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Entrepreneuriat agricole: le « success-story » des jeunes diplômés

Publié le jeudi 22 fevrier 2024  |  Sidwaya
Rasmané
© Autre presse par DR
Rasmané Sawadogo, entrepreneur agricole
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Jadis considérées comme dernier recours pour ceux ayant tout essayé en vain dans la vie, les activités agricoles commencent à intéresser de plus en plus de jeunes diplômés. Ils n’hésitent plus, en effet, à se lancer dans l’agrobusiness, malgré leur niveau d’études supérieures. A Bagré, dans la région du Centre-Est, à une cinquantaine de kilomètres de Tenkodogo, des jeunes diplômés s’investissent avec succès dans la « terre ». Nous les avons rencontrés en début d’année 2024.

L’air soufflant sur la plaine rizicole de Bagré, ce jeudi 11 janvier 2024, est lourd et accompagné d’un vent frais. L’harmattan s’installe peu à peu dans cette commune rurale située à une cinquantaine de kilomètres (km) de Tenkodogo dans la région du Centre-Est. A 8h 30 mn, au moment où certains habitants sont encore à domicile, Rasmané Sawadogo, 34 ans, marié et père de trois enfants est déjà dans son périmètre irrigué dans la plaine rizicole.

Depuis dix ans, il vit de la terre. Elève en classe de terminale A4 en 2012, il avait la possibilité de continuer les études, obtenir le Bac, aller à l’université puis se trouver du travail dans un « bureau climatisé », loin des champs. Fils d’agriculteur à revenu modeste, Rasmané dit avoir compris qu’il ferait mieux de s’appliquer dans l’agriculture qui est en réalité sa vocation. En effet, pendant qu’il était encore sur les bancs, Rasmané Sawadogo avait jeté son dévolu sur les concours directs de la Fonction publique pour le recrutement d’agents de l’agriculture, de l’élevage ou de l’environnement au détriment de ceux de la santé et de l’éducation.

Comme la chance tardait à lui sourire, il s’est résolu à s’inscrire à l’Institut de formation en développement rural/Bagrépôle (IFODER) pour une formation de deux ans. A sa sortie de formation, le 2 octobre 2013, Rasmané Sawadogo va devoir encore patienter deux ans, le temps de constituer des économies de son emploi de pompiste dans une station-service. Finalement en 2015, il va lancer son projet rizicole avec juste un hectare. En cette matinée du 11 janvier 2024, deux ouvrières qui l’aident dans ses travaux champêtres sont à la tâche. Les deux dames, des déplacées internes du fait de la crise sécuritaire, transportent de la fumure organique qu’elles déversent dans la rizière. Pendant ce temps, M. Sawadogo, à l’aide d’une daba, remue la terre boueuse. « C’est le début de la campagne sèche et il faut que tous mes champs soient prêts pour accueillir les plants de riz », confie le jeune agrobusiness-man.

« Je ne regrette pas mon choix »

Aujourd’hui, Rasmané Sawadogo exploite quatre hectares et ne regrette pas d’avoir fait ce choix. « Mon père m’a cédé un hectare et je loue les trois autres hectares à raison de 100 000 F CFA par hectare et par campagne », détaille-t-il. M. Sawadogo emploie deux jeunes permanents et quatre à six personnes temporairement pour les deux campagnes (humide et sèche) de l’année. Les permanents reçoivent chacun 175 000 F CFA par campagne sans compter ce qu’il reverse également aux femmes déplacées internes qui travaillent temporairement dans son champ. Par hectare, le jeune agriculteur affirme qu’il peut récolter entre cinq à six tonnes de riz.

Sur les quatre hectares et sur les deux campagnes dans l’année, cela correspond à au moins 40 tonnes de riz par an. Pour la récolte passée, le prix du kg de riz était de 210 F CFA. Si on considère une moyenne de 200 F CFA/le Kg au regard de la fluctuation des prix, il peut palper au moins 8 millions F CFA. Lorsqu’on déduit les charges d’exploitation, l’entrepreneur affirme avec fierté se faire un bénéfice de près de 4 millions F CFA par an. « Je n’ai pas à envier un agent de bureau. Je suis mon propre boss et je peux m’accorder un salaire minimum mensuel de 250 000 F CFA », confie-t-il avec un brin de sourire. Grâce à son activité, celui qui est devenu le pilier de sa famille soutient avoir construit une maison pour son père, s’être acheté une moto et s’être marié.

A côté de son travail dans la plaine rizicole, Rasmané Sawadogo dispose de deux petites boutiques, une pour la commercialisation des produits de consommation et la seconde consacrée à la vente du gaz-butane. Si, M. Sawadogo arrive à tirer son épingle du jeu, il déplore cependant quelques contraintes qui sapent ses efforts, notamment le coût élevé des intrants et souvent la mévente des récoltes. Néanmoins, il reconnait que l’Etat accompagne les agriculteurs, mais à condition qu’ils soient membres d’une coopérative. « Je suis membre d’une coopérative, mais ce n’est pas toujours simple. L’Etat subventionne l’engrais à 12 500 F CFA le sac. La coopérative augmente un peu le prix. Ce qui fait que le sac revient à 20 000 F CFA. Ce qui n’est pas très différent du prix sur le marché qui varie entre 25 000 et 30 000 F CFA », explique-t-il.

La « rizipisciculture », une combinaison qui marche
Pour que les riziculteurs tirent davantage profit de leur labeur, Rasmané Sawadogo souhaite que l’Etat plaide leur cause auprès des institutions financières pour l’obtention de prêts. Nonobstant ces difficultés, il dit ne pas baisser les bras. Mieux, il affirme être toujours motivé pour agrandir son entreprise. Pour ce faire, il compte innover en ajoutant une autre corde à son arc. Il suit présentement une formation en pisciculture.

L’objectif est d’utiliser les eaux usées de la pisciculture dans la riziculture, car dit-il, les spécialistes ont montré son avantage comparatif. Cette technique est recommandée fortement, confirme l’agent technique d’agriculture, Dieudonné Boro. « Nous conseillons d’associer l’élevage et la pisciculture à l’agriculture. L’eau de la pisciculture est très riche. L’utiliser pour l’irrigation des plantes, c’est en même temps une culture bio, c’est-à-dire agro écologique. Cette méthode réduit l’utilisation excessive des engrais minéraux qui peuvent entrainer la carence des sols en éléments nutritifs », explique le technicien.

La « rizipisciculture » est le sport favori de Souleymane Yougbaré, un autre jeune diplômé et entrepreneur basé à Bagré. Agé de 40 ans et père de quatre enfants, son activité principale est la pisciculture. Patron de l’entreprise Aquapro Wendtoin Noura, Souleymane Yougbaré exploite trois hectares avec diverses spéculations comme le riz, la tomate, les oignons, la papaye. Des cultures qui sont irriguées grâce aux eaux usées de ses bassins d’élevage des poissons. Une combinaison gagnante, à en croire le technicien de l’agriculture, M. Boro. Lors de sa visite dans les champs d’oignon et de tomates, ce 11 janvier, il apprécie favorablement l’évolution des plantes. « Je constate que toutes les plantes se portent bien. C’est le lieu d’encourager M. Yougbaré à redoubler d’efforts dans l’irrigation », affirme-t-il.

Des conseils bien reçus par l’entrepreneur qui affirme disposer de 18 étangs piscicoles. Avec ce potentiel, il assure arroser régulièrement ses hectares à partir des eaux usées de la pisciculture. Concernant son activité principale, il affirme faire de bonnes affaires. « En 2023, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 18 882 000 F CFA, uniquement pour la pisciculture. En termes de bénéfice, je l’évalue à 6 millions F CFA », relève-t-il. En plus de la « rizipisciculture », M. Yougbaré fait dans l’élevage de la volaille. Ainsi, dans ses poulaillers, on retrouve des pintades locales, des oies, des canards locaux et importés, des poules métissées, des lapins … Pour l’ensemble de ses activités, M. Yougbaré emploie six jeunes. Son attachement à la pisciculture remonte en 1998.

Des investissements structurants
Lorsqu’il a échoué pour la deuxième fois au Baccalauréat, il s’est d’abord orienté vers les concours directs de la Fonction publique pendant 9 ans sans succès. C’est ainsi que Souleymane Yougbaré va se résoudre à tourner cette page sombre et à se former à la pisciculture. Il apprend qu’il peut bénéficier de cette formation à Bagré. Le natif du Ganzourgou (Zorgho) dépose alors sa valise dans la commune rurale où il se forme pendant 6 ans avant de créer son entreprise.

Aujourd’hui, Souleymane Yougbaré dit rendre grâce à Dieu, car l’activité lui a permis d’acquérir un terrain où il vit désormais avec les siens. « J’ai acquis un véhicule à 11,5 millions F CFA pour la livraison de mes produits. J’ai aussi acheté un autre terrain où je suis en train de bâtir un centre de formation en aquaculture. A termes, le coût pourrait atteindre plus de 50 millions F CFA. Je suis à 25 % du taux de réalisation. J’ai déjà construit une usine de production d’aliments, un forage et un restaurant pour les stagiaires. Il reste une salle de formation, des dortoirs et une unité artificielle de production de poisson », précise-t-il.

Au regard des opportunités, M. Sawadogo et M. Yougbaré invitent les jeunes diplômés à s’investir dans l’agriculture car « la terre ne ment pas ». « Il faut lui donner ce qu’elle désire et en retour elle vous sera reconnaissante », confie M. Sawadogo. Cet appel semble avoir été entendu par certains jeunes diplômés qui ont décidé de voler de leurs propres ailes en s’orientant dans l’entrepreneuriat agricole. Honorine Ouédraogo, 25 ans, est étudiante au Centre universitaire du Ziniaré. Elle vient de décrocher sa licence professionnelle en production et santé animale.

Elle est confiante que son choix va lui permettre de s’insérer dans la société. Elle compte produire du maïs et du soja pour les transformer par la suite en aliment bétail, nécessaire pour son projet de ferme de volaille. Pour parvenir à ses fins, elle est à Bagré pour une formation de perfectionnement d’un an. Cette formation est assurée par l’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche (ANVAR). La jeune diplômée soutient avoir reçu des formations en production semencière, en technique d’entretien des différentes cultures et de traitement contre les parasites et les ravageurs. « Nous avons aussi reçu des formations en développement personnel, en relation et gestion des projets », atteste-t-elle.

A l’instar de Mlle Ouédraogo, Wendenda Fatou Compaoré, 23 ans, a aussi obtenu sa licence professionnelle en production et santé animale à Ziniaré. Elle nourrit le secret espoir de contribuer à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire au Burkina. Pour ce faire, elle ambitionne de commencer par l’élevage, afin de se faire une santé financière avant de s’orienter dans l’agriculture, notamment la culture du riz. Au regard de la formation reçue à Ziniaré et à Bagré, elle se dit prête et engagée pour son projet. « J’ai déjà commencé l’élevage de la volaille à Ouagadougou avec 100 têtes. Je suis présentement à 300 têtes et à chaque fois que je renouvelle la bande, j’augmente le nombre de têtes », affirme-t-elle.

Moïse Kogo, 27 ans et célibataire est étudiant au Centre universitaire de Tenkodogo. Titulaire d’une licence en production et santé animale, il aspire être un agronome pour contribuer à la modernisation de l’agriculture au Burkina à travers des recherches, à l’image des grandes puissances comme les USA. Titulaire d’un master 2 en sélection et conservation des semences à l’université Joseph-Ki-Zerbo (Ouagadougou), Issa Sana, âgé de 29 ans, est également à Bagré pour se perfectionner et il compte mettre son expertise à la disposition de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso (INERA) pour la production de semences améliorées en vue de relever le défi de l’insécurité alimentaire.

Encourager les jeunes agrobusiness-men
A l’image de ces quatre jeunes, ils sont au total 50 étudiants issus de diverses universités

intervenant dans le développement rural (agronomie, agro-sylvo-pastorale, élevage et agroalimentaire). Selon le technicien supérieur en agriculture, Jean François Somé, encadreur des étudiants, cette première promotion d’étudiants a passé avec brio la première phase de six mois de formation pratique à Bagré sur les cultures de saison pluvieuse. Elle s’apprête à entamer la seconde phase, celle consacrée à la culture de contre-saison. Selon M. Somé, cette formation s’inscrit dans le cadre d’un projet d’incubation initié par le ministère en charge de l’enseignement supérieur. Le recrutement a concerné plusieurs universités et les meilleurs étudiants ont été retenus pour être formés à Bagré.

« Nous voulons au sortir de cette formation que les jeunes arrivent à se prendre en charge pour contribuer à l’initiative présidentielle. C’est un projet qui tient à cœur au gouvernement », précise-t-il. Toutefois ces jeunes méritent d’être soutenus, insiste le Directeur de la valorisation économique de Bagrépôle (DVE), Rigobert Guengané, car ils ne sont pas nombreux à accepter de revenir à la terre. « Nous avons connaissance de sept jeunes de l’IFODER qui ont sept hectares de blé et cinq hectares d’autres cultures de contre saison. Nous avons aussi deux autres qui comptabilisent 20 ha en semences de maïs. C’est un début qu’il faut encourager », explique-t-il. M.

Guengané assure que Bagrépôle a contribué à leur installation par la mise à disposition de terres et d’eau et par un appui-conseil. En outre, il fait remarquer que l’agriculture est un secteur qui demande assez d’investissements structurants au départ (aménagement, fonds de roulement …). Aussi, précise-t-il, le retour sur investissement est long, il tourne autour de huit à dix ans. C’est pourquoi, il souhaite que les jeunes diplômés soient soutenus à moyen terme par le financement de leur plan d’investissement sinon, leurs projets peuvent s’arrêter à mi-chemin.

« Ils peuvent être épaulés à travers des appuis budgétaires ou des prêts bancaires », ajoute-t-il. Un soutien attendu par Honorine Ouédraogo et ses camarades qui disent avoir déjà monté des dossiers d’affaires dans le cadre du Projet de résilience et de compétitivité agricole (PReCA). Il s’agit d’une initiative du gouvernement burkinabè, mise en œuvre avec l’accompagnement de la Banque mondiale, pour accroitre la productivité du secteur agricole et faciliter l’accès au marché aux petits producteurs ainsi qu’aux Petites et moyennes entreprises (PME) agro-alimentaires dans les chaines de valeur ciblées dans la Zone d’intervention du projet. « Nous espérons que le PReCA va nous aider à réaliser nos rêves », lance Mlle Ouédraogo.

Abdoulaye BALBONE
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