Les personnes centenaires se comptent sur le bout des doigts de nos jours. Tempoko Awa Ouédraogo en est une. Agée d’environ 118 ans (née vers 1906), cette dame du troisième âge arrive toujours à dévisager et entendre ses visiteurs, malgré le poids de l’âge. Quel est son quotidien ? Quelle est la situation de la prise en charge des personnes âgées dans la région ? Nous avons rendu visite à cette mère, grand-mère et arrière-grand-mère qui a su traverser le temps, au quartier Ouezzinville de Bobo-Dioulasso.
Il est déjà 10 heures passées ce matin du mardi 20 février 2024 dans cette cour située au quartier Ouezzinville de Bobo-Dioulasso. La vieille Tempoko Awa Ouédraogo s’est réveillée, assise sur une natte étalée à même la terrasse, dans le vestibule de sa maison. La porte ouverte laisse passer la lumière du jour. A côté d’elle, sa benjamine, Salimata Bayoulou, 55 ans révolus, est à ses soins. Après les salutations d’usage, nous prenons place. C’est parti pour une causerie qui va durer une quarantaine de minutes.
Mais elle exige d’abord que nous partagions le repas fumant que sa belle-fille vient de lui servir. Tempoko Awa Ouédraogo n’arrive plus à se tenir debout ni à marcher, le poids de l’âge faisant. Elle a vu passer des décennies. Née vers 1906, elle est âgée d’au moins 118 ans. Elle a vu l’évolution du Burkina Faso actuel de la période coloniale à celle post-indépendances. Cette veuve d’ancien combattant de l’armée française s’est installée avec son mari à Bobo-Dioulasso depuis belle lurette.
Sa vieille mémoire lui joue parfois des tours. Elle n’a plus de date à nous donner, mais elle est sûre d’une chose, Bobo-Dioulasso était très loin de son visage actuel. « Je suis arrivée ici il y a très longtemps. Tous mes enfants sont nés à Bobo-Dioulasso », se souvient la centenaire, d’une voix tremblante, mais bien audible. Dans cette causerie matinale, souvent entrecoupée par des anecdotes et des bénédictions, nous apprenons qu’elle est originaire d’une famille royale de Kaya dans la province du Sanmatenga.
Elle n’est pas maladive
Cette mère, grand-mère et arrière-grand-mère invite les jeunes générations à la solidarité et à l’amour du prochain. Le monde d’aujourd’hui, dit-elle, n’est plus comme l’ancienne époque qu’elle a traversée. « Aujourd’hui est différent de notre temps. Nous voyons aujourd’hui ce que nous n’avons pas vu quand nous naissions. L’enfant ne respecte plus le grand », regrette la vieille Tempoko Ouédraogo.
Des enfants, elle en a eu six dont trois regrettés et trois autres toujours vivants (un homme et deux femmes). Et de nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants. Noufou Tapsoba, spécialisé dans la casse auto, est l’un des fils de la vieille femme. Agé de 62 ans, il est le 4e de la fratrie. « Elle a toujours été une bonne mère pour nous. Nous n’avons pas de défaut à lui reprocher », se félicite celui qui dit être beaucoup plus attaché à sa mère qu’à son père. A en croire Noufou Tapsoba, c’est en 2014 que sa génitrice a été révélée par son statut de vieille personne.
« C’était lors de démarches que nous faisions pour sa pension alimentaire de veuve d’ancien combattant », explique-t-il. Une démarche qui a été infructueuse puisque la pension ne sera pas rétablie jusqu’à ce jour. Elle a été répertoriée par l’Association des personnes âgées en 2016 et depuis lors, on lui rend régulièrement visite. Au-delà d’un mal d’épaule qu’elle trimballe ces derniers temps, la vieille Tempoko n’est pas maladive, confie son fils. « Si tu la vois malade, c’est peut-être le rhume ou le paludisme », affirme Noufou Tapsoba. Salimata Bayoulou vit en couple à Boromo, mais est fréquente à Bobo-Dioulasso pour entretenir sa génitrice.
« Je viens très fréquemment prendre soin d’elle. Je peux venir faire 2 ou 3 mois avant de repartir », confie-t-elle. Prendre soin de sa maman est un devoir pour cette quinquagénaire, mère de cinq enfants et grand-mère de huit petits-enfants. « Que celui qui a toujours ses parents vivants s’en occupe, car c’est une chance de les avoir toujours », lance-t-elle. Parlant de la vieille Tempoko, Salimata Bayoulou confie qu’elle est une mère rigoureuse dans l’éducation. Les personnes âgées sont regroupées au sein du Conseil régional des personnes âgées.
Dramane Koné, fonctionnaire à la retraite, est le président de cette faîtière des personnes du 3e âge des Hauts-Bassins. « La mission du conseil est d’arriver à regrouper les personnes âgées », affirme-t-il. Le Conseil régional, dit-il, a été mis en place depuis 2019. Dans l’année, elle mène entre autres activités, des réunions trimestrielles, des ateliers de formation et surtout l’organisation de la Journée internationale des personnes âgées (JIPA). Aussi le bureau, foi du président du Conseil régional, effectue des visites de courtoisie chez les personnes âgées afin de les encourager à participer aux activités du conseil, et sortir de la solitude.
197 personnes âgées de plus de 100 ans à Bobo-Dioulasso
Justement, Tempoko Ouédraogo a été répertoriée au cours d’un recensement des personnes âgées de plus de 90 ans dans la ville de Bobo-Dioulasso, dans le cadre des activités de la JIPA. En 2023, un autre recensement dans la ville, à en croire Dramane Koné, fait état d’environ 4 000 personnes âgées de 80 à 90 ans, et 197 âgées de plus de 100 ans. Pour un bon fonctionnement, le Conseil a mis en place un certain nombre d’organes. « Dans les sept arrondissements et les secteurs de Bobo-Dioulasso, nous avons nos représentants », explique M. Koné.
Les cartes de membres permettent de répertorier les personnes âgées. « La carte de membre s’obtient moyennant des frais d’adhésion de 500 F CFA et une cotisation mensuelle qui varie entre 500 et 4 000 F CFA », confie-t-il. Le fonctionnement du Conseil n’est pas sans difficulté. Sur-le-champ, Dramane Koné en égrène un chapelet. La loi 024-2016/AN portant protection et promotion des droits des personnes âgées, adoptée par l’Assemblée nationale en 2016, dit-il, souffre dans sa mise en œuvre. Même si en 2023 lors de la rencontre des personnes âgées avec le président du Faso, il avait donné des instructions aux ministres concernés par le dossier, ces personnes âgées sont toujours dans l’attente.
« Nous fonctionnons grâce aux bonnes œuvres de certaines structures comme le Conseil régional et les communes», lance M. Koné. De son avis, la logique voudrait qu’il soit réservé une part aux structures des personnes âgées au niveau des budgets des collectivités locales. « Nos cotisations ne sont pas aussi importantes pour nous permettre de mener nos activités », déplore-t-il. Il évoque aussi le fait que Bobo-Dioulasso soit toujours en attente de sa gériatrie dont la première pierre a été posée l’année dernière. Du reste, l’octogénaire se félicite des initiatives de certaines structures et institutions.
Parlant de santé, il indique que la direction régionale en charge de la santé, en collaboration avec le Centre hospitalo-universitaire Souro Sanou (CHUSS), offre pendant une semaine des visites gratuites aux personnes âgées dans toute la région. Et cela à l’occasion de chaque édition de la JIPA. Parlant de prise en charge des personnes âgées, le Centre d’accueil, d’écoute et de soins pour personnes âgées, situé au secteur 18 de Bobo-Dioulasso, est une structure « importante » dans la région des Hauts-Bassins. Le Centre existe depuis 2001, mais s’est renforcé en 2009 et comporte aujourd’hui un dispensaire, une unité d’analyse biomédicale, une salle de réunion, une unité de kinésithérapie, une unité d’ophtalmologie, une unité d’odontologie et un dépôt pharmaceutique.
La solitude, une maladie
Toutes les prestations sont faites par bénévolat ou presque, selon la coordonnatrice, Yéli Lucie Bationo, infirmière de formation. « Nous n’avons pas de subvention de l’Etat, mais nous faisons du bénévolat », informe-t-elle. L’objectif du Centre, laisse entendre Mme Bationo, est d’avoir une écoute attentive, un accueil chaleureux et des soins de qualité pour les personnes âgées. Pour elle, les personnes âgées ont des pathologies spécifiques à elles et leur prise en charge doit être aussi spécifique.
Yéli Lucie Bationo conseille aux personnes âgées de toujours s’orienter vers une structure médicale et d’éviter au maximum l’automédication, dès qu’elles ont un petit souci de santé. Mme Bationo interpelle par ailleurs ses collègues agents de santé à mettre l’accent sur l’écoute lorsqu’une personne âgée se présente à eux. Quelquefois, ces personnes souffrent plus du délaissement que de la maladie, fait remarquer la coordonnatrice du Centre. « Il faut que les proches s’organisent pour que la personne âgée ne sente pas un vide autour d’elle. La solitude est une maladie », avoue-t-elle.
Lucie Bationo déplore le fait qu’il n’y ait pas à ce jour de gériatrie au Burkina Faso, mais nourrit néanmoins l’espoir avec la construction d’un hôpital gériatrique à Ouagadougou et la pose de la première pierre pour une autre à Bobo-Dioulasso. Le plaidoyer ultime de cette actrice de la promotion des personnes âgées est l’instauration de gratuité des soins au profit de cette tranche d’âge, dit-elle, tout comme l’a réussi l’Etat avec les enfants de 0 à 5 ans. « Nous rencontrons beaucoup de cas sociaux qui n’arrivent pas à honorer leurs ordonnances », regrette dame Bationo.