d’eau autonomes (PEA) qui sont suivis par sa structure. « La qualité de l’eau suivant les normes de l’Organisation mondiale de la santé pour l’eau potable est vérifiée par des analyses de laboratoires agréés », détaille-t-il. Néanmoins, Albert Koumsongo reconnait qu’il y a, ces derniers temps, des réalisations anarchiques de PEA à domicile par des particuliers sans suivre les cahiers des charges. A ce niveau, laisse-t-il entendre, la police de l’eau de la région sensibilise inlassablement les promoteurs à se conformer à la réglementation. « Toute analyse d’eau non conforme constatée est sanctionnée par la fermeture du PEA par la police de l’eau », prévient le directeur régional. Par ailleurs, la police de l’eau contrôle régulièrement les unités d’eau préemballée en vue de s’assurer du respect de la règlementation, indique M. Koumsongo.
L’heure des hypothèses
Pour autant, la piste de l’eau n’est pas à écarter. Selon Dr Saidou Mady Bagaya, de la direction régionale de la Santé du Centre-Est, l’important nombre de malades rénaux dans la région qui serait dû à l’eau de boisson consommée par les populations est une hypothèse. Car, dit-il, la ville de Tenkodogo a un « sérieux problème » en matière d’adduction d’eau potable, l’ONEA n’arrivant pas à satisfaire la demande. Ce déficit a amené des populations à faire des forages à titre privé dans les concessions ou dans certains lieux plus ou moins publics. « Nous ne sommes pas sûr que cette eau qu’elles consomment a bénéficié de toute la rigueur en terme de qualification technique pour s’assurer de sa potabilité », soupçonne-t-il. Il promet que des actions « imminentes » seront menées pour clarifier cette question du taux élevé d’insuffisance rénale dans la région. Et ce d’autant plus qu’il confie que près de 1000 cas d’insuffisances rénales dont 59 décès, tout âge confondu, ont été répertoriés uniquement par le CHR de Tenkodogo. Parmi ces chiffres, la frange jeune est la plus concernée par cette maladie avec environ 600 cas répertoriés pour 47 décès, ajoute Dr Bagaya. « La logique voudrait que nous menions des investigations préliminaires pour comprendre l’origine des cas élevés dans la région », estime Dr Bayaya. Même le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique, Robert Lucien Kargougou, à qui nous avons posé la question le 29 janvier dernier pour savoir les raisons de ce taux élevé de cas dans la région, n’a pas souhaité répondre. « C’est une question technique. Adressez-vous aux techniciens », nous a-t-il dit, malgré notre insistance sur la responsabilité du politique de diligenter des investigations pour en déterminer les causes. En attendant, place aux explications des spécialistes.
Une seconde chance pour la vie
Selon Dr Arlette Palm, néphrologue au CHR de Tenkodogo, plusieurs facteurs sont à l’origine de l’insuffisance rénale. De son avis, l’hypertension artérielle et le diabète occupent la grande place qui conduit à une maladie rénale chronique. D’après elle, il y a aussi d’autres facteurs viraux, notamment l’hépatite B et le VIH qui peuvent entrainer un problème rénal. La néphrologue a également cité, entre autres, la phytothérapie, les décoctions, l’automédication et même le paludisme grave mal traité. « Toute pathologie qui n’est pas traitée de façon adéquate peut aboutir à une perte de la fonction rénale », prévient-elle. Selon notre interlocutrice, lorsqu’une personne souffre de cette pathologie, les reins ne jouent plus leur rôle de régulateurs et par conséquent, n’éliminent plus les toxines. « Celles-ci se stockent dans le sang », indique- t-elle. La néphrologue précise qu’il y a deux types d’insuffisances rénales : celle dite chronique où les reins ne récupèrent plus et évoluant depuis plus de trois mois et l’insuffisance rénale aiguë qui apparait brutalement et qui, avec un traitement adéquat, peut permettre aux reins de retrouver leurs fonctions normales. Dr Palm souligne également que l’hémodialyse, qui sert à assurer les fonctions que les reins ont perdues, est le moyen de traitement actuel pour soigner l’insuffisance rénale.
« Le malade est connecté à une machine qui sert à débarrasser son corps de tous les déchets, de l’excès d’eau et à réguler tout le sang comme ce que faisaient les reins », mentionne-t-elle. La spécialiste précise par ailleurs qu’il y a plusieurs autres types de procédés médicaux pour soigner les maladies rénales. « La dia-lyse permet aux insuffisants rénaux de vivre et d’avoir une qualité de vie. Vous pouvez toujours vaquer à vos occupations. C’est une seconde chance que la vie vous accorde », se convainc-t-elle. A en croire Arlette Palm, son service reçoit tous types de malades en dialyse : des hommes, des femmes et des enfants. « 500 000 F CFA pour la dialyse » Malheureusement, fait-elle savoir, sa structure ne disposant pas pour l’instant d’appareils adaptés, elle ne peut pas faire de dialyse pour les enfants. Il n’y a pas de traitement pour guérir de l’insuffisance rénale chronique, lâche Dr Palm. Et d’ajouter que la thérapie que le service de néphrologie administre consiste à ralentir la progression de la mala-die.
« Si le patient fait la tension ou le diabète, on lui prescrit des médicaments pour ralentir au maximum l’entrée de la personne en dialyse », explique le médecin qui soutient que la majorité des malades viennent au stade où il faut dia-lyser. Si l’Etat consent des efforts dans la prise en charge des dialysés à travers une subvention, 500 000 F CFA comme forfait revient aux malades pour dialyser toute la vie. Une somme énorme pour le citoyen moyen. C’est le cas de Sarah qui a vu son sommeil perturbé depuis que son médecin traitant lui a annoncé qu’elle doit entrer bientôt en dialyse. « Qui va me donner l’argent pour que je fasse la dialyse ? Qui va me prêter ? Je n’ai pas de bœufs que je peux vendre pour me soigner. J’avais deux chèvres, mais elles sont toutes mortes », marmonne-t-elle avec un air pitoyable. Cette veuve qui se débrouille avec la pension de 55 000 F CFA de son défunt mari et ayant perdu tout espoir de vivre, estime qu’elle est déjà à la porte de la mort. Contrairement à Sarah, S.K. a bénéficié du soutien financier de ses parents pour être sous dialyse. Pour S. K., à chaque rendez-vous, il y a l’achat des médicaments contre la tension, pour les calciums afin de solidifier les os, le fer pour augmenter la quantité du sang. Ce qui n’est pas facile, selon elle, à supporter.
La première unité d’hémodialyse du Centre-Est
Etant donné qu’il n’existe pas de traitement pour guérir de l’insuffisance rénale, la néphrologue, Arlette Palm, invite les personnes bien portantes à la prévention de la maladie en prenant leur santé en main. « Si vous souffrez d’hypertension artérielle, allez dans les centres de santé, prenez les médicaments, équilibrez votre tension. Si vous faites le diabète, traitez votre pathologie, si vous prenez les décoctions, il faudra arrêter », conseille-t-elle. Aux malades, la spécialiste en néphrologie pense qu’ils ont besoin de soutien psychologique. Car, poursuit-elle, ce n’est pas facile d’être branché à un appareil pendant 4 heures deux fois par semaine. Aujourd’hui, la détresse des malades de la région est entendue par les premiers responsables de la santé. Le 29 janvier 2024, la première unité d’hémo dialyse du Centre-Est, d’une capacité d’accueil de 60 patients pour deux séances de dialyse par malade et par semaine, est inaugurée au CHR de Tenkodogo. Un centre qui va certainement soulager, un tant soit peu, les patients et mettre fin à leurs multiples déplacements vers Ouagadougou.